• Le chemin vers une économie à faible émission de carbone

    Jeffrey D. Sachs

     

     

    NEW-YORK – La production d'énergie à partir de la combustion du pétrole, du gaz naturel ou du charbon s'accompagne de fortes émissions de dioxyde de carbone (CO2), le principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique d'origine humaine. C'est pourquoi la réussite de la lutte contre ce réchauffement dépend du passage à une production d'électricité à faible émission de CO2, en ayant recours à l'énergie solaire, nucléaire ou à celle du vent, ainsi qu'à des centrales électriques à charbon qui capturent et stockent les émissions de CO2.

    Le problème politique est simple. Le charbon est moins cher et plus simple d'utilisation que les autres sources d'énergie. Il est bon marché parce qu'il est abondant. Il est plus facile à utiliser que le vent ou l'énergie solaire, car il permet de produire de l'électricité à tout moment, indépendamment des conditions climatiques.

    Pour sauver la planète, nous devons encourager les producteurs d'énergie à se tourner vers des sources d'énergie à faible émission de carbone, même si le charbon est moins cher et plus facile à utiliser. Le moyen évident pour cela est de créer un impôt sur le charbon ou d'exiger des producteurs d'électricité qu'ils achètent une licence les autorisant à utiliser le charbon – le montant de l'impôt ou de la licence étant suffisamment élevé pour les inciter à adopter des sources d'énergie propres.

    Supposons que le coût de l'électricité provenant d'une centrale à charbon classique soit de 6 cents par kilowatt-heure et celui provenant de l'énergie solaire de 16 cents. La taxe sur l'électricité provenant d'une centrale à charbon devrait donc être de 10 cents par kilowatt-heure. Dans ce cas, le prix payé par le consommateur serait le même, 16 cents par kilowatt-heure, quelle que soit l'origine de l'électricité. Les compagnies d'électricité passeraient donc à l'énergie solaire, avec cependant comme conséquence dans cet exemple de multiplier par plus de 2 le prix de l'électricité.

    Craignant un retour de bâton de la part de l'opinion publique, les dirigeants politiques ne sont guère enclins à établir un impôt de ce genre. C'est ce qui bloque depuis des années l'avancée des USA vers une économie à faible émission de carbone. Néanmoins, plusieurs pays européens appliquent avec succès le concept de "feed-in tariff" qui représente une solution politiquement acceptable à long terme.

    Dans ce cadre, plutôt que de taxer les sources d'énergie à forte émission de carbone, l'Etat subventionne les sources d'énergie à faible émission de carbone. Dans notre exemple, l'Etat verserait une subvention de 10 cents par kilowatt-heure à la centrale solaire, autrement dit, la différence entre le prix de 6 cents payé par le consommateur et le coût de production de 16 cents. Pour le consommateur, le prix est le même, par contre l'Etat doit financer d'une manière ou d'une autre la subvention.

    Il existe encore une autre solution. Supposons que l'on crée un petit impôt sur les centrales à charbon pour financer les subventions en faveur de l'énergie solaire et que l'on augmente progressivement le prix de l'électricité parallèlement à l'expansion des centrales solaires. Le prix facturé aux consommateurs passerait progressivement de 6 cents par kilowatt-heure à 16 cents, le coût de production, sur une période qui pourrait être d'une quarantaine d'années (la durée de vie des centrales à charbon les plus récentes).

    Supposons aussi qu'en 2010 toutes les centrales électriques soient à charbon et que le prix facturé au consommateur soit de 6 cents par kilowatt-heure et qu'en 2014 le dixième de la transition à l'énergie solaire prévue sur 40 ans ait été effectuée. Le prix facturé au consommateur aura donc augmenté de 10%, passant de 6 cents à 6,6 cents par kilowatt-heure, pratiquement 7 cents (dans l'attente de 16 cents au bout de 40 ans). La taxe sur le charbon sera alors de 1 cent par kilowatt-heure, ce qui permettra de financer la subvention de 9 cents par kilowatt-heure en faveur de l'énergie solaire. Cette subvention, plus les 7 cents payés par le consommateur couvrent les frais de production de 16 cents par kilowatt-heure. Autrement dit une petite taxe sur le charbon peut financer une subvention importante en faveur de l'énergie solaire.

