• Comment taxer nos amis les riches

    Ecrit par
    Jean-Marc VITTORI
    Jean-Marc VITTORI

    Voilà un crime presque parfait ! Alors que le bouclier fiscal est mort, les hommes politiques de gauche et aussi de droite continuent d'en débattre comme s'il était encore vivant, efficace, repoussant les flèches du percepteur. Certes, il existe toujours officiellement un dispositif plafonnant le prélèvement des impôts directs (impôt sur le revenu et sur la fortune, taxes foncières et d'habitation) à 50 % du revenu d'un foyer. Mais ce dispositif est ébréché par la loi sur les retraites, et il va l'être à nouveau par le budget 2011. Ceux qui continuent d'y croire raisonnent en technocrates obsédés par l'impact du troisième chiffre après la virgule. S'ils faisaient l'effort de se mettre dans la tête d'un citoyen fortuné, ils comprendraient aussitôt que le bouclier a disparu. Il faudrait être fou pour renoncer à s'expatrier vers des cieux fiscalement plus cléments au nom d'un bouclier encore neuf et déjà troué ! Le seul effet du dispositif pour les contribuables qui en profitent est désormais un effet d'aubaine.

    On hésite toutefois à le dénoncer haut et fort. Car au pays du bricolage fiscal, quelques têtes bien-pensantes pourraient aussitôt imaginer des pansements pour boucher les trous d'un bouclier lui-même déjà conçu comme une compensation du stupide impôt de solidarité sur la fortune (ISF). A moins de dix-huit mois de l'élection présidentielle, il est hélas peu vraisemblable que l'on s'oriente vers la solution de bon sens qui consiste à supprimer le bouclier et l'ISF en relevant le taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu et éventuellement la taxation des successions. La solution est pourtant envisagée par des hommes politiques de droite et aussi de gauche. Qui savent bien qu'il resterait de quoi s'étriper sur les bancs de l'Assemblée à propos du relèvement du taux marginal à 50 %, de la création d'une supertranche surtaxée de revenus au-delà de 200.000 euros ou d'un accroissement des prélèvements sur les héritages pour s'aligner sur les normes anglo-saxonnes.

    Avec la crise, la taxation des foyers aisés est redevenue un sujet brûlant. Aux Etats-Unis, Barack Obama veut supprimer les allégements d'impôts pour les Américains gagnant plus de 200.000 dollars par an. Au Royaume-Uni, le tory David Cameron a maintenu le relèvement de 40 % à 50 % du taux marginal de l'impôt sur le revenu décidé l'an dernier par le travailliste Gordon Brown. Il n'y a aucune raison que la France échappe au débat. Et il n'y a aucune raison que les riches français soient moins taxés que les riches britanniques. Au contraire : la France étant championne du monde de la dépense publique parmi les grands pays, elle doit aussi être championne du monde de l'impôt. Sauf à devenir championne du monde du déficit, titre périlleux en ces temps de marchés défiants.

    Pour continuer à financer des mégadéficits, il y aurait bien une piste révolutionnaire, explorée par la France il y a un peu plus de deux siècles : l'emprunt forcé. Si l'Etat n'arrivait plus à lever des fonds sur les marchés internationaux, les contribuables seraient forcés de lui prêter de l'argent, dans une proportion augmentant en fonction de leurs revenus. En 1793, alors que les caisses publiques étaient vides, la Convention avait voté un emprunt progressif sur les revenus. « Tu es riche […], je veux que tu prêtes ta fortune à la République », avait lancé lors des débats le pourtant modéré négociant en toile Pierre-Joseph Cambon, financier réputé, celui-là même qui a donné son nom à la rue parisienne où est aujourd'hui installée la Cour des comptes. A l'époque, l'emprunt n'avait finalement pas pu être levé, comme le racontait à la fin du XIX e siècle le théoricien anarchiste Pierre Kropotkine : « Comment le prélever sur les riches qui ne voulaient pas payer ? La saisie ? La vente ? Mais cela demandait tout un mécanisme, et il y avait déjà tant de biens nationaux mis en vente ! » Aujourd'hui, il y a beaucoup plus d'argent qui circule. Il serait par exemple plus facile de créer une conduite forcée sur les tuyaux par lesquels les Français épargnent 200 milliards d'euros par an. L'emprunt forcé, une idée baroque ? C'est pourtant exactement ce que sont en train de faire les Etats avec les nouvelles règles de prudence imposées aux banquiers et aux assureurs, qui vont de facto les contraindre à acheter davantage d'obligations notées AAA -c'est-à-dire émises en très grande majorité par… les Etats.


