• DOMINIQUE CERUTTI

    « Loin de reculer, l’opacité des marchés financiers a augmenté »  

    Transfuge d’IBM, le nouveau patron de Nyse Euronexten Europe milite pour plus de transparence sur les marchés financiers.  Il fonde de grands espoirs sur la refonte en cours de la réglementation européenne.

    Vous êtes à la tête de Nyse Euronext en Europe depuis exactement cent jours aujourd’hui. Pourquoi avoir choisi de quitter IBM pour rejoindre la finance en pleine crise ?

    Je conçois que ma candidature à ce poste n’allait pas forcément de soi. Bien que connaissant cette industrie, je ne faisais pas partie de l’univers des marchés, de la banque et des opérateurs de Bourse. A ce moment-là, la presse insistait d’ailleurs sur mon profil d’ingénieur. Mais c’est surtout pour mon parcours de dirigeant d’entreprise au sein d’IBM que j’ai intéressé Nyse Euronext. La carrière que j’ai eue dans cette entreprise est peu fréquente pour un non-Américain. J’ai dirigé la branche IBM Global Services en Emea (Europe, Moyen-Orient, Afrique), première société de services en Europe et dans le monde, puis les opérations d’IBM en Europe. J’ai largement contribué, aux côtés du président d’IBM Corp., à repositionner et globaliser la société.Dans les discussions que j’ai eues avec Duncan Niederauer, CEO, et le conseil d’administration de Nyse Euronext, il y avait d’abord cette même volonté de renforcer l’équipe dirigeante pour poursuivre le repositionnement, l’adaptation et la globalisation de nos activités. Même si elle ne constitue pas une fin en soi, la technologie, l’un de mes domaines d’expertise, peut y contribuer lorsqu’elle se combine à une expertise métier. Puis je souhaitais participer à l’un des grands défis auxquels la planète est confrontée aujourd’hui. La rénovation de la finance mondiale en fait partie.

    Cette rénovation de la finance mondiale est-elle, selon vous, bien engagée ?

    Elle est en bonne voie. Si l’on porte un regard historique, la finance a toujours été vilipendée au cours des crises successives. La crise que nous venons de traverser, qui est issue d’une accumulation de dérives macro-économiques, est certainement la plus grave que l’on ait connue, de par son ampleur et le caractère global de la finance. Elle a suscité une prise de conscience sans précédent. Jamais le besoin de renforcer la régulation et la supervision du monde financier n’aura été ressenti aussi fortement. Jamais un tel ralliement ne s’était produit entre le monde politique, les régulateurs et les opérateurs. Les débats sont vifs, y compris dans le domaine qui me concerne en premier lieu, celui des opérateurs boursiers.

    Le temps passe et pourtant aucune réforme d’ampleur n’a encore été  décidée. Les régulateurs n’ont-ils pas perdu la bataille ?

    Les régulateurs, l’AMF en tête, s’accordent sur la nécessité d’améliorer le cadre actuel et de renforcer la transparence et la régulation des marchés. Ils font un travail difficile qui nécessite un effort de coordination internationale sans précédent. L’objectif est d’offrir plus de sécurité sans pour autant surréguler. Si je prends l’exemple du secteur des marchés financiers, je constate que le vrai débat commence à être posé : celui entre opacité et transparence. Car, loin de reculer, l’opa-cité a augmenté significativement depuis deux ans sur les marchés. Sur le seul marché des actions, elle a doublé en deux ans. Les transactions de gré à gré représentent aujourd’hui plus de 40 % de l’activité. Cette part est très largement supérieure pour l’ensemble des produits financiers échangés chaque jour sur la planète.

    Comment en est-on arrivé là ?

    L’introduction, il y a deux ans, de la directive européenne MIF [marchés d’instruments financiers, NDLR] a complètement changé les règles du jeu, jusqu’alors plutôt favorables aux Bourses traditionnelles qui bénéficiaient d’une situation de quasi-monopole. Cette directive avait des buts louables : la baisse des coûts d’exécution et des coûts d’accès au capital. Mais, en se concentrant uniquement sur la concurrence et la baisse des tarifs de l’exécution et de la compensation, la directive MIF nous a plongés dans un environnement concurrentiel sans équivalent dans aucune autre industrie. Et ce, tout en créant une série de phénomènes potentiellement dangereux et de distorsions suscitées par une fragmentation incontrôlée du marché.

