• by Thomas Palley

    WASHINGTON –  La reconduction du mandat de Ben Bernanke à la tête de la Réserve fédérale américaine par le président Obama est une décision raisonnable et pragmatique, mais il n'y a pas lieu de s'en réjouir outre mesure. Néanmoins, c'est l'occasion de réfléchir sur l'idéologie et le rôle des groupes de réflexion constitués d'économistes, dont Bernanke lui-même, dans la crise mondiale.

    Le maintien de Bernanke à son poste est judicieux pour deux raisons. La première est liée au fait que les USA et les autres pays sont encore en récession. Même si la crise est derrière nous dans la mesure où l'on a échappé à un effondrement général, l'économie reste fragile. De ce point de vue, il vaut mieux éviter d'ébranler la confiance, ce qui pourrait nous replonger en pleine crise.

    La deuxième raison est que Bernanke est le meilleur parmi ses pairs. Lorsqu'il a fini par comprendre la nature et la sévérité de la crise, il a pris des mesures décisives qui ont contribué à arrêter l'effondrement de l'économie. Ce bilan, ajouté aux doutes quant à ce que ses pairs auraient fait à sa place, laisse à penser qu'il valait mieux le choisir lui plutôt qu'un autre.

    Ces deux facteurs justifient sa reconduction, mais le peu d'empressement à s'en réjouir montre la profondeur des problèmes sous son leadership. Ces problèmes concernent l'état de l'économie, en particulier le droit de regard implicite de Wall Street sur la Fed. L'une des raisons de la reconduction de Bernanke est d'éviter la déstabilisation des marchés financiers. Cela explique aussi pourquoi les seuls rivaux de Bernanke sont certains de ses pairs - les seules personnes que les marchés financiers sont prêts à admettre.

    Dans les années 1990 pour justifier la reconduction du prédécesseur de Bernanke, Alan Greenspan, on invoquait aussi la nécessité d'apaiser les marchés financiers, et c'est maintenant l'argument systématiquement avancé pour s'opposer à tout changement à la Fed et dans les autres banques centrales. Les marchés financiers ont établi comme un droit de regard implicite sur une grande partie des mesures économiques et sur le choix des personnes susceptibles d'occuper des positions politiques importantes. Le moment est venu de trouver le moyen d'échapper à cette emprise.

    Un deuxième problème relève de  la situation économique. Bien que Bernanke soit peut-être le meilleur parmi ses pairs, le fait est que la crise a montré sans ambages qu'ils se sont tous trompés.  Ils ont tous adulé Greenspan, l'homme qu'un économiste de renom a qualifié de "plus grand dirigeant de banque centrale de tous les temps". Presque sans exception, les économistes classiques n'ont pas prévu la crise, quant aux rares qui l'ont fait, ils se sont trompés sur son déroulement.

    De son coté, Bernanke est à l'origine de l'idée que les banques centrales devaient consacrer presque entièrement leurs efforts à la lutte contre l'inflation et qu'elles devaient se fixer un objectif annuel précis en la matière. Ce point de vue a contribué à négliger le marché des actifs et le marché du crédit et il a encouragé un désintérêt intellectuel pour la réglementation et alimenté les excès du laissez-faire - ceci parce que la croyance macro-économique dans l'idée qu'il suffit de combattre l'inflation, s'accordait en toute logique avec la croyance que l'on peut abandonner le marché du crédit à lui-même. Selon l'expression de Greenspan, "l'intérêt même des institutions de prêt" protégerait les actionnaires et l'économie des excès du crédit.

    Cette manière de pensée qui explique pourquoi la Fed sous la conduite de Bernanke a été si lente à réagir à la crise qui a commencé en août 2007, au point de ne pas adopter de plan cohérent et d'envergure avant novembre 2008. Elle aurait sûrement réagi plus vite si son modèle bancaire ne datait pas des années 1950.

    Oublieuse du rôle du shadow banking (les banques de l'ombre), la Fed n'avait pas compris à quel point son implosion allait miner le système bancaire traditionnel. Elle n'avait tout simplement pas compris la signification de l'important volume d'actifs évalués en market-to- market des banques traditionnelles et leur implication dans le shadow banking via les "véhicules d'investissement structuré" hors bilan.