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  • Un tiers des familles monoparentales sont pauvres

     

    13 % des Français vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2008, soit avec moins de 950 euros par mois, selon une étude publiée aujourd'hui par l'Insee. Cela représente 7,84 millions de personnes.

     


     

    Les associations d'aide aux personnes en difficulté le constatent tous les jours sur le terrain : les mères de famille sont nombreuses à venir leur demander de l'aide. L'Insee a mesuré ce phénomène dans une étude sur les niveaux de vie rendue publique aujourd'hui. En 2008, 30 % des familles monoparentales -  « le plus souvent constituées d'une mère et de ses enfants » -étaient pauvres, soit plus de 1,6 million de personnes.

    Fixé conventionnellement à 60 % du niveau de vie médian de la population, le seuil de pauvreté était de 949 euros par mois en 2008. 13 % des Français vivaient sous ce seuil, soit 7,84 millions de personnes. Sur ce total, la moitié avait un niveau de vie inférieure à 773 euros mensuels. Si les familles monoparentales sont les plus concernées, les couples sans enfants sont les moins touchés (6,7 %).

    Un taux de pauvreté stable

    Malgré les débuts de la crise, le taux de pauvreté a un peu baissé pour l'ensemble de la population (13,4 % en 2007) comme pour les familles monoparentales (30,2 % en 2007). Certes, les stabilisateurs automatiques (allocations chômage, prestations sociales…) ont atténué les effets conjoncturels. Mais l'Insee explique aussi ce repli par le report de la date d'actualisation des ressources des allocataires de la Caisse nationale des allocations familiales de juillet à décembre, qui a permis à certains de bénéficier exceptionnellement de prestations sociales tout au long de l'année et de passer au-dessus du seuil de pauvreté. « Une fois cet effet isolé, le taux de pauvreté peut être considéré comme stable », précise l'étude. Ce taux avait décru de 1996 à 2004 (passant de 14,5 % à 12,6 %) avant de se stabiliser autour de 13 %. Nicolas Sarkozy s'est engagé à l'abaisser d'un tiers au cours de la législature.

    Sur un an, le niveau de vie médian des Français a progressé de 1,7 % en tenant compte de l'inflation. Correspondant au revenu disponible du ménage (net des impôts directs) divisé par le nombre d'unités de consommation (un coefficient appliqué pour chaque membre du foyer  : une part pour le premier adulte d'un ménage, 0,5 pour le second et les jeunes de plus de 14 ans, 0,3 pour les enfants), il s'est élevé à 1.580 euros mensuels (18.990 euros par an), partageant la population en deux moitiés de part et d'autre de ce niveau.

    Le niveau de vie des 10 % les plus modestes est inférieur à 877 euros par mois, tandis que celui des 10 % les plus aisés est 3,4 fois plus élevé (à 2.962 euros par mois, + 2 %). Cet écart est le même qu'en 2007, l'Insee notant par ailleurs que, depuis 1996, « les inégalités ainsi mesurées ont peu évolué ».

    F. S., Les Echos

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  • Peut-on résister aux marchés ?

     

    Il y a deux ans, les Etats sauvaient les marchés financiers de la débâcle. Aujourd'hui, ces mêmes marchés menacent les Etats, au moins certains d'entre eux. Plus encore que l'arrogance de tous ceux qui n'ont rien appris et tout oublié, ce rapprochement choque. Il nourrit le sentiment que rien n'a changé, sinon en pire : que les gouvernants ont beaucoup gesticulé mais peu réformé, qu'involontairement ou volontairement, les Etats ont manqué leur fenêtre de tir et que, désormais affaiblis, ils sont à la merci de ceux-là mêmes qui quémandaient hier leur assistance.

