• Le FMI juge le système financier américain loin d’être sorti d’affaire  

    Selon les « stress tests » menés par le Fonds monétaire international aux Etats-Unis dans le  cadre de son programme d’évaluation du système financier, les banques pourraient avoir besoin d’une recapitalisation de 76 milliards de dollars

    Les experts du Fonds monétaire international (FMI) ne sont qu’à moitié rassurés quant à la solidité du système financier aux Etats-Unis. A l’occasion de la conduite, pour la première fois, du programme d’évaluation du système financier du Fonds auquel les Etats-Unis ont fini par accepter de se soumettre, les experts de l’institution multilatérale ont effectué leurs propres « stress tests ». A la fois sur les banques américaines et sur les filiales des banques étrangères établies outre-Atlantique. Selon un premier scénario dit « de base » reprenant les hypothèses de croissance du FMI pour les Etats-Unis d’avril dernier – où l’inflation reste contenue et où les taux d’intérêt obligataires ne progressent que légèrement compte tenu de la hausse de l’endettement public –, les banques américaines devrait être recapitalisées de 14,2 milliards de dollars pour maintenir un ratio de fonds propres Tier-1 de 6 %. Les filiales de banques étrangères auraient besoin, elles, de 26,3 milliards de dollars (voir tableau). En revanche, en prenant pour hypothèse un scénario extrême (faible croissance économique, faible repli du chômage, recul des prix immobiliers, nouveau plan de relance budgétaire…), le maintien d’un ratio de capitaux propres similaire (6 % de Tier-1) nécessiterait pour les banques américaines une recapitalisation à hauteur de 44,6 milliards de dollars. Les filiales de banques étrangères nécessiteraient, elles, 31,7 milliards de dollars. Au total, près de 80 milliards de dollars seraient donc  requis.Certes le pire n’est jamais sûr. Dans son évaluation, publiée vendredi, le Fonds constate que« les positions en capital se sont améliorées et les banques constituent des provisions substantielles contre les pertes potentielles sur leurs crédits ». Mais le montant des créances douteuses et les non-remboursements de prêts sont appelés à progresser, avertit le FMI, compte tenu du niveau élevé du chômage américain et de la faiblesse continue du secteur immobilier. En particulier, sur les 1.400 milliards de dollars de prêts immobiliers qui arriveront à maturité entre 2010 et 2014, près de la moitié subissent des retards de remboursement ou alors leur valeur excède la valeur du bien immobilier lui-même.

    Futurs défauts bancaires en vue

    Ces chiffres, indiquent les experts du Fonds, suggèrent un risque non négligeable de défauts bancaires à venir. En particulier du côté des banques régionales. Pour ne rien arranger, le rapport s’inquiète d’une détérioration conjoncturelle à court terme, comme le laissent augurer les statistiques du PIB pour le deuxième trimestre (voir ci-dessus). Une reprise plus faible que prévu conjuguée à un resserrement des  conditions de prêt pourraient affecter les capacités de remboursement des ménages et, de ce fait, réduire la demande de crédits future. Le redressement des bilans bancaires et la profitabilité des banques en subiraient les conséquences néfastes.Dans un tel contexte de vulnérabilité, le Fonds recommande à l’administration américaine d’être particulièrement vigilante vis-à-vis de nouvelles détériorations. Se gardant d’appeler à une recapitalisation des banques, le Fonds recommande aux régulateurs de surveiller étroitement les petites institutions qui n’ont pas accès aux marchés financiers.« Nous sommes particulièrement inquiets de la situation parmi les petites et moyennes banques qui sont les plus exposées au secteur immobilier », a relevé Christopher Towe, directeur adjoint du département marchés monétaires et de capitaux du FMI.

    Richard Hiault

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  • Les assassins financiers

    Comment la CIA a favorisé les intérêts économiques américains pendant la guerre froide.

