• Pourquoi y a-t-il pénurie de logements en France ?

    Combien, où et pour qui faudrait-il construire ?

     

    Il se sera construit, en 2009, en France, 334 430 logements, loin du record de 465 881, atteint en 2007. L'année 2010 devrait être tout juste meilleure, avec environ 340 000 logements. La production plafonne donc à 1 % du parc national, de 33 millions de logements, un niveau trop faible pour le renouveler si l'on considère, avec optimisme, que la durée de vie d'une habitation est de cent ans.

    Comment accueillir les jeunes, les migrants et les nouveaux ménages ? La France connaît, contrairement à ses voisins, un certain dynamisme démographique, puisqu'elle gagne 375 000 habitants par an, soit près de 2 millions depuis cinq ans, et bénéficie d'un accroissement du nombre des ménages d'environ 1,5 % par an. Le secteur du logement est donc en pénurie chronique. Le déficit se creuse au fil des ans, ce que confirme les chiffres de la construction du mois de juin, rendu public mardi 27 juillet, avec des mises en chantier en baisse de 10,8 % sur un an.

    Des modifications sociologiques profondes Les économistes ne s'accordent pas sur l'ampleur de la pénurie. Les chercheurs de l'université Paris-Dauphine, Laurent Batsch, François Cusin et Claire Juillard, dans une étude pour le Crédit foncier publiée fin 2006, chiffraient les besoins à 500 000 logements neufs par an, un niveau de production jamais atteint depuis 1985. Ce niveau serait nécessaire pour faire face au renouvellement du parc, mais aussi à ce qu'ils appellent le " choc sociologique ". Sous ce vocable, les universitaires définissent un ensemble de phénomènes démographiques et sociaux : les seniors, d'abord, qui restent dans leur foyer, voire possèdent deux résidences (40 000 nouveaux logements à prévoir, chaque année) ; les familles qui éclatent, se réduisent et se dispersent (85 000) ; l'immigration de travailleurs (45 000) ; les mutations professionnelles (10 000) ; l'attrait du Sud, du littoral et du soleil (30 000)...

    De son côté, la cellule Statistiques du ministère du logement, dirigée par Alain Jacquot, relativise le déficit : " Je constate que les Français sont de mieux en mieux logés, avec plus de confort et d'espace puisque le nombre de mètres carrés par personne ne cesse d'augmenter, à 37 m² aujourd'hui contre 30 m² en 1985, et que le mal logement régresse. " Il chiffre les besoins entre 320 000 et 370 000 nouvelles habitations par an jusqu'en 2020. M. Jacquot avance un autre argument : " Au plus fort de l'activité, entre 2004 et 2007, l'appareil de production était à son maximum, dans l'incapacité de faire plus. "

    Des disparités régionales criantes " La pénurie n'est pas nationale et quantitative : elle est locale et qualitative ", estime Bernard Vorms, directeur de l'Agence nationale d'information sur le logement (ANIL). On ne construirait tout simplement pas là où les besoins sont aigus, et on ne le ferait pas non plus à des prix abordables pour la majorité de la population.

    En moyenne, s'édifient, en France, chaque année, 5,2 logements pour 1 000 habitants, mais avec de fortes disparités selon les départements. La situation de l'Ile-de-France est, à cet égard, caricaturale. Paris est à la traîne, avec 1,6 logement pour 1 000 habitants. Ses départements limitrophes ne font guère mieux, avec 2,4/1 000 dans les Hauts-de-Seine, 3,4/1 000 dans les Yvelines, 2,7/1 000 dans le Val-de-Marne et 3,1/1 000 en Seine-Saint-Denis. Les Alpes-Maritimes sont aussi en déficit criant (3,1/1 000), ainsi que les Bouches-du-Rhône (3,4/1 000). La cherté des terrains, dont le prix représente aisément la moitié du coût final, explique la difficulté à construire dans ces zones.

    A l'opposé, certains départements peu urbanisés, comme ceux de Corse (9,7/1 000 et 10,2/1 000), les Hautes-Alpes (10,7/1 000), les Pyrénées-Orientales (10,7/1 000), la Savoie (8,7/1 000), les Landes (9,4/1 000), la Vendée (8,7/1 000), qui offrent des terrains meilleur marché et un cadre de vie campagnard, pour urbains en mal de verdure, affichent des taux enviables. Certains de ces départements sont proches de métropoles, tandis que d'autres se spécialisent dans une économie résidentielle, accueillante pour les retraités et les nouveaux rentiers.