    Pensez-vous aux « dark pools » ?

    Les « dark pools » [plates-formes d’échanges de blocs opaques, NDLR] ont à l’origine une raison d’être légitimes, qui consiste à ne pas déstabiliser le marché du fait de la taille importante des blocs qui y sont échangés. Or une dérive s’est produite à coups d’exemptions : ces plates-formes traitent désormais des ordres de toute taille, source d’une plus grande opacité pour le marché. Autre dérive : les « crossing networks » [système d’échange de titres au sein d’une même institution bancaire, NDLR], qui captent de plus en plus de volumes sur les marchés d’actions. L’opacité sur ces systèmes est quasi complète, de l’exécution des ordres jusqu’aux activités de publication des tran-sactions, avec de simples données agrégées, largement insuffisantes et très peu trans-parentes. Cela pose trois questions : la première liée au risque systémique, la deuxième à la protection des investisseurs et à la transparence de la formation des prix et la dernière liée à une concurrence équitable. Nous participons au débat en cours « transparence versus opacité » en faisant valoir nos positions auprès de la Commission, même si nous ne nous battons pas avec les mêmes moyens que d’autres grands acteurs. Les établissements bancaires internationaux disposent de plusieurs centaines de lobbyistes à Bruxelles, quand les entreprises de marché n’en ont tout au plus qu’une petite dizaine.

    De nombreux émetteurs se plaignent de ne pas savoir qui détient leurs titres. Que leur répondez-vous ?

    Je les comprends. C’est directement lié à la fragmentation des marchés née de la directive MIF. Elle n’a profité ni aux sociétés cotées ni même aux investisseurs finaux. Cela milite en faveur d’une plus grande transparence et d’une meilleure régulation des marchés.

    Parvenez-vous à être entendu sur ces sujets ?

    Nous portons dans nos gènes le fait d’être un marché régulé, neutre et transparent. Notre parole est donc légitime. Quel degré d’opa-cité sommes-nous prêts à accepter sur les marchés et comment éviter les dérives ? Les autres questions soulevées dernièrement, comme les échanges de haute fréquence, qui au passage sont une activité parfaitement transparente, source de liquidité et d’efficience sur les marchés, sont, d’après moi, des sujets secondaires, à quelques mois de la révision de la directive MIF. La Commission semble l’avoir compris. Les dirigeants de plusieurs grands établissements que j’ai rencontrés au cours des derniers mois, notamment en France, ne sont pas hostiles à une approche de cette nature.

    Dans ce contexte, quel peut être l’avenir des Bourses traditionnelles ?

    Je suis optimiste. Les débats actuels sur le développement des activités de gré à gré devraient plutôt nous être favorables. Ils pourraient déboucher sur des incitations à traiter ces activités sur des plates-formes réglementées et renforcer les obligations de contrôle. La plupart des places boursières sont désormais bien armées pour faire face à la concurrence des MTF [plates-formes de négociations alternatives, NDLR], qui ne sont pas rentables alors qu’elles ne sont pas soumises, loin de là, aux mêmes exigences que les marchés réglementés. Nos systèmes informatiques, nerf de la guerre dans notre industrie, répondent à des exigences réglementaires très élevées et ont désormais atteint des niveaux de résilience et de performance extraordinaires. Pour gagner ce défi technologique, Nyse Euronext s’est engagé dans une profonde mutation technologique et opérationnelle qui porte aujourd’hui ses fruits. Nous continuons enfin à surveiller nos coûts, avec des économies récurrentes de l’ordre de 450 millions de dollars par an depuis 2007.

    La place de Paris a-t-elle un avenir dans la nouvelle configuration des marchés que vous appelez de vos vœux ?

    Oui, la place de Paris peut et doit avoir un avenir. Il lui faut un agenda réaliste, qu’elle dispose d’une feuille de route claire et qu’elle affiche encore plus de cohésion. De nombreux acteurs œuvrent en ce sens. Nous pouvons rivaliser avec la City, si nous parvenons à une même unité de vues sur certains sujets clefs entre les principaux acteurs de la place : investisseurs, émetteurs, intermédiaires, etc. A côté de Paris Europlace, Nyse Euronext entend jouer son rôle d’entreprise de marché. Nous avons la chance d’avoir une ministre des Finances, Christine Lagarde, qui s’est investie pleinement dans ce dossier en soutenant par exemple l’émergence d’un marché d’obligations d’entreprises pour la zone euro et un accès facilité des PME à l’épargne publique.