    Toute évaluation objective du point de vue de la Fed avant et durant la crise montre qu'elle n'a pas compris les ressorts du secteur économique sur lequel elle intervient : le système bancaire et les marchés financiers. Plus généralement, elle s'est déclarée favorable à la dérégulation et elle a cru à la nature autostabilisatrice des marchés, des idées complètement discrédités par la crise.

    Même si au vu des circonstances Bernanke est le moins mauvais candidat et devait de ce fait être reconduit dans ses fonctions, le véritable défi est de réussir à accomplir une sorte de révolution intellectuelle au sein de la Fed de manière à faire place à des opinions économiques minoritaires. Le grand danger à maintenir Bernanke dans ses fonctions est que cela soit interprété comme un feu vert en faveur d'un status quo inacceptable.

    C'est là où le débat public et les audiences de confirmation de Bernanke devant le Sénat entrent en scène. Ces audiences pourraient être l'occasion d'un examen critique de ce qui a mal fonctionné et du pourquoi de cette situation. Dans ce cas, la reconduction de Bernanke pourrait servir à amorcer un changement constructif et non à conforter un paradigme discrédité.

    Thomas I. Palley est membre de la New America Foundation.

    Copyright: Project Syndicate, 2009.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz


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  • La richesse n'enfante ni la paix, ni le bonheur

    Une critique du livre de Daniel Cohen: «La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l'économie».
    Si les grands livres sont ceux qui vous rendent humbles, le dernier ouvrage de Daniel Cohen est de ceux là. En remontant les millénaires, relisant les grands économistes, il nous apprend une chose simple et terrible: la richesse n'enfante ni la paix, ni le bonheur. Quelle remise en cause! Daniel Cohen: «La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l'économie» Albin Michel.

    L'économie c'est l'instrument des Lumières et de leur vision optimiste de l'humanité. Au delà des crises comme celle que nous traversons,  la machine «économie», croyait-on, fabriquait une croissance hier localisée, aujourd'hui mondiale, forte et partagée. Cuillère et fourchette, elle sort de la misère des millions d'êtres et leur offre progressivement de quoi manger, de quoi se vêtir, de quoi s'éduquer, bref de quoi apprendre à maîtriser leur destin. Les hommes, une fois l'estomac plein, perdent les raisons de se faire la guerre. Voilà la mondialisation heureuse. Forcément, l'humanité connaît  des avancées et des reculs mais comme l'ont dit Montesquieu et Condorcet, le commerce pousse vers un adoucissement des mœurs et des cœurs. Et seul le refus des Lumières, les antiques conflits culturels et religieux, regroupés par Huntington dans «le choc des civilisations»,  peuvent remettre en cause cette avancée commune vers l'âge d'or.

    Patatras! Le professeur de l'Ecole nationale supérieure, nous démolit notre doux paradis sur terre. Tout çà est une blague. D'abord, dit-il, la prospérité pour tous est très récente, elle a été fragile, l'est encore et le sera de plus en plus dangereusement avec l'épuisement des ressources, pétrole et matières premières. Ensuite cette prospérité n'a jamais empêché les guerres, au contraire. La boucherie de <st1:metricconverter productid="1914 a" w:st="on">1914 a</st1:metricconverter> été déclenchée en pleine euphorie économique. Inversement 1939 arrive, dix ans après, comme une conséquence de <st1:personname productid="la Crise" w:st="on">la Crise</st1:personname> de 1929. Bref, rien à voir.

    Quand au bonheur, relève Daniel Cohen dans un des chapitres les plus instructifs, il ne s'élève pas avec le niveau de vie. Ce qui compte sont les variations du revenu de chacun. La consommation est «comme une drogue», le plaisir qu'elle procure est éphémère, il en faut «toujours plus». Vous n'êtes heureux que lorsque votre situation s'améliore, surtout en comparant  avec celle du voisin. «La société moderne est avide de croissance, davantage que de richesse».  D'où la course au PIB (Produt intérieur brut).

