• votre commentaire
  • Accepter le rétrécissement des villes

    Vouloir à tout prix repeupler une ville en déclin n'est pas forcément une bonne chose.

    Dan Kildee est au volant d’une voiture de location. Il le manie avec ses genoux et parle avec ses mains, alors que le véhicule approche les 130 km/h sur une route étroite près d’East Lansing (Michigan). Mais ce n’est pas ça qui me fait peur. En fait, ce qui me stresse, c’est qu’il se sente obligé de me regarder pour m’expliquer son projet qui vise à épargner le reste de l’Amérique du triste sort de sa ville d’origine, qui est aussi la mienne.

    «Cela revient à faire comprendre aux gens que le développement n’est pas toujours souhaitable», explique Dan Kildee. «Le principal, c’est le sentiment qu’éprouvent les habitants d’une ville lorsqu’ils se tiennent devant l’entrée de leur maison le matin; le nombre d’habitants de la ville n’a pas d’importance. C’est insensé de toujours rechercher le développement [urbain].»

    Alors que nous contournons un obstacle habituel dans le Michigan –un cerf mort sur le bas-côté de l’autoroute– Dan Kildee se remémore le discours qu’il doit prononcer cet après-midi-là au sujet d’un impondérable bien connu dans cet Etat: «L’avenir des villes du Michigan». Pour Dan, cette causerie est une nouvelle occasion de promouvoir son approche –qu’il estime tenir du bon sens– en matière d’urbanisation en temps de déclin. D’aucuns la considèrent comme une idée anti-américaine, qui cautionne la résignation et l’enfermement dans des horizons limités.

    Réhabiliter les villes rétrécies

    En premier lieu, souligne-t-il, les villes qui «rétrécissent» doivent accepter le fait qu’elles ne sont pas près de récupérer leur population perdue. Il faut raser les maisons et immeubles abandonnés et les remplacer par des parcs, squares et autres espaces verts urbains. Ensuite, on peut mettre en place des mesures pour inciter les habitants à s’installer dans des quartiers plus densément peuplés, redynamisés grâce à des projets de construction de grands bâtiments à vocation résidentielle et commerciale, et des projets de réhabilitation. Bien que nous ne disposions pas de données précises, les autorités locales pourraient économiser de l’argent en réduisant le coût des infrastructures. Ainsi, le marché immobilier connaîtrait une stabilisation, voire une amélioration.

    Pendant de nombreuses années, Dan Kildee n’avait pas de moyen concret pour faire de cette idée –utopique ou non– une réalité. En tant que trésorier du compté de Genesee, dont dépend Flint, il devait superviser les processus de saisie hypothécaire (qui prenaient souvent sept ans). Du coup, les spéculateurs étaient toujours les premiers à s’approprier des biens dans les ventes aux enchères. Dan Kildee n’arrivait tout simplement pas à mettre la main sur les très nombreuses maisons abandonnées. Dans les années 90, il a donc participé à l’élaboration d’une loi locale qui permettait aux «banques foncières» publiques de prendre rapidement en gestion des biens immobiliers en décadence, ainsi que les revenus qu’ils génèrent souvent. Une fois qu’elle acquiert un bien, la banque foncière peut le vendre, le louer ou le démolir. Elle recouvre également, sur les impôts propriétaires, le capital et les intérêts moratoires au lieu de revendre à des investisseurs privés les créances à taux réduit, comme le font de nombreuses municipalités.

    En 2002, lorsqu’il a repris la direction de cette banque foncière locale, Dan Kildee s’est armé d’un zèle de tribun dans le but de sensibiliser le public. Il est passé sur la chaîne Al Jazeera et a fait l’objet d’articles dans le New York Times. Il a donné des conférences à Harvard. Avec un haussement d’épaules, il précise que son ami Michael Moore l’a filmé dans Capitalism: A Love Story(mais il n’apparaît que sur le DVD, dans le bonus).