    La fusion Nyse et Euronext devait notamment se traduire par un  accroissement du nombre des introductions de grandes valeurs internationales. Où en est-on ?

    Les introductions en Bourse dépendent de l’environnement macroéconomique général. Or celui-ci n’a pas été très favorable au cours des dix-huit derniers mois. En matière de cotations internationales, la récente introduction à Paris de Rusal a néanmoins montré que nous sommes bien placés pour conquérir des parts de marché. J’ai bon espoir que d’autres opérations d’envergure se déroulent dans les prochains mois.

    Vous êtes sur le point de perdre la concession du palais Brongniart. N’est-ce pas dommage ?

    Il revient au Conseil de Paris de prendre une décision définitive. Même si cela relève du symbole, il serait dommage de ne plus utiliser ce point de ralliement au moment où, la place de Paris en tête, nous nous battons tous pour une finance plus transparente, au service de l’économie réelle et des citoyens.

    PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE LE PAGE,MASSIMO PRANDI
    ET MATHIEU ROSEMAIN

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  • Pas de sortie de crise du G7 sans réévaluation du yuan

    Alors que les effets sur la conjoncture de la création monétaire et des soutiens budgétaires s'épuisent, les pays du G7 ont un besoin aigu de relancer leurs exportations. Barack Obama, qui veut doubler les exportations américaines en cinq ans, va tout faire pour obtenir une franche réévaluation du yuan. Il est capital que le Royaume-Uni, le Japon et la zone euro soutiennent Washington dans son bras de fer avec Pékin.

    Les pays du G7 sont entrés dans une récession majeure en juillet 2008 pour en sortir autour de juillet 2009. Mais la crise du G7, elle, avait éclaté dès juin 2007. Et elle n'est toujours pas surmontée.

    La sortie de la récession a reposé sur deux artifices majeurs, l'un monétaire et l'autre budgétaire. Le premier, c'est la création monétaire par l'Etat britannique puis l'Etat américain (1.725 milliards de dollars entre mars 2009 et mars 2010). Le deuxième, ce sont des déficits budgétaires massifs, en 2010 comme en 2009 (13% du PIB au Royaume-Uni, 10% aux Etats-Unis, 8% en France...). Or, ni l'un ni l'autre ne peuvent être reconduits.

    Premier artifice. Lorsque, en mars 2009, l'Etat américain commença à créer massivement de la monnaie, la Chine réagit, en lançant une campagne très virulente contre la politique américaine. Résultat : le 3 décembre 2009, l'euro valait 1,51 dollar contre 1,26 le 9 mars ; l'once d'or grimpa à 1.207 dollars contre 922 dollars ; et le baril flamba à 76,5 dollars contre 49,6 dollars au début mars. Les Etats-Unis reculèrent, en confirmant en décembre l'abandon de la création monétaire massive à compter de mars 2010. L'Etat britannique suivit.

    Second artifice. Les sagas récentes de la Grèce et du Portugal viennent signifier à l'Espagne et à l'Italie mais aussi au Royaume-Uni, à la France et même à l'Allemagne, au Japon comme aux Etats-Unis que la limite pour leur dette publique (nette de leurs réserves de change) n'est pas 220% du PIB comme on le pensait à tort mais bien plutôt 130% du PIB. Cela va les obliger à résorber très vite leurs déficits budgétaires colossaux.

    Déjà très décevante au regard des moyens mobilisés, la reprise du G7 devient maintenant très vulnérable alors que les deux tuyaux par lesquels arrivait l'oxygène vont être coupés. Dès lors, pour éviter une rechute, l'administration Obama a décidé de relancer un moteur qui avait beaucoup ralenti : doubler les exportations des Etats-Unis en cinq ans. C'est effectivement le seul moyen véritable par lequel les Etats-Unis, mais aussi l'Europe, peuvent sortir durablement de leur récession sans s'exposer à une crise de leurs finances publiques. En clair, les pays du G7 doivent enfin s'attaquer à la cause profonde de la crise de 2007 : leur déficit extérieur colossal et récurrent à l'égard de la Chine.

