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  • “Toujours plus d'Europe”, une idée dangereuse

    Público Lisbonne

    Mayk

    Pour faire face au risque de faillite des Etats membres les plus endettés, les Vingt-Sept ont adopté des mesures qui vont dans le sens d’une plus grande intégration. Mais ils l’ont fait une fois encore sans solliciter l’avis des Européens, regrette Público.

    José Manuel Fernandes

    L'Union européenne vit actuellement un coup d'Etat antidémocratique et, apparemment, personne n'y trouve rien à redire. Ni au Portugal, ni dans la majorité des pays européens. Il n'y a qu'au Royaume-Uni, dont la démocratie est la plus ancienne et la mieux enracinée, que l'on proteste et résiste. J'exagère ? Je ne pense pas. Ce que j'appelle - et je pèse mes mots - un coup d'Etat transeuropéen consiste en une tentative de violation de la souveraineté nationale qui va enfreindre les équilibres du traité de Lisbonne et humilier les parlements nationaux. Les mesures sont présentées aux opinions publiques comme des avancées importantes vers “plus d'Europe” et comme une première concrétisation d'un “gouvernement économique” paneuropéen. Mais à aucun moment les électorats ne sont appelés à les voter, ni même ont-ils manifesté leur volonté de voter.

    Avec l'idée qu'on ne s'arrête jamais sur une ligne droite, on se prépare à faire un pas plus long que la jambe, de ceux qui pourraient conduire l'Europe à s'effondrer, minée par l'irréconciliable divorce entre des élites fédéralistes et des électeurs qui ne se reconnaissent guère dans l'espace et les règles des différentes démocraties nationales.

    Il n'y a pas de correspondance entre l'espace dans lequel les citoyens estiment avoir quelque chose à dire (qui, que cela plaise ou non, est encore et restera l'espace des Etats nationaux), et l'espace où se prennent de plus en plus de décisions, et des décisions de plus en plus impopulaires.

    L'UE ne sait pas remplacer son propre gouvernement

    L'Union européenne échoue à la plus importante des épreuves démocratiques : elle ne sait pas comment remplacer de façon pacifique son propre gouvernement. Si le Parlement peut certes démettre la Commission, non seulement il ne peut pas le faire avec le Conseil, mais de plus aucun électeur n'élit ses parlementaires européens en pensant à qui sera le prochain président de la Commission. Et qu'on ne croie pas qu'il s'agit là d'un problème mineur, surmontable avec l'“audace”, le “courage” et la “vision” de prétendus leaders européens qui, dit-on, n'existent pas. C'est un problème central, car il n'est pas possible d'avoir davantage d'union politique sans davantage de transferts de souveraineté, pas plus qu'il ne peut y avoir de “gouvernement économique” digne de ce nom sans véritable budget européen.

    Or, si nous pouvons encore hésiter face au poids symbolique que revêtirait l'obligation pour tous les Etats de présenter d'abord leur budget à Bruxelles (à qui à Bruxelles, nul ne le sait) plutôt qu'à leur parlement national ; si nous pouvons encore vivre dans l'illusion que les vrais chefs de l'Union sont les organes communautaires et non les plus puissants de ses Etats membres - l'Allemagne en tête ; si nous voulons ignorer le risque qu'une prépondérance des grands Etats provoque des réactions nationalistes, ce que nous ne pouvons pas ignorer, en revanche, c'est l'impossibilité d'augmenter le budget européen. Car la majorité sinon la totalité des Etats, et des peuples, s'y refusera à court terme.

    L'appel au FMI : un avantage pour la santé des démocraties européennes

    Le problème de fond que cette crise a révélé est que, lorsque les Etats perdent la maîtrise de la politique monétaire, ils se retrouvent sans aucun moyen de se remettre rapidement d'une perte de compétitivité de leur économie. Au sein d'une union monétaire, cela ne peut se résoudre que par le biais de transferts internes de ressources en faveur des régions ou pays touchés par ce que l'on appelle les “chocs asymétriques”. Or, pour qu'il y ait des transferts internes susceptibles d'aider une région ou un pays en crise à s'en sortir, il faut un budget largement supérieur à l'actuel pourcentage de 1,23 % du PIB de l'UE. Si les dirigeants européens voulaient bien ravaler leur orgueil démesuré, ils verraient qu'en appeler au FMI (ou à une institution équivalente) a un avantage pour la santé des démocraties européennes : l'entrave à la souveraineté nationale qu'implique une intervention de ce type sera toujours temporaire, contrairement à des transferts de souveraineté définitifs comme ceux actuellement envisagés.