    Le palmarès des villes bâtisseuses Le cas Corse est exemplaire, avec des taux de construction autour de 10/1000, liés à une démographie d'accueil dynamique. Comme le montrent les chercheurs de Paris-Dauphine dans une étude de juillet 2010, toujours pour le compte du Crédit foncier, " six agglomérations affichent un fort excédent migratoire avec, en tête, Ajaccio, suivie de Perpignan, Toulouse, Bayonne, Montpellier et Nice ". Ajaccio a ainsi, entre 1999 et 2006, accueilli 10 408 nouveaux habitants, pour l'essentiel des retraités, soit 19,7 % de sa population : un record. Toulouse en a gagné 54 000 entre 2000 et 2007, sous l'effet de la mobilité résidentielle.

    Certaines villes et leurs départements se révèlent bâtisseurs, engageant des politiques de construction volontaristes, comme c'est le cas de Montpellier et de l'Hérault (10,4/1 000) ou de la Loire-Atlantique (7,7/1 000), alors que la population de Nantes aurait plutôt tendance à stagner.

    La même étude relève que des villes de taille modeste, qui pouvaient craindre un déclin démographique, attirent de nouvelles populations, dont de nombreux retraités. C'est le cas de Bastia, Arcachon, Sète, Fréjus, Agen, Menton-Monaco, Albi, Alès, Bergerac et Nîmes, sans oublier Thonon et Annemasse qui, elles, accueillent des frontaliers et des ressortissants suisses venus y trouver un logement à prix plus abordable que chez eux.

    Il n'y a pas que le Sud qui attire. Les migrants entendent aussi, selon les auteurs de l'étude, l'appel de l'Ouest, vers des villes comme Vannes, Saint-Brieuc, Quimper, dans un mouvement qui profite également aux Pays de la Loire et à la région Poitou-Charentes.

    Un terrible manque de logements sociaux A l'inadéquation spatiale s'ajoute la cherté des logements ou des loyers, qui ne correspondent pas à la solvabilité des ménages. Ainsi, 48 000 logements sociaux neufs ont été livrés en 2008, une production dérisoire face à l'énormité de la demande. L'Union sociale pour l'habitat recensait, en 2006, 1,2 million de ménages demandeurs, dont 650 000 postulants et 550 000 déjà locataires de ce parc.

    C'est le manque même de logements qui, depuis dix ans, a poussé les prix à la hausse. Le prix moyen du mètre carré a été multiplié par deux, entre 2000 et 2010, tandis que les revenus ne progressaient que de 45 %. La conséquence est double. Les accédants recherchent des terrains et des offres moins chères, en périphérie des villes ou en zone rurale, loin des centres : l'Insee constate, dans une étude de mai 2010, que 29 % des acheteurs récents habitent désormais en zone rurale, contre 25 %, au début des années 1990. Les ménages, ensuite, consacrent un budget de plus en plus conséquent à l'achat de leur habitat, correspondant à 4,2 années de revenus, s'il est ancien, et 6,5 années, s'il est neuf. En 2000, 3 années de revenus suffisaient. Les grands gagnants de l'inflation immobilière sont les seniors propriétaires qui ont acheté pas cher, il y a longtemps, et revendent aujourd'hui au prix fort. Les grands perdants sont les jeunes et les locataires.

    Isabelle Rey-Lefebvre


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  • La crise incite le Japon à revoir sa politique migratoire

    Pour la première fois depuis 1961, le nombre d'immigrés a reculé. Les Brésiliens sont invités à rentrer chez eux
    Tokyo Correspondance

     

    Dans la cité industrielle de Kawasaki, l'air de samba qui envahissait les rues, mi-juillet, invitait à une certaine réjouissance. Mais ce rythme enivrant ne saurait faire oublier que la communauté brésilienne du Japon, la troisième étrangère derrière les Chinois et les Coréens, a beaucoup souffert de la crise commencée à l'automne 2008. Si la baisse de 1,4 %, à 2,2 millions, du nombre d'immigrés en 2009 - le premier recul depuis 1961 - doit beaucoup au rapatriement d'expatriés envoyés par de grands groupes, elle est surtout liée au départ des ressortissants brésiliens. En un an, leur nombre a reculé de 14,4 %, à 267 456.

    Essentiellement constituée de travailleurs peu qualifiés et de leur famille, la population brésilienne de l'Archipel se concentre dans les grandes cités industrielles : 54 % travaillent en usine (contre 38,9 % des immigrés en général), le plus souvent dans des conditions très précaires.