    Après avoir été refusé par de grandes maisons d'éditions, John Perkins a vendu ses mémoires à un éditeur plus modeste, Berrett Koehler, en 2004. Les confessions d'un assassin financier (Ariane, 2005), mélange d'analyse politico-économique et de roman d'espionnage, relate sa participation dans ce qu'il décrit comme un vaste effort entrepris par le gouvernement pour promouvoir les intérêts commerciaux américains à l'étranger. Plus précisément, Perkins affirme que tous les moyens d'intervention, de la simple coopération économique jusqu'aux opérations paramilitaires, étaient destinés à favoriser un seul groupe d'intérêts: les grandes entreprises américaines. Ces Confessions ont rencontré un réel succès auprès des amateurs de théorie du complot du genreRoswell, et sont devenues un best-seller. Sur son site, Berrett affirme avoir vendu 850.000 exemplaires du livre, qui serait donc son plus grand succès. Le Département d'Etat a réagi en publiant Les confessions, ou les divagations, d'un assassin financier, un document qui conteste la plupart des arguments avancés par Perkins pour prouver ses dires.

    Mais les théories du complot ont la vie dure. La réponse du Département d'Etat a-t-elle rétabli la vérité, ou n'est-elle destinée qu'à étouffer l'affaire? Certes, le livre de Perkins tient peut-être davantage de l'œuvre de fiction que de l'enquête objective, et nous ne pourrons probablement jamais vérifier toutes ses histoires d'espionnage, de corruption ou d'aventures scabreuses. Cependant, une de ses affirmations les plus importantes vient d'être confirmée par une équipe d'universitaires tout ce qu'il y a de plus sérieux. Daniel Berger, Bill Easterly et Shanker Satyanath, tous trois professeurs à la New York University, ainsi que l'économiste Nathan Nunn, qui enseigne à Harvard, se sont en effet penchés sur la théorie de «l'assassin financier», selon laquelle le gouvernement américain se serait appuyé sur la CIA pour faire avancer les intérêts de sociétés privées américaines à l'étranger. (Remarquons au passage que ces spécialistes préfèrent parler de «manipulation politique» plutôt que «d'assassin financier»). Après avoir analysé des documents déclassifiés détaillant les opérations secrètes menées par la CIA pendant la guerre froide, nos experts ont conclu que les affirmations de Perkins étaient fondées. Les pays où la CIA est intervenue ont tous importé davantage de produits américains, preuve de l'efficacité de notre impérialisme économique.

    L'étude dirigée par Berger est le produit d'une discipline relativement jeune, l'économie d'investigation (forensic economics), dont l'objectif est de jeter la lumière crue du savoir sur les recoins sombres de l'économie où règnent pour l'instant des rumeurs souvent invérifiables. Ses praticiens ont utilisé leurs talents analytiques pour mettre à jour des entourloupes comme le marchandage de vote par des jurés de patinage artistique, le délit d'initié ou l'influence des liens avec le monde politique sur le destin économique des grandes entreprises aux Etats-Unis et ailleurs.

    Ces travaux sont basés sur le constat que les dessous de table et autres transactions illicites laissent des traces qu'un chercheur consciencieux peut retrouver. Leurs auteurs ne passent pas leur temps à écouter des enregistrements de conversations secrètes entre Richard Helms (le directeur de la CIA sous Nixon) et Augusto Pinochet, le dictateur chilien placé au pouvoir par un coup d'Etat organisé et soutenu par l'administration Nixon. Ils parcourent plutôt les flots de données liés au commerce international afin de déterminer jusqu'à quel point l'intervention de notre gouvernement a bénéficié aux entreprises américaines.