    Supposons pour continuer qu'en 2030 le passage à une économie à faible émission de carbone soit réalisé à 50% ; le kilowatt-heure serait alors vendu 11 cents, la valeur médiane entre 6 et 16 cents. La taxe sur le charbon serait alors de 5 cents par kilowatt-heure, de manière à couvrir la subvention en faveur de l'énergie solaire de 5 cents par kilowatt-heure (la différence entre le coût de production de 16 cents par kilowatt-heure et le prix de vente de 11 cents).

    Supposons enfin qu'en 2050 le passage à une production d'électricité à faible émission de carbone soit entièrement réalisé. Le prix de vente du kilowatt-heure serait de 16 cents, le montant des frais de production de l'énergie solaire qui n'aurait plus besoin d'être subventionné.

    Cette solution permet de n'augmenter que progressivement le prix de l'électricité, tout en poussant fortement au passage à l'énergie solaire. Et cela, sans incidence sur le budget de l'Etat, car dans ce cas de figure, l'énergie solaire est subventionnée par la taxe sur le charbon. 

    Dans la réalité le passage à l'électricité d'origine solaire sera plus facile que dans cet exemple. Elle coûte aujourd'hui 10 cents de plus par kilowatt-heure que celle provenant de centrales au charbon, mais en raison des progrès technologiques qui seront réalisés, elle sera beaucoup moins chère dans l'avenir. De ce fait, dans 10 ou 20 ans les subventions seront plus faibles que dans notre exemple.

    Aux USA, en Australie et ailleurs, le débat sur l'énergie se focalise  sur l'introduction d'un système assez lourd de plafonnement et d'échanges de droits d'émission de CO2. Dans ce système, tout utilisateur important de sources d'énergie fossile doit acheter un permis d'émission de CO2, permis pouvant être échangé sur un marché spécialisé. Cela revient à payer une taxe sur les émissions de CO2.

    Malheureusement ce système est difficile à gérer et ne permet pas véritablement de prévoir l'évolution du prix des permis. L'Europe est déjà dotée d'un tel système, mais il est souvent rejeté ailleurs. Or l'Europe doit ses plus grands succès en matière d'énergie à faible émission de carbone à ses "feed-in tariffs" et à une taxe sur le carbone dans certains pays, plutôt qu'à son marché sur les droits d'émission.

    Le moment est venu pour les USA, la Chine, l'Inde et les autres pays importants de dire comment ils vont passer d'une économie à forte émission de carbone à une économie à faible émission. Une petite taxe sur les émissions de carbone qui augmenterait progressivement et servirait à subventionner les énergies propres pourrait avoir le soutien de l'opinion publique aux USA et avoir un effet d'entraînement sur les autres grandes économies qui reposent sur le charbon, comme la Chine et l'Inde.

    Face au réchauffement climatique d'origine humaine, il existe des solutions efficaces à long terme et politiquement acceptables. Le moment est venu de les adopter.

    Jeffrey D. Sachs est professeur d'économie et directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU en ce qui concerne les Objectifs du millénaire pour le développement.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org

    Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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  • L’humiliation de la Grande-Bretagne

    J. Bradford DeLong

     

     

    BERKELEY – A la fin 2008, au moment où la crise financière a frappé l’économie mondiale de plein fouet, les pays se sont divisés en deux groupes : ceux dont les dirigeants ont décidé de se débrouiller tant bien que mal, et la Chine. Les Chinois furent les seuls à prendre au sérieux l’argument de Milton Friedman et de John Maynard Keynes qui veut que face à la possibilité d’une dépression, le gouvernement doit en tout premier lieu intervenir stratégiquement sur les marchés financiers et des biens et des services pour maintenir le niveau de la demande agrégée.

    Ensuite, au début 2010, les pays qui se débrouillaient tant bien que mal se divisèrent à leur tour en deux groupes : ceux dont la légitimité gouvernementale était intacte continuèrent à se débrouiller, tandis que d’autres pays, comme la Grèce et l’Irlande, dont la légitimité gouvernementale était affaiblie, n’eurent pas d’autre choix que de suivre une cure d’austérité et tenter de rétablir la confiance fiscale.