    Cette vision des choses mérite d'être nuancée, pour deux raisons : d'abord parce qu'il est faux de penser que rien n'a été fait en matière de réforme financière ; ensuite parce que la symétrie entre Etats et marchés est trompeuse. Prenons ces deux questions une à une.

    Dans un récent papier publié par l'institut Bruegel, Stéphane Rottier et Nicolas Véron ont tenté de mesurer les progrès accomplis en matière de régulation financière, sur la base du programme fixé en novembre 2008 à Washington, lors du premier G20. Ils montrent que celui-ci a été inégalement mis en application, et relèvent l'écart entre les actions confiées à des organisations internationales fortes et celles pour lesquelles on s'est borné à appeler à la coordination entre autorités nationales. Mais, au total, l'acquis est loin d'être nul : en particulier, les Etats-Unis ont voté en juillet une réforme financière d'ampleur, l'Europe a trouvé un accord politique sur la sienne, et les régulateurs bancaires viennent de se mettre d'accord sur un durcissement substantiel de la réglementation du risque de crédit.

    Le programme de Washington (qu'avait signé George W. Bush) n'était cependant ni très ambitieux ni très structuré. Il ne visait pas la domestication de la finance, et surtout il ne s'inspirait pas d'une analyse bien profonde de la crise. Pressés d'agir et parce qu'ils ne savaient pas quelles pistes privilégier, les Etats s'étaient donné une longue liste quelque peu hétéroclite. N'y figuraient pas les idées plus radicales qui ont émergé plus tard dans le débat, comme la règle dite de Volcker, qui introduit une séparation entre banques et fonds spéculatifs, désormais inscrite dans la législation américaine, ou la création d'un mécanisme de résolution des faillites bancaires par transformation quasi automatique en actions des créances obligataires détenues sur les banques, une option sérieusement à l'étude dans plusieurs pays. N'y figurait pas non plus le sujet controversé de la taille des banques.

    La réforme financière est donc inachevée. Cependant, l'un des points positifs des derniers mois est la création d'institutions publiques plus fortes, capables d'alimenter la réforme dans la durée, et aussi de la mettre en oeuvre.

    C'est ici qu'intervient la deuxième question : en prenant le temps de réfléchir, n'a-t-on pas gâché l'opportunité politique de porter le fer, n'a-t-on pas laissé la finance reprendre la haute main sur les Etats ? Le rapport de forces n'est certainement plus ce qu'il était il y a deux ans. Pour autant, il ne va pas de soi que la capacité de réguler des Etats soit gravement entamée par leur statut d'emprunteur. La Grèce a quasiment perdu l'accès au marché des capitaux, mais l'Allemagne n'a jamais emprunté à de meilleures conditions. Et cela n'empêche ni l'Union européenne ni le G20 de réguler.

    Surtout, de la même manière que nous avons appris à distinguer entre l'Etat actionnaire et l'Etat régulateur, et compris qu'il faut le faire précisément parce que les initiatives de l'un ne coïncident pas nécessairement avec les intérêts de l'autre, il faut aujourd'hui savoir séparer l'Etat emprunteur de l'Etat régulateur financier. Il serait grave que les gouvernements qui exigent des institutions financières plus de prudence dans la gestion des risques leur demandent dans le même temps de négliger le risque qu'ils peuvent eux-mêmes présenter.

    Même si cela paraît injuste, il est au contraire logique d'attendre des agences de notation, qui s'étaient montrées négligentes dans l'évaluation des risques de crédit, d'être aujourd'hui rigoureuses dans l'appréciation de tous les risques, y compris souverains.

    L'histoire n'est donc pas écrite, ni le vainqueur désigné. La réforme financière peut encore s'enliser. Mais il est trop tôt pour annoncer sa déroute.

    Jean Pisani-Ferry

    est économiste et directeur de Bruegel, centre de recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe.


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