    Qu'est-ce à dire pour demain? Quelle conséquence aura la crise? Que faire? Le lecteur est pris par la main dans ce détour millénaire, drivé par une pédagogie lumineuse, pour retenir les leçons du professeur et conclure modestement à une «économie inquiète», sous-titre de l'ouvrage.

    Remettre en cause l'économisme et la prospérité aussi profondément et avec autant de puissance: les écologistes de tout poil vont pouvoir penser qu'ils ont enfin trouvé leur économiste en chef.  Si la croissance n'apporte ni la paix ni le bonheur pourquoi s'acharner dans le «toujours plus» alors que l'étouffement gagne?

    Daniel Cohen raconte qu'avant l'ère industrielle, chaque progrès économique augmentait la natalité et la population grossissait mais elle butait très vite sur le manque de terre pour se nourrir. L'agriculture aux rendements décroissants n'arrivait pas à augmenter le niveau de vie durablement. L'industrie va offrir la révolution des «rendements croissants» et vaincre la malédiction de Malthus: elle permet la croissance permanente. Mais justement c'est fini, disent les écologistes. Nous revoilà face à la butée des ressources terrestres manquantes.

    La planète est «encombrée», souligne le professeur Cohen qui rappelle que plusieurs civilisations, les Mayas, les Vikings, l'Île de Pâques, sont mortes pour n'avoir pas su faire face au risque écologique. La seule issue serait-elle alors  la décroissance, la frugalité, la limitation des biens que chacun peut espérer? Est-ce le retour de la malédiction de Malthus? L'enfermement dans un monde clos?

    Pas forcément, répond Daniel Cohen. Les problèmes sont identifiés, il faut trouver «la volonté collective» de les affronter. Les pays émergents peuvent trouver des moyens de ne pas répéter les erreurs de l'Europe. Esprit des Lumières, quand tu nous tiens, le pessimisme n'est pas obligatoire. Même constat volontariste sur la finance : la cupidité des banquiers, l'abandon des régulations, l'emballement systémique ne sont pas obligatoires. Il est possible de reprendre la main.

    Ecologie, finance, un troisième défi se présente: le cybermonde. Daniel Cohen croit qu'Internet signe la mort définitive de la malédiction de Malthus. L'ONU prédit qu'en <st1:metricconverter productid="2050 l" w:st="on">2050 l</st1:metricconverter>'ensemble des femmes de la terre se seront alignées sur le modèle «américain» de la femme libérée: 1,85 enfant par ménage. Comment? Grâce à la télévision qui ouvre les yeux sur les autres et permet des comparaisons. La démographie débordante sera alors un problème réglé.

    Mais reste que cette reprise en main par l'humanité de son destin n'est garantie. Nous entrons, conclut le livre, dans l'incertitude, «le nouveau facteur oppressant de l'histoire humaine».

    Eric Le Boucher

    L’économie à l’épreuve de l’histoire  

    L’économiste Daniel Cohen nous propose un retour sur l’aventure des hommes qui dépasse largement les frontières de sa discipline.

     

    La prospérité du vice

    Une introduction (inquiète)à l’économie

    par Daniel CohenAlbin Michel, 286 pages, 19 euros.