    Aujourd’hui, une nouvelle division s’opère, entre les pays qui continuent à se débrouiller du mieux qu’ils le peuvent, et la Grande-Bretagne. Même si la légitimité gouvernementale britannique n’est en rien altérée, l’administration du Premier ministre David Cameron s’apprête à mettre en ouvre sur plusieurs années des mesures qui constitueront peut-être la plus importante contraction fiscale connue – un plan qui vise à réduire le déficit budgétaire de 9 pour cent du PIB en quatre ans.

    Jusqu’à présent, la Chine est le pays qui se sort le mieux de la crise financière. Les pays qui se débrouillent sont à la traîne. Et ceux dont la confiance en l’endettement du gouvernement est ébranlée, obligeant le gouvernement à appliquer une politique d’austérité, sont ceux qui s’en sortent le moins bien.

    La question qui se pose maintenant est la suivante : la Grande-Bretagne – dont la confiance en son gouvernement est intacte et dont l’austérité n’est pas forcée, mais choisie – rejoindra-t-elle les autres pays dans le bas du panier en servant d’avertissement tragique ?

    Le gouvernement Cameron soutenait auparavant que sa politique produirait un boom économique en induisant l’apparition de la Fée Confiance qui réduirait fortement les taux d’intérêt à long terme, tout en provoquant un accroissement massif des dépenses en investissements privés. Il a aujourd’hui abandonné ce discours et l’a remplacé par l’argument disant qu’ignorer la rigueur budgétaire conduirait au désastre. Comme l’a dit le ministre des Finances George Osborne :

    « Le budget d’urgence adopté en juin a été le moment où la crédibilité fiscale a été rétablie. Nos taux d’intérêt ont presque atteint un plus bas record. La note de crédit de notre pays a été préservée. Et le FMI, après avoir lancé des avertissements à la Grande-Bretagne, a aujourd’hui qualifié notre budget « d’essentiel ». Il est temps que nous mettions en ouvre certaines des décisions clés prévues par ce budget. Reculer aujourd’hui risque d’acculer notre pays à la ruine ».

    Mais si vous demandez aux partisans du gouvernement britannique pourquoi il n’existe aucune alternative à la réduction drastique des dépenses du gouvernement et à la hausse des impôts, leurs réponses sont confuses et incohérentes. Ou peut-être ne font-ils que répéter des arguments sans pouvoir les étayer par une réflexion approfondie.

    Pourquoi ne pas continuer à accepter des déficits budgétaires importants jusqu’à ce que la reprise économique soit assurée ? Bien sûr, la dette publique s’accroîtra et les intérêts de la dette devront être payés, mais le gouvernement britannique peut contracter des emprunts à des conditions extraordinairement favorables. Lorsque les taux d’intérêt sont bas et que vous pouvez emprunter à des conditions favorables, le marché vous dit de maintenir les dépenses publiques et de repousser à une autre échéance les augmentations d’impôts.

    Les partisans de l’austérité budgétaire rétorquent que le crédit du gouvernement pourrait s’effondrer et qu’il pourrait être contraint de refinancer sa dette à des conditions défavorables. Pire, le gouvernement pourrait être dans l’incapacité de refinancer sa dette et devrait alors réduire les dépenses et augmenter fortement les impôts.

    Mais c’est précisément ce que fait le gouvernement britannique aujourd’hui. Comment l’éventualité de voir le gouvernement contraint à une consolidation fiscale radicale peut-elle devenir une justification pour prendre ces mesures immédiatement, sans contrainte extérieure et avant que la reprise soit en bonne voie ?

    Il est vrai que dans les années 1970, la confiance dans le gouvernement britannique s’était  effondrée, l’obligeant à emprunter au FMI de manière à ce que les dépenses puissent être réduites et les impôts augmentés, graduellement au lieu de brutalement. Mais c’est précisément pour cette raison que Keynes et Harry Dexter White ont souhaité la création du FMI. Un programme du FMI restaure la confiance dans la santé fiscale des gouvernements dans lesquels le marché n’avait plus confiance. Les prêts du Fonds permettent que les réductions des dépenses et les augmentations des impôts au long et moyen termes se fassent à un moment plus approprié.

