• Comment rétribuer un banquier

    Lucian Bebchuk

    CAMBRIDGE – Le Bureau de la Réserve Fédérale des Etats-Unis a récemment adopté des mesures pour que les superviseurs des banques, les gardiens de la sécurité et de la sureté du système financier, révisent les structures de compensation des cadres dirigeants des banques. Les autorités ailleurs dans le monde envisagent, si se n’est pas déjà le cas, des mesures similaires. Mais quel genre de structure les régulateurs devraient-ils adopter ?

    L’importance de rémunérer les banquiers à la mesure des résultats obtenus sur le long terme est désormais largement admise. Le fait de rémunérer les banquiers pour leurs résultats sur le court terme, même lorsque ces résultats sont par la suite inversés, constitue une incitation à prendre des risques excessifs.

    Lier la rémunération des banquiers aux résultats à long terme ne constitue pas une réponse complète au problème posé aux firmes et aux régulateurs. La question demeure : des résultats à long terme pour qui ?

    Une rémunération à base d’actions, couplée à la structure de capital fortement endetté des banques, lie la compensation des banquiers à un pari à effet de levier sur la valeur des avoirs des banques. Ainsi que Holger Spamann et moi-même le démontrons dans notre enquête, les gains des cadres dirigeants devraient être liés à la valeur à long terme rétribuée non seulement aux actionnaires, mais aussi aux autres apporteurs de capitaux des banques. En l’état actuel, les cadres dirigeants des banques s’attendent à une part des gains, de quelque nature que se soit, qui pourraient être versés aux actionnaires ordinaires, mais ils sont dissociés des conséquences que les pertes, induites par leurs choix, pourraient imposer aux actionnaires prioritaires, aux obligataires, aux déposants, ou au gouvernement en tant que garant des dépôts.

    Désolidariser les cadres dirigeants des pertes des parties prenantes autres que les actionnaires pourrait les encourager à faire des investissements et assumer des obligations qui augmentent la probabilité et la gravité de pertes supérieures au capital des actionnaires. De plus, une telle situation décourage la levée de capitaux additionnels, incitant les banquiers à diriger les banques avec un niveau de capital qui confère une sécurité inadéquate pour les obligataires et les déposants. Plus la capitalisation est restreinte, plus ces distorsions sont sévères – et plus les coûts escomptés de cette isolation des cadres des pertes potentielles aux parties prenantes non actionnaires sont importants.

    Comment ces modalités de rétributions doivent-elles être conçues pour répondre à ces problèmes ?

    Dans la mesure où la rétribution des cadres dirigeants est liée à la valeur de titres spécifiés, une telle rétribution pourrait être rattachée à un panier plus large de titres, et pas uniquement à des actions ordinaires.

    Donc, plutôt que de rattacher la rétribution des cadres dirigeants à un pourcentage spécifié de la valeur des seules actions ordinaires de la banque, cette compensation pourrait être rattachée à un pourcentage spécifié de la valeur de l’ensemble des actions ordinaires, des actions prioritaires et des obligations en circulation de la banque. En exposant les cadres dirigeants à un plus grande part des conséquences négatives des risques pris, une telle structure de compensation limiterait les incitations à prendre des risques excessifs.

    Néanmoins, alors qu’une telle structure de compensation inciterait les cadres dirigeants à internaliser les intérêts des actionnaires prioritaires et des obligataires, améliorant ainsi les incitations, elle serait insuffisante pour inciter ces cadres à internaliser complètement les intérêts du gouvernement en tant que garant des dépôts. Pour ce faire, on pourrait lier les gains des cadres aux changements de la valeur des swaps sur défaillance des banques, qui reflètent la probabilité de la banque à ne pas honorer l’ensemble de ses obligations compte tenu de l’insuffisance de capitaux.