    D’un livre qui se veut, d’après son sous-titre, une « introduction à l’économie », on attendrait qu’il nous expose la vocation et les outils de la « science sinistre », comme la nommait le philosophe écossais Thomas Carlyle. Daniel Cohen nous propose tout autre chose : un ample survol de l’histoire des hommes, du néolithique à l’ère numérique. Il fait partie de ces économistes conscients que leur discipline ne fournit pas de clef universelle et ne peut pas rester isolée des autres sciences humaines. La preuve la plus frappante en est fournie dès le début de cette « Odyssée de l’espèce » : après avoir longtemps cru que la naissance de l’agriculture avait précédé et provoqué la sédentarisation et l’épanouissement du sentiment religieux, les spécialistes de la préhistoire ont aujourd’hui de sérieuses raisons d’inverser cette chronologie. Contredisant le schéma marxiste, la « superstructure » spirituelle a précédé l’infrastructure matérielle…L’économie a d’autant plus de raisons de se mettre à l’épreuve que le sens même de son message fait périodiquement l’objet de révisions déchirantes. Ainsi, nous avons été habitués à associer l’idée de bonheur à celle de croissance. Or les travaux de Richard Easterlin, entre autres, ont montré que l’accession des sociétés à la prospérité matérielle n’avait aucune incidence sur leur réponse à la question : « Etes-vous heureux ? ». C’est que, nous dit Daniel Cohen, la croissance agit« comme une drogue » : l’accoutumance à l’apparition de biens nouveaux ne crée pas un supplément de bonheur, mais le ralentissement de cette course à la richesse, quand la croissance s’enraye, devient une souffrance. Autre effet pervers : l’expansion des décennies d’après-guerre a permis la construction de l’Etat providence, mais cette construction a distendu les liens de solidarité directs entre individus et entre générations. Aujourd’hui, la crise, en rendant plus difficile le financement de la protection sociale, accélère la désagrégation de sociétés converties à l’individualisme.

    Un mythe mis à mal

    Désillusions aussi dans la sphère géopolitique : la croissance est traditionnellement considérée comme un facteur de paix, en particulier parce qu’elle a pour corollaire le développement des échanges internationaux – le « doux commerce » évoqué par Montesquieu. Des études historiques précises ont mis à mal ce mythe : les phases de ralentissement économique sont plutôt pacifiques, les périodes d’expansion sont guerrières, parce qu’elles donnent aux nations les moyens de leurs ambitions – la Première Guerre mondiale a suivi un quart de siècle de remarquable expansion en Europe. La marche des sociétés occidentales vers le bien-être matériel n’a pas été pacifique. Comment pourrait-on garantir, aujourd’hui, que la montée de la Chine et de l’Inde se fera sans convulsions violentes, à la mesure de la taille de leurs populations et de la rapidité de leurs mutations internes ?La crise financière actuelle est évidemment la meilleure justification du pessimisme qu’exprime le titre de l’ouvrage : les bonus des traders donnent la mesure de la « prospérité du vice ». Cependant, si les économistes n’ont pas vu venir le krach, les leçons qu’ils ont tirées de celui de 1929 n’ont pas été inutiles pour en limiter les conséquences : sauvetage des banques pour éviter l’effondrement du crédit, conformément aux prescriptions de Milton Friedman, injection d’argent public pour contrer la spirale dépressive décrite par Keynes. Mais le contexte a changé, et la « nouvelle économie » n’est pas plus vertueuse que l’ancienne : la financiarisation pousse à l’accroissement des inégalités, et l’économie numérique, caractérisée par des rendements croissants, favorise la création de monopoles, renforçant en même temps la domination culturelle des Etats-Unis.De ce récit, le lecteur sort avec l’impression de mieux comprendre la complexité du monde, mais nullement rassuré. Désormais, la menace écologique, nouveauté radicale, oblige l’humanité à« parcourir mentalement le chemin inverse de celui que l’Europe a suivi depuis le XVIIesiècle, et à passer de l’idée d’un monde infini à celui d’un univers clos ». Il est possible, nous dit l’auteur, qu’une prise de conscience salvatrice se produise, aidée par les technologies numériques qui accélèrent la mobilisation des opinions. Possible, mais pas certain.

    GÉRARD MOATTI

     

    Décoiffant comme livre .


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  • Le Prix Nobel d'économie américain Joseph Stiglitz le 5 décembre 2008 à Rio
    © AFP/Archives  Antonio Scorza

    Le Prix Nobel d'économie américain Joseph Stiglitz redoute un scénario de crise économique en forme de "W", où l'amélioration économique temporaire actuelle après la crise de fin 2008 serait suivie d'une rechute, a-t-il dit lundi à l'AFP à Reykjavik.

    "Il est difficile de savoir s'il y aura ou quand il y aura un +W+", a déclaré l'économiste réputé, qui pointe les nombreux risques qui menacent toujours l'économie mondiale, principalement l'épuisement des vastes plans de relance menés à travers le monde.