    Doublement des exportations au Chili

    Les auteurs de l'étude ont commencé par établir la liste des années où la CIA était active dans chacun des 156 pays où elle a été présente pendant la guerre froide. Ceci est rendu possible par la récente déclassification de documents détaillant les opérations clandestines menées par la CIA à l'époque où les services secrets américains essayaient d'empêcher l'extension de l'influence soviétique. (De la même façon, le KGB luttait contre le spectre de l'impérialisme américain). Les activités de la CIA allaient de l'intervention directe, quand des agents faisaient sauter un barrage ou «neutralisaient» un «adversaire», aux actions plus mesurées comme la diffusion de propagande ou l'assistance financière aux hommes politiques favorables aux Etats-Unis.

    En parcourant ce catalogue de coups tordus, nos chercheurs se sont tout de même rendu compte qu'entre 1947 et 1986, la CIA a mené des opérations secrètes dans au moins un tiers des pays du monde simultanément, chiffres hallucinant qui devrait apporter de l'eau au moulin de nombreux obsédés du complot. Ces données historiques ont ensuite été recoupées avec le montant des importations et exportations entre les Etats-Unis et chacun de ses partenaires commerciaux au cours de la même période, afin de déterminer si les agissements de la CIA avaient affecté les échanges commerciaux. Le constat est sans appel. Au cours des années où la CIA était active dans un pays, les exportations des Etats-Unis vers cette destination ont augmenté d'environ 13%. Sur plusieurs années, cela représente un gain en volume tout à fait conséquent pour les entreprises américaines. Par exemple, les auteurs de l'étude estiment qu'entre 1973 et 1988, le soutien apporté à Pinochet par Helms et son successeur, James Schlesinger, ont entraîné le doublement des exportations américaines vers ce pays, en comparaison de ce qu'elles auraient été si la CIA n'avait pas été présente.

    Malheureusement pour l'économie chilienne, les Etats-Unis n'ont pas renvoyé l'ascenseur en achetant des produits fabriqués au Chili. Plus généralement, il semble que les activités de la CIA n'aient eu aucun effet sur les exportations des pays concernés. On ne peut pas non plus conclure que les importations augmentaient parce que le capitalisme à l'américaine participait au développement local. En effet, la présence de la CIA ne semble avoir eu aucun effet sur les importations globales, ce qui suggère que les entreprises américaines profitaient de la situation aux dépens des sociétés d'autres partenaires commerciaux des pays concernés.

    Que va dire le Département d'Etat?

    Comment la CIA faisait-elle pour convaincre les gouvernements alliés d'acheter américain? Des analyses complémentaires apportent un certain nombre de réponses à cette question. En premier lieu, nos chercheurs ont découvert que l'augmentation des importations de produits américains apparaissait lorsque la CIA installait ou maintenait au pouvoir un dictateur ou un régime autoritaire. On peut en conclure qu'en démocratie, la volonté des peuples suffisait à contrecarrer l'influence de la CIA. Les exportations américaines n'ont donc pas bénéficié d'interventions plus mesurées comme celles menées au Japon après la guerre, ou comme la tentative avortée de renverser le régime syrien.

    Cela semble expliquer pourquoi la CIA tentait si souvent de mettre en place des dictatures, une conclusion à laquelle parvient une autre étude. Autre point intéressant, les auteurs démontrent que l'augmentation des importations de produits américains se mesurait surtout dans les pays dont l'économie était dirigée par l'Etat. Non, les dictateurs ne distribuaient pas des grille-pain ou des fours à micro-onde à la population. Cela signifie que les Etats-Unis exportaient surtout des centrales électriques, des avions de guerre ou toutes autres marchandises achetées directement par les gouvernements.

    Face à ce faisceau de preuves, le Département d'Etat va avoir du mal à utiliser le terme de «divagations», en tout cas pour ce qui concerne les implications économiques du livre de Perkins. Le gouvernement pourra peut-être contester les chiffres et les statistiques qui en sont tirées. D'ailleurs, cette étude n'a pas encore été validée par les pairs des chercheurs concernés. Mais nos dirigeants pourraient aussi reconnaître, rêvons un peu, que les manipulations économiques exercées par les Etats-Unis furent aussi nombreuses, et graves, que les manipulations politiques dont nous apprenons aujourd'hui l'existence grâce au Freedom of Information Act. Le Département pourrait aussi répondre qu'au 21e siècle, notre politique étrangère est plus démocratique et transparente que celle menée par les barbouzes qui ont fait la guerre froide. Nous pourrons alors demander à des économistes d'investigation comme Berger, Easterly, Satyanath et Nunn de vérifier que c'est bien le cas.