    Emprunter auprès du FMI peut être perçu comme un recours humiliant pour les gouvernements. Mais les entreprises établissent tout le temps des lignes de crédit pour parer à toute éventualité et ne pensent pas qu’il est humiliant de s’en servir en cas de difficultés. Et qu’y a-t-il vraiment de si humiliant à emprunter auprès de ses propres citoyens ?

    Les Britanniques, comme le sait très bien Osborne, sont prêts à prêter massivement à leur gouvernement, et à des conditions plus favorables que celles du FMI. Et si l’on s’inquiète que les Britanniques changent d’avis, nul doute que les princes de Wall Street, les barons de Canary Warf ou le secrétaire au Trésor américain Tim Geithner seront prêts à vendre des contrats dérivés pour protéger la Grande-Bretagne contre les risques de change pour plusieurs années à venir.

    Emprunter auprès de ses citoyens est particulièrement peu humiliant quand votre économie est en récession, quand les taux d’intérêts auxquels vous pouvez emprunter sont particulièrement bas et que tous les raisonnements économiques invitent à dépenser maintenant et à imposer plus tard.

    Ce qui est par contre humiliant est d’avoir un gouvernement qui supprime un demi million d’emplois dans le secteur public et qui provoque la perte d’un autre demi million d’emplois dans le secteur privé. Dans une économie de 30 millions d’emplois, cela signifie un accroissement du taux de chômage de 3,5 pour cent – à un moment où il n’y a pas de croissance de la demande de la part du secteur privé pour prendre le relais. Ce n’est vraiment pas l’heure de gloire de la Grande-Bretagne.

    J. Bradford DeLong, ancien sous-secrétaire du Trésor américain, est professeur en sciences économiques à l’université de Californie à Berkeley et chercheur associé du Bureau national de  recherche économique.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Julia Gallin

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  • Nous sommes au cœur d’une crise de l’économie réelle (1/5)
    LA CRISE N'EST PAS FINIE - 2007-2010: voici trois ans que notre économie est en crise. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes étudie la période récente et nous livre son diagnostic: pour en sortir, il va falloir régler des problèmes structurels graves.
     

    Lorsque, dans quelques années, l’on réexaminera cette période, on s’apercevra que jamais le monde ne fut confronté à un tel transfert d’activités des pays de l’OCDE vers les pays émergents. Pourquoi une telle brutalité dans ces mouvements, source de tensions macro-économique insoutenables? Parce qu’il n’existait aucun instrument de régulation à l’échelle mondiale capable d’assurer la transition nécessaire. Et les raisons de ce qui restera comme une crise majeure de l’économie mondiale trouvent leur origine dans l’histoire des vingt dernières années.

    Souvenez-vous du socialisme de marché

    En effet, il y a une vingtaine d'années, avant la chute du mur de Berlin, les économistes débattaient de la confrontation entre capitalisme et socialisme avec la vision simplificatrice de deux systèmes en compétition, homogènes l'un et l'autre. Et puis, tout cela s'est évanoui dans la disparition du bloc soviétique et nous avons progressivement admis que l'économie de marché s'était totalement et définitivement imposée, créant ainsi les conditions d'émergence d'un capitalisme mondial.

    Les maîtres mots étaient tous rattachés à l'idée même du marché: dérégulation, déréglementation, financiarisation, mondialisation. Dans la réalité, nous avions totalement assimilé, à tort, les concepts de marché et de capitalisme en oubliant des expressions du passé comme celles de socialisme de marché. Souvenez-vous, il s'agissait de faire cohabiter l'objectif d'un avenir, collectivement imaginé et décidé avec un fonctionnement quotidien du marché nécessaire au bien-être du consommateur. Tout cela n'a pas pour objet de développer la nostalgie des années 1960-70, mais de rappeler que socialisme et capitalisme sont des concepts multiples et, en réalité, séparés de celui de marché. L'enjeu est de taille, puisque si l'on retrouve une véritable conceptualisation spécifique du capitalisme comme mode d'appropriation et de régulation, notamment institutionnel du capital, on peut légitimement considérer qu'il n'y a pas une entité unique et donc qu'il y a possibilité de confrontations. C'est dire si le sujet est fondamental, puisque derrière ce qui pourrait apparaître comme un débat théorique, c'est une vraie hypothèse sur l’origine de la crise.