    "Il y a un certain nombre de risques économiques significatifs devant nous. Un risque pour le secteur financier, pour l'immobilier commercial, pour le crédit immobilier. Et il y a aussi des risques pour l'économie réelle, à cause de la baisse des revenus des Etats et la fin des mesures de relance en 2011 sera un choc négatif pour l'économie", a-t-il dit à l'AFP.

    "Actuellement, on fait l'inventaire. Les gens refont leurs stocks", observe l'ancien conseiller économique de Bill Clinton à la Maison Blanche et prix Nobel en 2001, soulignant que les ménages reconstituent leur épargne, passée dans certains pays de niveaux proches de zéro à "7 ou 9%".

    "Mais si les effets négatifs que j'ai décrit se produisent, et c'est très probable, quand l'inventaire sera passé, l'économie va entrer dans une récession à double creux", souligne l'ancien économiste en chef de la Banque mondiale.

    Joseph Stiglitz est connu pour ses critiques des mesures administrées par le Fonds monétaire international (FMI) et par la Banque mondiale aux économies en crise. Elles ne font selon lui qu'aggraver la situation et porter la charge sur les populations. Il a été invité en Islande, pays durement frappé par la crise.

    Le secteur financier islandais, hypertrophié, s'est brutalement effondré en octobre dernier, entraînant une crise économique sans précédent qui a nécessité un prêt échelonné de 2,1 milliards de dollars du FMI.

    Le Prix Nobel 2001 d'Economie a estimé que l'institution économique internationale de Washington a pratiqué une politique moins dure en Islande que dans d'autres pays, un favoritisme qui fait grincer des dents selon lui.

    "Le programme du FMI en Islande a été très inhabituel et il faut reconnaître qu'ils n'ont pas suivi la prescription habituelle administrée dans le reste du monde, qui serait passée par des économies budgétaires immédiates, l'absence de contrôle de capitaux et des taux d'intérêts très élevés", a dit M. Stiglitz lors d'un discours à l'Université de Reykjavik.

    "Il faut que vous compreniez que cela a causé beaucoup de ressentiment dans le reste du monde. Je reviens juste de Thaïlande où les gens disent +il y a deux poids deux mesures, vous traitez les gens en Europe mieux qu'en Asie+", a-t-il raconté.

    L'économiste doit également rencontrer au cours de sa visite le ministre islandais des Finances.

    AFP le 07/09/2009 à 19:40
    Ces deux articles me paraissent bien complémentaires

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  • Cette chronique de Martin Wolf,

    éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le " Financial Times ". © FT.

    (Traduit de l'anglais par Gilles Berton.)

    Les banques restent plombées par un montant inconnu d'actifs douteux ; les ménages commencent à peine à se désendetter

     

     

    'économie mondiale est-elle en train de sortir de la crise ? Le monde en a-t-il tiré les enseignements ? La réponse à ces deux questions est ambivalente. Nous avons fait quelques bonnes choses et appris quelques leçons. Mais nous n'avons ni fait assez ni appris suffisamment de choses. Le redressement sera long et douloureux, et sous la menace permanente d'une rechute.

    Commençons toutefois par les bonnes nouvelles. La crise financière, dans sa définition étroite, est terminée : les marchés boursiers ont repris ; la liquidité retrouve le chemin des marchés ; les banques ont pu lever des fonds propres ; et les écarts de taux d'intérêt extrêmes que les marchés financiers ont connus en 2008 se sont résorbés. Les mesures énergiques et sans précédent prises par les autorités pour sauver un système financier en péril ont produit l'effet souhaité.

    De même, le pire de la crise économique sera bientôt derrière nous. Comme le remarque l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans la dernière édition de ses Perspectives économiques, " pour la première fois depuis juin 2007, les prévisions (...) ont été révisées à la hausse pour l'ensemble de la zone OCDE par rapport à notre dernier rapport ".

    De la même façon, le Fonds monétaire international (FMI) note dans sa récente mise à jour de ses Perspectives économiques mondiales que " la croissance économique en 2009-2010 devrait être supérieure d'un demi-point de pourcentage aux prévisions indiquées par le FMI en avril dernier, pour atteindre 2,5 % en 2010 ".