    Il est vrai que certains pays (dont la Grèce, le Portugal et l'Espagne) ont glissé dans la situation dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui en raison d'erreurs qu'ils ont eux-mêmes commises. Nous pourrions aller jusqu'à dire qu'ils méritent d'avoir un gendarme (voire plus) au sein de leur ministère des Finances. Mais les dommages causés par la crise des dettes souveraines n'auraient pas dû permettre qu'on réagisse par des mesures précipitées qui, contrairement à ce que disent vouloir leurs défenseurs, sont plus susceptibles d'éloigner les citoyens de l'Union que de contribuer à la consolidation de cet espace. Un espace dont les grandes réussites ont toujours été celles de l'intégration économique, et qui a connu ses pires échecs avec ses rêves de se transformer en nouvelle puissance politique. Les crises, il est bon de le rappeler, ne sont pas seulement l'occasion d'accélérer le pas sur le chemin qu'il reste à parcourir ; elles sont aussi autant d'occasions de changer d'itinéraire.


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  • Et pourtant, elle avance

    Respekt Prague

    La crise grecque, la rigueur allemande, le nouvel équilibre du monde : ces derniers mois, l’UE a été mise à rude épreuve. Mais cela ne l’empêchera pas de se construire, sous une forme un peu différente, assure le journaliste et politologue allemand Josef Joffe. Interview.

    Tomáš Lindner

    Ces derniers mois, on a souvent comparé Angela Merkel à Helmut Kohl. L'historien Timothy Garton Ash affirme que Kohl avait le sens de l’histoire et qu’il savait toujours faire le bon choix au bon moment. Aujourd’hui, et il est loin d’être le seul, il reproche à la chancelière allemande d’être dépourvue d’une vision historique et de ne pas avoir été capable, au moment critique de la crise grecque, de consentir à des sacrifices au nom de l’Europe. 

    De la fin de la Seconde Guerre mondiale à la chute du mur de Berlin, l’Europe des chanceliers allemands a été totalement différente de l’Europe actuelle. Leur pays, accroché au flanc de l’Europe libre, portait le poids de l’héritage de la Seconde Guerre mondiale et était un champ de bataille potentiel durant la Guerre froide. Les politiciens allemands de l’époque avaient pour première ambition de regagner la confiance et le respect de leurs voisins, ce que les chanceliers successifs ont parfaitement réussi. Kohl a compris qu' il devait proposer une contrepartie à une réunification rapide de l’Allemagne et un renforcement du pouvoir germanique. Voilà pourquoi il était prêt à financer le passage à l’euro. C’était le prix à payer de la réunification allemande.

    Aujourd’hui la situation est totalement différente. En vingt ans, l’Allemagne a su gagner la confiance de ses voisins en tant que démocratie et partenaire fiable, chose absolument inconcevable en 1945. Angela Merkel elle-même a bien sûr conscience qu’en raison de son passé, l’Allemagne est toujours observée avec beaucoup d’attention. Mais que lui reprochent exactement tous ces gens qui la critiquent ?

    Garton Ash, par exemple, lui reproche d’avoir débranché le "moteur" allemand qui poussait l’Europe vers l’avant. Elle n’a pas voulu, au nom de l’Europe, aller contre l’opinion des électeurs allemands en aidant la Grèce en situation de faillite.

    Si l'on regarde les choses un peu plus attentivement, on se rend compte en fait que Kohl n’a rien sacrifié pour l’unification européenne. Nous avons imposé aux autres pays européens le Pacte de stabilité et une stricte discipline financière, une discipline typiquement allemande. Le problème, c’est que ce système n’a pas fonctionné. Tous les pays de l’Union européenne ne se sont pas astreints à cette discipline et beaucoup ont menti sur leurs comptes publics.

    Dans quelle mesure l’Allemagne a-t-elle besoin de l’Union européenne ? Pourquoi devrait-elle encore accepter de consentir à des sacrifices financiers ?

    L’Allemagne a davantage besoin de l’UE que les autres grands pays européens. Un effondrement de l’UE aurait des conséquences catastrophiques pour ce pays, dont l’économie dépend, à quasiment 50%, de ses exportations. Une disparition de l’euro aurait pour effet d’augmenter la valeur de la monnaie allemande et de détruire ainsi notre modèle économique, qui dépend des exportations.