    Les primes de compensations devraient elles aussi être révisées. Ces primes accordées aux banquiers étaient auparavant souvent basées sur des mesures comptables qui n’ont d’intérêt principalement que pour les actionnaires ordinaires, tel que les rendements sur capitaux propres ou le produit des actions ordinaires. A l’avenir, les banques devraient envisager de baser ces primes de compensation sur des mesures élargies, tel que les produits enregistrés avant tout règlement effectué aux obligataires.

    Admettre l’intérêt de rattacher la rétribution des banquiers aux conséquences de leurs choix sur les non actionnaires souligne l’importance du rôle des régulateurs dans ce domaine. Les actionnaires ordinaires de firmes financières ne sont pas incités à motiver les banquiers à prendre en considération les pertes que les risques peuvent entrainer sur les actionnaires prioritaires, les obligataires, les déposants et les contribuables. En conséquence, on ne peut s’attendre à ce que des améliorations dans la gouvernance permettant de motiver les dirigeants à plus se focaliser sur les intérêts des actionnaires permettent de rattacher les rémunérations des banquiers aux intérêts des actionnaires comme des non actionnaires. Une incitation régulatrice pourrait y contribuer, et serait même nécessaire.

    Il est difficile d’obtenir des cadres dirigeants qu’ils internalisent parfaitement les pertes attendues des choix qu’ils imposent aux apporteurs de capitaux autres que les actionnaires. Mais aller dans ce sens, même de manière imparfaite, représenterait un réel progrès. Motiver les cadres dirigeants à s’intéresser réellement aux conséquences découlant de leurs décisions sur tous les acteurs contribuant au capital à un effet positif sur les incitations de prise de risques. Cela contribuerait aussi à rendre notre système financier plus sûr.

    Lucian Bebchuk, Professor of Law, Economics, and Finance, and Director of the Corporate Governance Program at Harvard Law School, is co-author, with Holger Spamann, of Regulating Bankers’ Pay.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org


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  • Forçats à l’export

    Brahma Chellaney

    NEW DELHI – La pression monte dans ses prisons surpeuplées ? La Chine a trouvé une idée novatrice : envoyer travailler ses détenus à l’étranger, notamment dans le monde en développement. Cette pratique révèle l’une des facettes du vaste dossier sur les droits de l’homme en Chine, pays dont le gouvernement ne parvient même pas à faire respecter son propre règlement lorsque ses sociétés opèrent à l’étranger.

    La Chine dénombre trois fois plus d’exécutions annuelles que le reste du monde. D’après Amnesty International, la Chine aurait exécuté, en secret, en 2007 « environ 22 détenus par jour ».

    En plus d’être le premier bourreau au monde, la Chine compte une des populations carcérales les plus denses. Le centre international d’études sur les prisons du King’s College de Londres, qui a établi en 2009 une « Liste des populations carcérales dans le monde », recense 1,57 millions de détenus dans les prisons chinoises – chiffre supérieur au nombre d’habitants en Estonie, en Guinée-Bissau, sur l’Île Maurice, au Swaziland, à Trinidad & Tobago, à Fiji ou au Qatar.

    Le détachement de prisonniers contraints à servir de main d’ouvre à l’étranger soulève un nouveau problème quant à la perception des droits de l’homme en Chine et ajoute un élément de plus — le rejet des forçats — à la politique de commerce et d’investissement, déjà très critiquée pour son rejet de biens.

    Ainsi, des milliers de détenus chinois sont forcés de travailler au Sri Lanka pour des sociétés dirigées par le gouvernement chinois. Le Sri Lanka est un pays important pour l’empire du milieu qui cherche à renforcer son assise régionale dans l’océan Indien. Pour la remercier d’avoir fourni un système d’armes destructrices (permettant de mettre fin à la guerre civile qui sévissait dans le pays depuis des décennies), le gouvernement Sri Lankais a attribué à la Chine des projets d’infrastructure portuaires et ferroviaires.

    D’autres forçats chinois ont été envoyés aux Maldives, où le gouvernement chinois fait construire 4 000 maisons sur plusieurs îles, dans le cadre d’un « cadeau » de gouvernement à gouvernement pour gagner en influence. La Chine n’a cependant pas encore réussi à convaincre le président des Maldives de lui louer l’une des ses 700 îles désertes pour servir de petite base d’entraînement pour la marine chinoise.