    Des formes nouvelles émergèrent, mais elles ne peuvent, aujourd'hui, définitivement établir le clivage principal entre capitalisme anglo-saxon, familial ou paraétatique. C'est le monde anglo-saxon qui bénéficia le plus de la phase de généralisation de l'économie de marché, s'insérant partout, en Europe centrale, en Russie en établissant une sorte de pouvoir sans partage, non seulement dans les pays fondateurs, mais partiellement dans l'ensemble de l'Europe continentale. Tout cela donna le sentiment que l'affaire était jouée et que le monde était définitivement engagé dans une homogénéisation parfaite. Faux, puisque le capitalisme paraétatique était la règle dans nombre de pays émergents. C’est connu en Chine et en Russie, cela l'est moins en Amérique du Sud.

    Les capitalismes responsables de la crise

    On le voit, le tableau était bien complexe, très incertain et sans que la règle de la convergence des modèles économiques ne soit si évidente que cela. Oui, la vraie origine de cette crise réside dans l’incapacité des multiples formes de capitalismes, largement en confrontation, de trouver des lieux de négociation, de conciliation parce que ceux qui existent, FMI, Banque mondiale, G8 sont datés, inaptes à permettre aux nouveaux rapports de force de s’exprimer. Et c’est ainsi que la crise de l’énergie, et celles de l’OMC, n’ont pas encore aujourd’hui trouvé de solutions.

    En réalité, la crise financière est survenue dans des économies déjà fortement fragilisées par le choc des prix des matières premières survenu durant les précédentes années. La hausse du prix des matières premières, tout particulièrement celle du pétrole, a été continue à partir de la reprise américaine de 2002 et a accompagné l’exceptionnelle croissance mondiale 2002-2007. Elle contraste fortement avec la tendance baissière de la plupart des produits de base dans les années 1980 et 1990 (Helbling et al., 2008).

    Dès 2005, les spécialistes identifiaient l’existence d’un choc des matières premières, du pétrole aux métaux en passant par le caoutchouc et les céréales (Chalmin, 2005). Ce choc s’est ensuite encore amplifié, la hausse s’accélérant jusqu’au pic de mi-2008. Le prix du pétrole est exemplaire de ce choc, en passant d’environ 30 dollars le baril  en 2002, au moment de la reprise américaine, à 60 dollars début 2007, pour atteindre le pic de 146 dollars en juillet 2008, puis pour redescendre à 47 dollars en janvier 2009. Un indice du prix des matières premières montre une évolution semblable, le prix étant multiplié par 1,5 entre 2002 et 2007, puis encore par 1,5 jusqu’au pic de juillet 2008.

    Les céréales, qui constituent le premier maillon de la chaîne alimentaire, ont suivi la même évolution. Le blé détient le record de progression, d’environ 120 dollars la tonne à 400-450 dollars au moment du pic. La flambée est semblable pour le riz, un peu moins forte pour le maïs. L’indice général des produits alimentaires, calculé par les spécialistes de la FAO à partir des prix de 55 produits différents représentatifs du marché, a quant à lui augmenté de 54% entre mai 2007 et mai 2008. Le pétrole était au plus haut quelques semaines après les flambées céréalières et leurs cortèges d’émeutes de la faim. A partir de mi-juillet, s’est amorcée une baisse des prix qui s’est ensuite accélérée. Au début 2009, la baisse atteignait environ 70% pour le pétrole et les métaux, environ 50% pour les céréales. Cet exemple de volatilité extrême, jouant successivement sur l’investissement des entreprises productrices puis sur le pouvoir d’achat des ménages est l’illustration parfaite des dérèglements de l’économie réelle. 

    Jean-Hervé Lorenzi

    La guerre des monnaies, dernière étape de la crise


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