    La crise du G7 couve en effet depuis la fin 2001, quand la Chine entra à l'OMC avec un régime de change et une parité de change extrêmement avantageux pour elle. Ce régime lui permet de s'emparer très vite de segments entiers du marché mondial : habillement, chaussures, jouets, électroménager, ameublement, ordinateurs, appareils électroniques, pièces automobiles.

    En toute logique, la désindustrialisation brutale du G7 aurait dû se traduire par une récession dès 2004. Or, ce ne fut pas le cas. Un faux magicien, M. Greenspan, réussit à convaincre les Etats-Unis et le G7 qu'ils pouvaient compenser un yuan trop bon marché par des taux d'intérêt maintenus historiquement bas. Et compenser leur désindustrialisation par une expansion prolongée de leur production immobilière. La seule chose dont la Chine ne peut s'emparer, ce sont nos terrains à bâtir. Chacun s'engouffra dans un boom de la construction immobilière : logements, bureaux, centres commerciaux, hôtels, stations balnéaires...

    Entre 2002 et 2007, la recette semble fonctionner. Même si dès 2006, il faut aller chercher des ménages non solvables pour alimenter le marché américain du logement. En juin 2007, la crise éclate, désavouant M. Greenspan : dans le G7, les ventes puis la production et les prix de l'immobilier se retournent brutalement tandis que la production manufacturière reste délabrée. Ce sera la récession franche entre mi-2008 et mi-2009.

    Pour atteindre son objectif d'exportations, M. Obama doit urgemment obtenir une réévaluation considérable du yuan. La parité de pouvoir d'achat calculée par la Banque mondiale se situe à 3,40 yuans pour 1 dollar quand la Chine impose 6,83. En clair, il faudrait une dévaluation non réversible de 50% du dollar contre yuan. Ce qui entraînerait une dépréciation tout aussi définitive de l'euro, du sterling et du yen contre yuan. Alors que les Etats-Unis semblent enfin vouloir engager le fer avec la Chine pour obtenir la réévaluation du yuan et le rééquilibrage de leur commerce, espérons que, le moment venu, ni le Royaume-Uni ni le Japon ni la zone euro ne marchanderont leur soutien aux initiatives américaines.

    Antoine Brunet, président de AB Marchés


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  • Gaz : un goût amer

    Par Odile Esposito, rédactrice en chef à La Tribune.

    Faut-il s'en réjouir ou bien s'en inquiéter ? Les deux probablement. Comme nombre de révolutions technologiques, celle mise en évidence par le fantastique essor des gaz non conventionnels laisse perplexe.

    Les optimistes y verront la confirmation de ce qu'ils professent depuis des années. A savoir que le progrès technique peut venir à bout de nombre de problèmes naguère jugés insolubles. Et qu'il ne sert donc à rien de s'inquiéter outre mesure face à tel ou tel casse-tête car le génie de l'homme finira bien par vaincre l'obstacle.

    Avec cette formidable avancée, le gaz ne va-t-il pas redevenir à la fois abondant et bon marché ? Et les Cassandre qui annonçaient une pénurie imminente avaient tort, une fois de plus.

    Sans doute. Mais cette avancée laisse un goût plutôt amer. Pourquoi les compagnies pétrolières qui se ruent en masse vers ces nouveaux gisements restent-elles aussi discrètes sur les produits chimiques utilisés lors de ces extractions ? Ces méthodes ne sont-elles pas dangereuses pour les nappes phréatiques ? Surtout, la conquête de ce nouvel eldorado montre combien l'homme reste un prédateur. Même s'il sait désormais le faire, faut-il qu'il exploite ainsi jusqu'à la dernière molécule de gaz présente sur terre ? Qu'il saccage pour cela des milliers d'hectares ? Et qu'il se moque éperdument des réserves qu'il laissera à ses enfants ?

    Avec l'épuisement des réserves pétrolières et la montée des risques climatiques, on croyait les pétroliers devenus raisonnables. Prêts à se lancer dans les énergies vertes. Ce n'était donc qu'une illusion ?


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