    Les sociétés chinoises recourant à cette pratique pour leurs projets à l’étranger, notamment en Afrique, doivent conserver le nombre d’ouvriers du cru au strict minimum et en faire venir un maximum de Chine. Certains détenus sont « libérés » sur parole à l’aube de ces projets à l’étranger. La main d’ouvre carcérale, comme le reste de la main d’ouvre chinoise sur ce genre de chantier, est hébergée non loin du site de construction. Donc, si l’un des travailleurs forcés venait à s’échapper, il serait facilement retrouvé dans un tel environnement.

    En théorie, cette pratique va à l’encontre du règlement entériné en août 2006 par le ministère du commerce chinois, en réponse au retour de flamme contre les entreprises chinoises installées en Zambie à la suite du décès de 51 ouvriers zambiens lors de l’explosion d’une mine de cuivre chinoise. Ce règlement encourage un meilleur « ancrage local », par l’embauche d’ouvriers locaux, le respect des coutumes autochtones et l’adoption de normes de sécurité. Lors de sa tournée africaine en 2007 (visite de huit pays), le président chinois Hu Jintao a mis un point d’honneur à rencontrer les entreprises chinoises sises sur ce continent afin de souligner l’importance de leurs responsabilités et de leur influence sur un plan local et international.

    Qui plus est, en octobre 2006, le Conseil d’état (sorte de conseil des ministres) a émis neuf directives à l’intention des entreprises chinoises installées à l’étranger, leur demandant, entre autres, « de prêter attention à la protection de l’environnement », « de soutenir la communauté locale et de protéger la source de revenu de ses habitants » ainsi que  « de préserver la bonne image de la Chine et la belle réputation de ses entreprises ».

    De temps à autre, la Chine édicte des lois dans le seul but d’étouffer quelques critiques internationales. Ces lois sont donc rarement appliquées, sauf dans des cas retenant tout particulièrement l’attention de la communauté internationale. Par exemple, la Chine a promulgué en 2003 une loi visant à faire évaluer l’ampleur de son impact sur l’environnement, suivie en 2008 de « mesures temporaires » permettant au grand public de prendre part à ces évaluations. Toutefois, les dirigeants chinois mettent plus d’ardeur à promouvoir leurs exportations et leur croissance économique qu’à protéger la qualité de l’air et de l’eau dans leur pays.

    Ainsi, les neuf directives imposées aux entreprises installées à l’étranger par le Conseil d’état en 2006 ont été subordonnées à la hausse des exportations et de la croissance, même si cela implique un coût environnemental et social plus important à l’étranger. En effet, dans le cadre de la politique de « mondialisation » du gouvernement chinois, les entreprises chinoises sont tributaires de belles récompenses et de mesures incitatives pour signer un maximum de contrats à l’étranger et renforcer les exportations.

    Cette stratégie prend une tournure inquiétante lorsqu’il s’agit de l’emploi de travailleurs forcés. Or, avant la présence de forçats chinois outremer, certains projets d’infrastructure chinois (notamment la construction de barrages) étaient déjà source de discorde au sein des communautés locales où elles étaient implantées (Botswana, Birmanie, Pakistan, Ghana et Soudan). En fait, il n’y a pas trois mois, des bombes explosaient sur le site du barrage Myitsone en Birmanie, dont la construction par une société chinoise mécontente les habitants de l’état Kachin et où des milliers d’agriculteurs et de pêcheurs sont contraints de se déplacer puisque leur seul moyen de subsistance se retrouve noyé avec les terres inondées.

    Il est assez inimaginable que les sociétés chinoises obtiennent la relaxe de milliers de prisonniers, sans parler de leur passeport et de leur permis de sortie du territoire. De toute évidence, le travail forcé des détenus à l’étranger se fait à l’instigation du gouvernement.