    La plupart sont des nikkeijin, des descendants de Japonais ayant émigré en Amérique du Sud dès 1908. Ils sont venus au Japon en profitant de la révision en 1989 de la loi sur l'immigration, qui leur a permis d'avoir des visas de travail même en l'absence de qualification particulière. La mesure devait compenser la baisse de la population active, amorcée au Japon dans les années 1980. Moins de 4 000 avant 1990, les nikkeijin étaient plus de 310 000 à la fin de 2007. Leur intégration a parfois été difficile, notamment dans les années 1990, ponctuées de troubles sociaux.

    Dès le début de la crise de l'automne 2008, les industriels se sont séparés en priorité de cette main-d'oeuvre. Le taux de chômage de la communauté aurait atteint 40 %, contre 5 % avant la crise. L'afflux de ces nouveaux chômeurs, sans qualification et parlant mal le japonais, dans les centres Hello Work de recherche d'emplois a provoqué une certaine panique. Le gouvernement en est même venu à créer un programme d'aide financière au retour. Déjà, 11 300 nikkeijin en auraient profité.

    Aujourd'hui, la situation semble stabilisée. A Hamamatsu, ville de la préfecture de Shizuoka qui abrite des usines Suzuki ou Yamaha, la HICE, la fondation locale chargée des échanges internationaux, signale que " leur taux de chômage est revenu à des niveaux traditionnels ". L'organisme note cependant que " les Brésiliens étaient 14 655 en juin, contre plus de 20 000 il y dix-huit mois ". Quelque 5 000 d'entre eux sont partis et, manifestement, le besoin de les remplacer ne se ressent guère. Le plan quinquennal de contrôle de l'immigration, rendu public en mars, appelle même à une réflexion sur les conditions d'octroi de visas aux nikkeijin.

    " La crise a fait prendre conscience de combien coûte le fait d'accepter des travailleurs étrangers d'un point de vue économique et social ", a réagi Masahiko Yamada, ministre du travail. Elle a ravivé le débat sur l'immigration alors que la population active pourrait tomber à 55,8 millions de personnes en 2030, contre 66,6 millions en 2006. Un déclin propre à accentuer les déséquilibres des comptes sociaux déjà déficitaires, qui menace le développement économique du pays.

    En dix ans, le nombre d'immigrés a progressé de 40,5 % en dix ans, mais ils ne représentent encore que 1,71 % de la population totale. Rien n'indique qu'ils vont augmenter sensiblement. L'objectif de la politique japonaise reste d'attirer des personnes hautement qualifiées et des étudiants - en priorité asiatiques pour favoriser les échanges avec une zone en plein essor - à même de suivre des cursus de haut niveau dans des universités.

    L'immigration doit compenser des besoins réels et identifiés par les autorités. Les Accords de partenariat économique conclus avant la crise avec les Philippines et l'Indonésie en sont l'illustration. Ils prévoient la venue chaque année de dizaines d'aides-soignants de ces pays afin de compenser le manque de personnel dans les hôpitaux. Il y avait urgence, mais leur arrivée est déjà remise en cause : la crise incite les Japonais à s'orienter vers ce métier, que le gouvernement s'efforce de revaloriser.

    Tout cela montre que, avant de faire venir des étrangers, il faut, comme le confirme la nouvelle stratégie de croissance finalisée en juin, " encourager les personnes ayant des capacités non exploitées, comme les jeunes, les femmes et les personnes âgées, à s'engager sur le marché du travail ". Pour M. Yamada, l'adoption de mesures adéquates dans ce sens doit " stabiliser la population active pour les dix années qui viennent ".

    Le soutien public à la recherche en robotique semble être aussi un moyen d'éviter de recourir aux travailleurs venus d'ailleurs.

    Plus généralement, les débats montrent que le Japon reste réticent à ouvrir ses frontières, et pas seulement pour des raisons économiques. L'image de l'étranger reste plutôt négative dans un pays qui se perçoit comme ethniquement homogène. Et le fondement de la politique migratoire demeure la création d'un " consensus public " sur l'influence de l'installation d'étrangers " sur le marché du travail, mais aussi sur la sécurité sociale, l'éducation, la communauté ou encore la sécurité ".