    Mais tout de même, Angela Merkel n’aurait-elle pas dû faire fi de l’opinion des électeurs allemands et sauver la Grèce bien plus tôt ?

    Je pense que la chancelière allemande a agi de façon responsable. Elle a voulu aussi exercer une certaine pression sur les Etats en difficulté, leur montrer que l’Allemagne ne paierait pas tout. Je pense que cela a fonctionné. L’Espagne, le Portugal et la Grèce ont promis qu’ils s’astreindront désormais à une discipline budgétaire rigoureuse. Je ne comprends pas les accusations d’égoïsme et de nationalisme à l’encontre de l’Allemagne. D’autant plus lorsque l’on sait que ce sont maintenant les contribuables allemands qui financent la plus grande partie du plan de sauvetage. C’est vraiment tout sauf un comportement anti-européen...

    Quels enseignements tirez-vous de la crise grecque pour l’Europe ?

    Pour moi, la plus grande leçon que je tire de cette crise est que l’Europe fonctionne. Certes, nous sommes passés par de longues semaines de temporisation, de tergiversations et d’incertitude, mais au final l’Europe a débloqué, au total, 750 milliards d’euros. Après cela, personne ne peut dire que l’UE est incapable d’agir.  

    Quelles seront selon vous, l’année prochaine, les principales menaces qui pèseront sur l’UE?

    Elles seront d’ordre géopolitique. Ce sont toutes ces questions autour desquelles l’Europe ne parvient pas à présenter un front uni. La Turquie s’éloigne de l’Europe et entend devenir une puissance dominante au Proche-Orient. L’Egypte est aujourd’hui en stagnation. Elle est menacée de sombrer dans le chaos. Il y a des pays belliqueux comme l’Iran ou la Syrie. L’axe critique va d’Ankara à Kaboul. Et l’UE ne sait pas quelle position adopter. Les politiciens européens parviennent plus facilement à s’entendre sur des questions économiques que sur des questions stratégiques.

    De plus en plus de commentateurs, notammentNiall Ferguson, célèbre historien spécialiste de l’économie, affirment que l’UE est aujourd’hui confrontée à un grand dilemme : soit elle parvient véritablement à s’engager dans un processus d’unification politique, soit elle sera amenée tôt ou tard à disparaître.

    Je ne pense pas qu’il faille voir les choses de façon aussi tranchée. Il est apparu que nous ne pouvons pas véritablement avoir une monnaie unique, l’euro, sans une plus grande coordination économique, qui constitue en fait un pas vers l’unification politique. Ceux qui, pour cette raison, et je faisais partie de ces gens-là, ont critiqué l’introduction de l’euro, disaient déjà cela il y a 15 ans. Mais le raisonnement qui consiste à poser l’alternative suivante, soit la création des Etats-Unis d’Europe, soit la disparition de l’UE, est faux.

    Quelle est alors la réalité politique et économique de l’Europe ?

    Nous ne devons pas considérer l’Europe dans les termes de cette alternative. Ce n’est pas une sorte de cathédrale que l’on construit selon un plan défini. Elle est plutôt à l’image d’un récif de corail qui croît de façon chaotique. C’est ainsi que l’Europe est née et c’est ainsi qu’elle continuera d’évoluer.

    Jusqu’où, selon vous, ira la centralisation de l’UE ?

    Pour le moment, je pense qu’elle se concrétisera seulement à travers un plus grand respect du Pacte de stabilité qui deviendra plus strict. Le souhait de Nicolas Sarkozy de voir s’affirmer une Union européenne totalement centralisée avec une politique économique commune ne pourra être satisfait, car deux cultures s’affrontent ici : la culture allemande et la culture française. La première appelle à davantage de réformes internes, de marché et de discipline, la deuxième à plus de centralisation, d’étatisme et d’expansion. Les rêves de Sarkozy ne peuvent pas être exaucés.

     

    Josef Joffe, un observateur du monde

    Josef Joffe est né en 1944 dans le ghetto de Łódź, en Pologne, et a grandi à Berlin. Il a longtemps été responsable de la rubrique internationale du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Depuis 2000, il est coéditeur de l’hebdomadaireDie Zeit, dont il a été également le rédacteur en chef. Auteur de plusieurs livres, il intervient en tant que conférencier spécialiste des relations internationales à Munich, à Harvard et à Stanford. Il se consacre avant tout à la politique étrangère allemande à l’égard de l’Europe et des Etats-Unis.


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