    Or, si la Chine veut prétendre à un certain respect de la part de la communauté internationale, ses responsables se doivent de traiter leurs citoyens et ceux des autres pays dans le plus pur respect des droits de l’homme et de l’état de droit.

    Brahma Chellaney is Professor of Strategic Studies at the Center for Policy Research in New Delhi and the author of Asian Juggernaut: The Rise of China, India and Japan.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Aude Fondard


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  • Heureux comme un Allemand qui ne connaît pas la flambée immobilière

     

    La France construit peu, mais - est-ce une consolation ? - ses voisins européens sont dans la même situation. Le Royaume-Uni, avec une population comparable, produit à peine 200 000 logements par an. Tout comme l'Allemagne, avec ses 82 millions d'habitants. Pourtant, outre-Rhin, les logements sont nombreux et peu chers.

     

    " L'Allemagne a beaucoup construit après guerre, a bien entretenu son parc depuis, et a connu un boom de la construction, au cours des années 1990, après la réunification, avec un pic en 1995, où l'on dénombrait 700 000 permis de construire accordés. Elle dispose donc d'un parc abondant et de qualité ", raconte Yann Lacroix, de la société d'assurance-crédit Euler Hermes, qui a publié, le 5 juillet, une étude comparative des secteurs allemands et français du bâtiment et des travaux publics.

    Tandis qu'un logement neuf atteint en France, en moyenne, 243 000 euros, il ne coûte que 162 000 euros en Allemagne de l'Ouest et 110 000 euros en ex-Allemagne de l'Est. Il y est aussi plus spacieux et plus confortable.

    Le déclin démographique de l'Allemagne explique aussi la détente sur le marché immobilier et sur les prix. Alors que la France gagne chaque année, depuis 2005, 375 000 habitants, l'Allemagne en perd 100 000 par an, natalité et immigration étant au ralenti. Les prix français se sont par conséquent appréciés, depuis 2000, de presque 100 %, et les prix allemands de 5 % seulement.

    Autre originalité : seuls 43 % des Allemands sont propriétaires, le taux le plus bas des 27 pays européens, contre 58 % des Français. Les locataires jouissent, en Allemagne, d'un statut juridique très protecteur, avec des prix encadrés, dans un marché fluide qui peut expliquer leur faible appétit pour la propriété. Mais cela ne les empêche pas d'épargner pour d'autres produits, dont des fonds immobiliers ouverts qui investissent dans toute l'Europe. Ils profitent ainsi des plus-values immobilières chez les autres.

    L'exemple allemand met donc à mal l'idée généralement propagée par les propriétaires privés français que la pénurie trouve son origine dans la surprotection des locataires, qui découragerait l'investissement locatif. Elle contrarie aussi l'idéal des partisans du " tous propriétaires " en montrant l'intérêt, y compris pour l'investissement, d'un marché locatif détendu et accessible.

    La prépondérance des locataires contribue, en outre, à la sagesse des prix d'achat dans la mesure où les loyers, que l'on paye avec ses revenus et non avec des crédits, ne peuvent évoluer qu'avec lesdits revenus et restent contenus. Les bailleurs ne sont donc pas prêts à surpayer les biens et tout le marché s'en trouve régulé.

    La situation des ménages allemands pourrait sembler idyllique, mais ils sont cependant très endettés, plus que les Français : le taux d'endettement sur les revenus disponibles atteint 90 %, contre 76 % en France, où il a pourtant fortement grimpé - de 20 points - depuis 2000. " Cet endettement est un héritage de la période des années 1990, où les Allemands ont acheté des logements à des taux d'intérêt particulièrement élevés ", explique M. Lacroix.

    Enfin, le prix raisonnable des logements participe à la compétitivité de l'économie allemande, tant admirée et enviée par l'Europe entière, notamment la France.

    Isabelle Rey-Lefebvre

    Assez surprenant l'indice des prix allemands et qui remets en cause bien des choses ( patrioniale,financière, etc...)


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