    Philippe Mesmer


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  • « Avec la Chine, capitalisme ne rime plus avec démocratie »

    CE QUE CHANGE LA CHINE. Chaque jour, nous interrogeons une personnalité sur les bouleversements qu'implique l'arrivée de la Chine aux premiers rangs des puissances économiques. Aujourd'hui, le directeur général d'HEC Paris décortique le modèle inédit qui a créé de redoutables concurrents pour les entreprises occidentales.

    Qu'est-ce que l'émergence d'une Chine aussi puissante a changé dans les affaires depuis quinze ans ?

    Tout a changé, y compris pour les « business schools ». Il y a quinze ans, il n'y avait pas de grands acteurs dans ce domaine ni en Chine ni même à Hong Kong. Aujourd'hui, les écoles de la grande Chine sont très puissantes : grâce à des rémunérations élevées, elles attirent de très bons professeurs chinois et occidentaux et forment des étudiants de niveau équivalent aux nôtres. Dès lors, les écoles de management du monde entier se livrent une concurrence féroce pour nouer des partenariats avec les « business schools » chinoises, en particulier avec celle de l'université Tsinghua de Pékin. Le groupe HEC a lui-même créé il y a cinq ans à Pékin, et il y a deux ans à Shanghai, un « executive MBA » destiné aux managers chinois, mais aussi aux managers européens travaillant en Chine et désireux de mieux comprendre le monde chinois. Sans oublier notre programme « Fashion & Luxury » en partenariat avec Tsinghua.

    Quel est l'intérêt des étudiants pour la Chine et que doivent-ils savoir de la Chine avant de se lancer dans la vie active ?

    Les étudiants d'HEC ont très bien perçu sa montée en puissance. La preuve, ils sont de plus en plus nombreux à se mettre au chinois. L'intérêt pour notre enseignement sur la Chine qu'offre depuis près de vingt ans HEC Eurasia Institute progresse toujours, et ce à tous les niveaux de formation. On ne peut plus débarquer dans la vie active avec l'idée que la Chine est un monde émergent, qui se développe grâce à des bas coûts de main-d'oeuvre et qui se satisfait de quelques années de retard sur le monde développé, car même dans des secteurs technologiques pointus, comme les télécoms, ils se révèlent de redoutables concurrents.

    Quel portrait faites-vous de la Chine à vos étudiants ?

    C'est un pays qui a créé un modèle inédit, reposant sur un capitalisme poussé à son point extrême lié à un État très fort. Avec la Chine, capitalisme ne rime plus avec démocratie, et c'est une nouveauté. Un élève d'HEC, futur dirigeant d'entreprise dans un contexte mondialisé doit impérativement intégrer la Chine dans son approche du monde, et connaître non seulement les Chinois, mais aussi leurs entreprises et leurs systèmes de décision. Sans oublier le mode de fonctionnement, y compris mental, de la Chine. Par sa masse et par sa vitesse de développement, la Chine est le plus grand défi au « système monde » jusqu'ici dominé par l'Occident.

    Est-ce que sa puissance, jointe à son mode opératoire très politique, ne modifie pas la manière de faire désormais des affaires dans le monde ?

    Les managers ne peuvent plus ignorer la dimension géopolitique des affaires. C'est pourquoi HEC enseigne aussi la nature des rapports de force dans le monde, et leur évolution prévisible dans vingt ans. Mais aussi les enjeux liés au réchauffement climatique, tels que les grands déplacements de population d'ici à vingt ans, qui feront cohabiter des lieux sururbanisés et des lieux désertiques.

    Que leur enseigne HEC sur les moyens de retrouver un leadership perdu face à la Chine ?

    L'avantage concurrentiel de nos entreprises est (pour l'instant) une certaine avance en matière de recherche, de R&D, d'innovation et de management, notamment des systèmes complexes intégrant des mix de produits services et de management sophistiqué. Mais la montée en puissance de certaines grandes entreprises chinoises lourdement encouragées par l'État chinois commence déjà à grignoter nos positions. Et sur nos coeurs de technologies dans les systèmes complexes, les Chinois se montrent depuis quelques mois très agressifs : le TGV La Mecque-Djedda a été attribué aux Chinois (contre Alstom, Kawasaki ou Siemens), les prochaines centrales nucléaires de pays émergents pourraient l'être. L'avion commercial chinois concurrencera Airbus et Boeing dès 2014. Sur le marché chinois, à mesure de la montée en puissance de leurs « multinationales émergentes », le tapis rouge commence à disparaître progressivement pour les entreprises étrangères.

    Propos recueillis par Valérie SEGOND

    Interview de Bernard Ramanantsoa Directeur général d'HEC Paris


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