    En début d’année, Dan Kildee a démissionné de ses postes au sein de l’administration locale pour cofonder le Center for Community Progress [Centre pour le progrès des quartiers], une organisation sans but lucratif ayant un siège à Flint et à Washington et qui, malgré un nom un peu terne, dispose de sommes non négligeables pour venir en aide aux villes en dépérissement. Dan Kildee partage désormais son temps entre sa maison de banlieue, située juste en périphérie de Flint, et un appartement dans la capitale, Washington. Il travaille avec des responsables aux niveaux fédéral et local pour mettre à l’épreuve son approche dans des villes comme Buffalo (Etat de New York), Cleveland (Ohio), Little Rock (Arkansas) et la Nouvelle Orléans (Louisiane). Il s’est entretenu avec le président Obama durant sa campagne pour parler politique urbaine. En outre, il rencontre souvent des responsables de l’administration dans cette même optique. Sa mission s’étend de plus en plus à l’Ouest et vers la Sun Belt, puisque des villes autrefois florissantes, comme Phoenix et Las Vegas, sont maintenant en proie à des saisies immobilières et des populations en fuite.

    Des villes en déclin partout dans le monde

    Comme le souligne Dan, ces trente dernières années, les pays développés ont vu plus de villes tendre vers le déclin que se développer. Selon le groupe de réflexion City Mayors (qui s’intéresse à l’urbanisation –son slogan: «Pour une gestion efficace des villes du monde»), plus de 40 villes sont dans ce cas aux Etats-Unis. De nombreuses idées défendues par Dan Kildee sont expérimentées en Allemagne, qu’il considère comme un pays précurseur. Après la réunification de la République démocratique allemande et de la République fédérale d’Allemagne, près de deux millions d’Allemands ont abandonné l’Allemagne de l’Est, communiste, pour s’installer à l’Ouest, région plus prospère. La chute des taux de natalité et le chômage ont également participé à la décadence des villes dans le reste de l’Europe. Au Japon, une population vieillissante et des règles d’immigration très strictes ont eu pour effet de vider de nombreuses villes, grandes et petites.

    Flint est manifestement un laboratoire dont se sert Dan Kildee pour tenter d’appliquer son approche. Elle incarnerait presque la ville en déclin par excellence. Immortalisée dans le film Roger et moi, ces cinquante dernières années, Flint a perdu près de 80.000 emplois General Motors, avant de souffrir de la décroissance démographique. Au nombre de 200.000 en 1960, la population de Flint est redescendue à 111.000 en 2009! L’année dernière, elle a perdu un pourcentage d’habitants plus important que toutes les autres grandes villes américaines.

    Dan Kildee a réussi à faire démolir plus de 1.000 maisons avant de quitter la banque foncière. Mais environ un tiers de l’ensemble des parcelles de Flint, dont quelque 6.000 maisons, sont restées abandonnées. Dans leur totalité, les structures vides et les parcelles inoccupées représentent 16 kilomètres carrés de terrain abandonné dans la ville. La démolition de chaque maison coûte 9.000 dollars [7.000 euros]. L’argent disponible permet tout juste d’abattre le stock de biens immobiliers délabrés de Flint.

    Redistribuer les richesses foncières

    Dan Kildee soutient que les démolitions font simplement partie de son projet. Il explique que le «génie» de son approche est qu’elle permet de mettre en œuvre une stratégie d’aménagement du territoire visant à redistribuer les richesses foncières. La banque foncière prend souvent la gestion de biens immobiliers dans les banlieues plus prospères de Flint, qui sont vendables ou louables. (L’an dernier, une seule vente a généré un revenu net de 323.000 dollars [250.000 euros]). Cet argent peut être utilisé pour raser ou restaurer des biens dans le noyau urbain. «Durant des décennies, la ville de Flint a bâti le comté de Genesee en important des liquidité et en exportant des produits partout dans le monde», dit-il en s’adressant à un auditoire enthousiaste (applaudissements). «Maintenant, la situation a changé. Le modèle économique que nous avons développé nécessite qu’on réinvestisse une partie de cet argent pour restaurer la ville. Ce faisant, c’est la région tout entière qui en bénéficiera.»

    Voilà le genre de discours qui suscite le courroux de Rush Limbaugh –en 2009, il a visé Dan Kildee dans une diatribe mémorable– et reste en travers de la gorge des défenseurs des droits immobiliers. Pour d’autres, ce projet est tout bonnement contraire à l’état d’esprit américain, qui consiste à se dire que tout est possible –un optimisme sans limite en somme. «Politiquement, c’est difficile pour les maires de dire tout haut et d’assumer le discours suivant: "Eh bien je crois qu’il faut que notre ville soit plus petite. Je crois qu’il faut réduire nos attentes"», explique Robert Beauregard, directeur du Programme d’urbanisme de l’Université de Columbia. «Ce n’est pas un message que beaucoup de responsables politiques sont prêts à livrer».