    Un tel revirement des prévisions est l'indicateur d'un redressement imminent. Cela ressort clairement du consensus des prévisions mensuelles pour 2010. Des améliorations y sont constatées pour les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni, mais - et c'est un signe inquiétant -, pas pour la zone euro. Les prévisions pour <st1:personname productid="la Chine" w:st="on">la Chine</st1:personname> indiquent que le pays résiste bien. La confiance dans la bonne santé de l'Inde augmente aussi.

    Même si ces bonnes nouvelles sont bienvenues, nous devons toutefois les relativiser. Le pire de la crise financière est peut-être derrière nous, mais le système financier reste sous-capitalisé et plombé par un montant encore inconnu d'actifs douteux. Loin d'être véritablement " privé ", il est au contraire étayé par la contribution explicite ou implicite massive des contribuables. La probabilité de dérapages à plus ou moins long terme est proche de 100 %. Mais l'espoir actuel est que la voie qui mènerait à ces éventuelles rechutes passe d'abord... par un redressement.

    Mais de la même façon, ce " redressement " économique attendu ne se fera pas aussitôt sentir. Les dernières prévisions de croissance dans les pays à hauts revenus pour 2010 sont bien inférieures au potentiel. Les estimations des " écarts de production " (ou capacités excédentaires) atteignent des niveaux extrêmes.

    Pour <st1:metricconverter productid="2009, l" w:st="on">2009, l</st1:metricconverter>'OCDE les estime à 4,9 % du produit intérieur brut (PIB) potentiel aux Etats-Unis, à 5,4 % au Royaume-Uni, à 5,5 % dans la zone euro et à 6,1 % au Japon. Et, comme les prévisions annoncent une croissance modeste, la capacité excédentaire sera plus grande à la fin de 2010 qu'à la fin de 2009. Les risques en termes d'inflation - ou plutôt de déflation - sont évidents. De même que la probabilité d'assister à de nouvelles hausses du chômage.

    Parallèlement, le " point mort " d'inflation des bons du Trésor américains - c'est-à-dire le niveau d'inflation attendu par les souscripteurs - , tant conventionnels qu'indexés sur l'inflation, a de nouveau chuté à presque 1,5 %. La capacité excédentaire de production et les augmentations massives des déficits budgétaires s'expliquent par la disparition du consommateur dépensier, notamment aux Etats-Unis. C'est aussi ce que montre l'énorme rééquilibrage entre revenus et dépenses du secteur privé indiqué par les prévisions de l'OCDE.

    En 2007, le secteur privé américain avait dépensé 2,4 % du PIB de plus que ce qu'il avait gagné. En 2009, selon l'OCDE, il devrait dépenser 7,9 % du PIB de moins que ses revenus. Ce basculement massif dans la prudence - que les critiques ont longtemps appelée de leurs voeux, et qui est si peu appréciée aujourd'hui qu'elle se manifeste - explique largement le retour aux déficits budgétaires. Entre 2007 et 2009, le basculement de 10,3 % du PIB intervenu dans la balance du secteur privé entre revenus et dépenses a été compensé par un creusement budgétaire de 7,3 % du PIB et une amélioration de 3 % du PIB du déficit des comptes courants. Ce qui n'a pourtant pas empêché une forte récession.

    Il est probable que la prudence du secteur privé se maintiendra dans un monde post-bulle caractérisé par des montagnes de dettes. Au dernier trimestre 2008 et au premier trimestre 2009, les emprunts des ménages américains ont été légèrement négatifs. Mais à la fin du premier trimestre 2009, le ratio d'endettement brut des ménages par rapport au PIB n'était inférieur que de 2 % du PIB à ce qu'il était à la fin de 2007. Le douloureux processus de désendettement a à peine commencé.