    Ray Fisman

    Traduit par Sylvestre Meininger

    Photo: le siège de la CIA / REUTERS, Larry Downing


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  • Plans sociaux : des reclassements moins efficaces

    Un an après la grosse vague de fermetures de sites liée à la crise, une large proportion de salariés licenciés peinent à reprendre pied sur le marché du travail.

     

    Où sont les emplois un an après ? ». Vendredi, quelque 80 anciens salariés de New Fabris ont déployé cette banderole devant la mairie de Châtellerault (Vienne). Ils entendaient protester contre l'inertie des pouvoirs publics un an après la fermeture du site de l'équipementier automobile. Seule une minorité des 366 salariés a, en effet, retrouvé un emploi en dépit des promesses de Christian Estrosi, le ministre de l'Industrie, de ne laisser personne au bord de la route.

    Le cas des New Fabris ou des Molex (lire ci-dessous) est loin d'être isolé. Un an après la très grosse vague de plans sociaux et de fermetures d'usines, nombreux sont les salariés licenciés pour motif économique à n'être pas parvenus à reprendre pied sur le marché du travail. Seules 48 % des personnes qui ont bénéficié du soutien d'une cellule de reclassement en 2009 ont retrouvé un emploi douze mois après avoir été licenciées, contre 60 % en 2008, selon des données du rapport annuel de performances 2009. Et le taux tombe à 38,1 % pour les bénéficiaires de la convention de reclassement personnalisé (CRP), un dispositif qui avait été créé pour assurer aux salariés licenciés par une entreprise de moins de 1.000 salariés un meilleur suivi de la part de Pôle emploi.

    Plusieurs facteurs expliquent cette médiocre performance. En premier lieu, l'effet volume. Au cours de la seule année 2009, quelque 2.245 plans de sauvegarde de l'emploi (PSE, le nom officiel des plans sociaux) ont été lancés, soit plus de deux fois plus qu'en 2008 (1.061). Et 266.000 nouveaux chômeurs se sont inscrits à Pôle emploi après un licenciement pour motif économique, contre 185.000 en 2008, selon le bilan 2009 « Emploi, chômage, population active » qu'a diffusé vendredi le ministère du Travail. Conséquence, le stock de bénéficiaires des dispositifs d'accompagnement (CRP, cellules de reclassement... ) a explosé. Or, les prestataires - et particulièrement Pôle emploi empêtré dans la fusion ANPE-Assedic - n'étaient pas prêts à absorber un tel afflux.

    UN DISPOSITIF DEFAILLANT

    Second élément, la qualité très variable de l'accompagnement assuré par les cellules de reclassement. En janvier dernier, un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a dressé un bilan critique de ces structures « en particulier quant au nombre et à la qualité des reclassements opérés ainsi qu'à leur coût ». S'appuyant sur une étude menée en Champagne-Ardennes, le CESE relève, par exemple, que 48 % des adhérents ne se souviennent pas que la cellule leur ait proposé des offres d'emploi...

    En dépit des signes récents d'amélioration sur le marché du travail - stabilisation du chômage des jeunes, redémarrage de l'intérim ou net ralentissement du nombre de PSE -, le retour à l'emploi des premières victimes de la crise risque de prendre du temps. Surtout qu'en phase de redémarrage des recrutements, les employeurs ont tendance à embaucher en priorité des chômeurs inscrits depuis peu plutôt que des demandeurs d'emploi de longue durée.

    par Agnès Laurent


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