    Dan Kildee a également des détracteurs plus proches de chez lui. A Flint, de nombreux quartiers délabrés ont une population majoritairement afro-américaine. Or le projet sur lequel travaille Kildee les ramène à des souvenirs de projets de rénovation urbaine inefficaces dans les années 60 et 70, qui avaient entraîné le déplacement d’habitants noirs. Kildee reconnaît qu’il n’a pas réussi à empêcher de fausses idées de circuler à propos de son travail. Par exemple, il n’a jamais voulu forcer quiconque à quitter son foyer ou supprimer les services de la ville pour obliger les gens à s’installer ailleurs, comme l’avait insinué le maire de Detroit, Dave Bing. Kildee ajoute qu’il n’entend pas raser des quartiers entiers au bulldozer, mais qu’il favorise une approche au cas par cas, par pâté de maisons.

    Et puis il y a ces questions plus «terre-à-terre». La banque foncière possède aujourd’hui 10% de toutes les parcelles de terre à Flint, et elle essaie tant bien que mal de condamner les maisons vides et les terrains inoccupés. «Je comprends que les résidents se plaignent, c’est un peu normal», explique Kildee. «Mais politique populaire n’est pas synonyme de politique efficace. La première obligation de la banque foncière ne devrait pas être la maintenance des biens immobiliers, mais de mettre en place des politiques de transformation qui jouent un rôle de catalyseur.»

    On peut le voir comme une espèce de destinée manifeste à l’envers applicable aux zones urbaines. «Pendant 35 ans, nous avons laissé les forces du marché, entre guillemets, gérer le problème d’abandon des villes, et nous savons tous quel résultat cela a donné», conclut Kildee.

    Puisque je suis aussi natif de Flint, et que le quartier de mon enfance est à présent laissé à l’abandon, je vois parfaitement de quoi il parle.

    Gordon Young

    Traduit par Micha Cziffra

    Photo: Une maison à Flint, dans le Michigan / Gordon Young 


    votre commentaire

  • votre commentaire
  • Pour une nouvelle politique de la nationalité

    Corriere della Sera Milan


    Une cérémonie de naturalisation à la préfecture de Mâcon (Saône-et-Loire).

    La récente proposition de Nicolas Sarkozy de révoquer la nationalité des délinquants naturalisés a remis la question à l’ordre du jour. Alors que les gouvernements tentent d’adapter la législation à une situation qui évolue sans cesse, l’UE devrait étendre la citoyenneté européenne aux immigrés, afin de combler les carences du système actuel.

    Maurizio Ferrera

    A la suite d’une série d’affrontements entre des jeunes d’origine étrangère et la police, Nicolas Sarkozy a annoncé il y a quelques jours une révision, dans un sens restrictif, des conditions d’accession de la nationalité française. Selon le président, les étrangers naturalisés qui attenteraient à la vie d’un fonctionnaire des forces de l’ordre verraient leur citoyenneté révoquée.

    Cette déclaration a suscité un tollé. La loi française (comme la loi britannique) prévoit déjà dans certains cas la révocation de la nationalité. Mais cette disposition n’est de fait jamais appliquée. Ces dix dernières années, la France s’est même distinguée par son approche soft de la question de la citoyenneté, avec plus d’un million de naturalisations, presque autant que l’Allemagne, et dix fois plus que l’Italie. La question de la révocation est évidemment très délicate, plus encore sur les plans éthique et politique que sur le plan juridique. Elle doit cependant être examinée dans un  cadre plus vaste, qui permette de déterminer les lignes générales d’une sérieuse "politique de la citoyenneté" correspondant au nouveau contexte européen.

    Appliquer de nouveau critères

    Traditionnellement, la naturalisation des "étrangers" était liée au jus sanguinis - le droit du sang - c’est à dire à la présence de parents ou d’ascendants possédant déjà la nationalité (c’est le cas en Allemagne), ou au jus soli - le droit du sol - c’est à dire à la naissance sur le territoire national (comme en France et aux Etats-Unis). Mais, conséquence des importants flux migratoires de ces vingt dernières années, ces critères ne tiennent plus. Quel sens y a-t-il en effet à accorder la nationalité pour "liens du sang" à quelqu’un qui est né et réside à l’étranger et qui n’entretient aucune relation avec la mère patrie ? Et pourquoi refuser la nationalité (ou la faire attendre pendant des années) à un étranger qui n’est pas né sur le territoire mais qui s’est bien intégré au pays où il a immigré ? Une sérieuse politique de la citoyenneté doit aujourd’hui s’appuyer sur de nouveaux critères, essentiellement le domicile, assortis d’une série de "filtres" qui attestent de l’authenticité de l’intention et permettent de mesurer le degré d’intégration (assiduité scolaire, travail régulier, connaissance de la langue, etc.).