    Si, comme il est probable, le secteur privé reste prudent, le secteur public continuera à se montrer prodigue. De surcroît, tant que durera cette période de retranchement, le risque ne sera pas celui de l'inflation, mais plutôt celui de la déflation. La leçon que nous enseigne le Japon est que la prodigalité budgétaire et la pression déflationniste peuvent se prolonger plus longtemps qu'on ne le croyait généralement. Mais plus elles durent, plus la sortie de crise pourrait s'avérer délicate et inflationniste.

    Ceux qui espèrent un retour à la normale telle qu'on la connaissait en 2006 sont de doux rêveurs. Ce à quoi il faut vraisemblablement s'attendre, c'est à un redressement lent et difficile. Les déficits budgétaires resteront énormes durant des années.

    Les alternatives - liquidation de l'excès de dette au travers d'une flambée inflationniste ou de faillites en chaîne - ne sont pas envisageables. Le maintien d'un taux de chômage élevé et d'une croissance faible pourrait même finir par mettre en danger la mondialisation elle-même.

    Mais le monde a-t-il au moins tiré les leçons permettant de mieux gérer l'économie mondiale à l'avenir ? Je ne le pense pas. Le secteur financier qui émerge de la crise est encore plus sujet à l'aléa moral que celui qui nous y a entraînés. Ses faiblesses fondamentales n'ont pas été colmatées.

    Restent également en suspens les questions concernant le fonctionnement du système monétaire international fondé sur le dollar, les objectifs de la politique monétaire, la gestion des flux mondiaux de capitaux, la vulnérabilité des économies émergentes - que l'on a pu constater en Europe centrale et orientale - et, enfin, ce qui n'est pas le moindre problème, la fragilité financière qui s'est manifestée si souvent et si douloureusement au cours des trois dernières décennies. Nous ne pouvons ignorer ces questions.

    Par Martin Wolf


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  •  

    Impressionnante performance que celle enregistrée ces derniers mois sur le marché du crédit. Les primes de risque exigées par les investisseurs ont fondu comme neige au soleil.

    Le dernier exemple en date est celui de <st1:personname productid="la Banque PSA" w:st="on">la Banque PSA</st1:personname> Finance. Le 7 mai, cette filiale du constructeur automobile français lançait une émission d'obligations remboursables dix-huit mois plus tard. Pour convaincre les investisseurs, l'emprunteur offrait alors un coupon de 6,375 %, soit quelque 465 points de base (4,65 %) de mieux que l'emprunt d'Etat de même maturité.

    Or, mercredi 2 septembre, la même Banque PSA Finance a emprunté 500 millions d'euros, toujours remboursables dans dix-huit mois. Cette fois, le coupon est de 3,75 %. Une belle amélioration des conditions de crédit à mettre sur le compte du reflux des taux d'intérêt à court terme et surtout sur la division par deux de la prime de risque, passée à 235 points de base (2,35 %).

    Est-il besoin de préciser que l'opération a été un franc succès, avec plus de 3 milliards d'euros demandés, la prime de risque passant rapidement et largement sous les 200 points de base (2 %) ?

    Banque PSA Finance, détenue à 100 % par le groupe automobile, finance les clients des deux marques, Citroën et Peugeot. Les investisseurs ayant divisé par deux leurs exigences en termes de rémunération, on pourrait imaginer que la situation financière de l'émetteur s'est considérablement améliorée. Mais pas du tout. Certes, Banque PSA Finance n'a pas subi le même sort que sa maison mère, passée le 10 août en catégorie " spéculative " : elle reste notée A3 par l'agence Moody's et BBB par Standard & Poor's. Mais les deux agences ont la banque à l'oeil : en effet, elles délivrent toutes deux leur notation assortie de perspectives négatives.

    Si les investisseurs exigent moins de cet émetteur, comme des autres d'ailleurs (EDF vient de le démontrer), c'est plus à mettre sur le compte d'une modification de leur perception des risques que d'une franche amélioration de la situation des emprunteurs ces derniers mois. Si Banque PSA Finance a plutôt bien amorti les difficultés de son secteur, son résultat opérationnel courant a tout de même reculé de 20 % au premier semestre par rapport à la même période de 2008, à 244 millions d'euros.

    Isabelle Ehrhart

     


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