    La naturalisation ne doit plus être considérée comme un passage "ponctuel", un changement de statut irréversible en fonction de critères très généraux et automatiques. Il faudrait plutôt que ce soit un processus par étapes accompagné d’incitations et de voies prioritaires, surtout pour les mineurs. Une deuxième ligne directrice a trait à la définition même de la citoyenneté. Là aussi, il semble opportun de dépasser l’alternative pure et simple - national ou étranger - et de prévoir des formes intermédiaires de "quasi-citoyenneté". Les droits conférés par ces statuts pourraient être alignés sur ceux du pays d’origine, surtout en matière de sécurité sociale et de santé, facilitant ainsi des formes d’émigration temporaire (comme dans le cas d’un médecin indien qui voudrait travailler six mois par an dans un hôpital européen).

    L'intégration est avantageuse pour tous

    Les pays du Commonwealth ont forgé le terme "denizenship" pour désigner ces formes de quasi-citoyenneté. L’institution de la citoyenneté européenne peut déjà être considérée comme une forme de denizenship. Il s’agit en effet d’un statut qui confère aux ressortissants de chaque pays membre certains droits qui peuvent être exercés sur tout le territoire de l’Union. Pour le moment, la citoyenneté européenne reste une "citoyenneté de second ordre". Mais rien n’empêche, surtout avec le traité de Lisbonne et pour les ressortissants de pays non-européens qui remplissent certains critères, de l’utiliser comme un statut auxiliaire ou préparatoire à la nationalité du pays d’immigration. 
Dans un cadre de ce type, la possibilité invoquée par Nicolas Sarkozy de révoquer la citoyenneté à ceux qui commettent des délits, aurait une dimension moins dramatique sur le plan symbolique et plus efficace sur le plan pratique. La "bonne conduite" pourrait devenir un des filtres les plus élémentaires de la sélection, et rester éventuellement en vigueur pendant un certain temps après la pleine naturalisation d’un étranger.

    L'immigration est aujourd’hui un des thèmes les plus délicats sur le plan politique. D’après les sondages, la majorité des électeurs de nombreux paysse déclarent inquiets et ne se sentent pas en sécurité. Aux dernières élections européennes, les partis xénophobes ont progressé un peu partout, alors que s'accroît le risque d’une véritable spirale de polarisation idéologique, non seulement de la part des citoyens, mais aussi des "étrangers" (comme cela se passe déjà en France). Nous savons que les économies et la protection sociale dans les Etats européens ne peuvent plus se passer des immigrés. Nous savons également que dans nos pays vivent un grand nombre d’étrangers "en règle" (et avec un nombre croissant d’enfants), qui se sont parfaitement insérés dans notre société. 
L’intégration n’est pas seulement possible, elle est aussi avantageuse pour tous. Une nouvelle politique de la citoyenneté peu faire beaucoup pour faciliter ce processus et contenir les risques d'une dangereuse radicalisation.

    Vu de France
    Sarkozy remet son costume de “Superflic”

    Le lien établi par le président français Nicolas Sarkozy entre la délinquance et l’immigration, et sa proposition de déchoir de la nationalité française les personnes d’origine étrangère qui commettent des violences contre les forces de l’ordre, fin juillet, a relancé le débat sur l’immigration, les naturalisations et les foudres de l’opposition et de la presse. Ainsi, Libérationvoit dans ces "dérapages droitiers" les prémices de la campagne présidentielle de 2012, pour laquelle Sarkozy a revéti à nouveau le costume de "Superflic" qui lui avait réussi en 2007.

    Le Mondedénonce quant à lui les mots "très lourds de sens" du chef de l’Etat et "une faute lourde" pour un président de la République. Le quotidien estime que Sarkozy invite à bafouer l’article 1 de la Constitution, qui pose le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, et fustige "une politique du bouc émissaire aussi détestable que condamnable". L’"amalgame délinquance-immigration" arrive au terme d’une "escalade sécuritaire" "sans résultat probant", puisque, rappelle Le Monde, "les agressions et les violences contre les personnes ont augmenté de 16 % entre 2003 [Nicolas Sarkozy était alors ministre de l’Intérieur] et2009".


    votre commentaire

  • votre commentaire