•  

    N'en déplaise aux républicains que nous sommes, c'est à la reine d'Angleterre que nous devons la question la plus pertinente posée jusqu'ici sur la crise financière. " Comment se fait-il que personne ne l'ait prévue ? ", a-t-elle demandé, fin 2008, lors d'une visite à l'influente London School of Economics. La question eut le mérite d'ouvrir outre-Manche un débat public qui, chez nous, n'a malheureusement pas encore émergé.

    Il a fallu plus de six mois pour qu'un groupe d'éminents économistes britanniques fasse parvenir la réponse à Buckingham Palace, mais, depuis juillet, la reine sait. Elle sait que " l'échec à prévoir la date, l'importance et la gravité de la crise et à endiguer celle-ci, bien qu'il y ait de nombreuses causes, était surtout un échec de l'imagination collective de nombreuses personnes brillantes, dans ce pays et à l'étranger, à comprendre les risques du système, dans son ensemble ". D'autres ont été moins diplomates. Pour Paul Krugman, Prix Nobel d'économie 2008, ces trente dernières années, la macroéconomie " avait au mieux été spectaculairement inutile, au pire carrément nuisible ", selon des propos rapportés par The Economist (du 16 juillet).

    Il est dommage qu'un tel débat soit réservé aux initiés. Après tout, les économistes constituent sans doute la profession qui a le plus d'influence sur les hommes politiques et donc sur nos vies. Depuis deux siècles, ils tentent de nous convaincre que leur discipline est aussi sérieuse que la physique ou la chimie. Et si Alfred Nobel n'avait pas prévu de lui décerner de prix, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de Suède a obtenu en 1968 le droit de créer le " prix de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel " vite devenu le " Nobel d'économie ". Pour les intéressés, rien de plus normal. Le dernier ouvrage de Pascal Salin, enseignant à Paris-Dauphine et libéral convaincu, en dit long sur l'état d'esprit de la profession. Son titre ? L'économie ne ment pas (Fayard, 2008). Son fil conducteur ? " L'économie est une science ; son objet est de distinguer entre les bonnes et les mauvaises politiques. " Parmi les dix vérités établies : " La création de marchés financiers complexes a conduit à des progrès économiques véritables. Cette sophistication financière a facilité la répartition mondiale des risques, permettant ainsi un plus grand nombre de prises de risques, ce qui amplifie l'innovation. "

    On sourit, mais, jusqu'à la crise, cette idée était assez communément partagée. De même, bien peu remettaient en question la sacro-sainte efficience des marchés. D'où les théories libérales appliquées un peu partout depuis une trentaine d'années. Et des partis pris, comme l'obligation faite par le FMI et l'OCDE aux pays émergents de libéraliser les marchés de capitaux. Pourtant, comme le remarque Francis Fukuyama dans la revue The American Interest (septembre), " le secteur financier asiatique est l'un des moins libéralisés, mais cela ne l'a pas empêché de réaliser depuis trente ans des taux de croissance jamais atteints ".

    Logiquement, la crise devrait au moins remettre en cause la macroéconomie et l'économie financière. La première a manifestement trop cru à l'efficience des marchés et est restée obnubilée par l'inflation sans voir la bulle des actifs financiers. La seconde, elle, est accusée d'avoir négligé la réalité. " Une grande partie de la littérature - économique - contemporaine est progressivement passée sous le contrôle de purs mathématiciens, plus préoccupés de théorèmes que de l'analyse du réel ", déplore l'économiste Maurice Allais dans la revue Economie politique (été 2009) avant de rappeler que " c'est seulement dans la voie d'un immense effort de synthèse que les sciences sociales peuvent aujourd'hui réaliser de grands progrès ".

    Mais les critiques vont au-delà. Formés pour la plupart durant les " trente glorieuses ", les économistes n'ont pas encore analysé l'importance prise par la finance dans les économies développées. Quand une banque est-elle réellement " trop grosse pour mourir " ? Quand fait-elle vraiment courir un risque à l'ensemble du système financier ? Quelle est la rémunération optimale d'un trader ? Est-il logique que, dans les pays occidentaux, près de la moitié des profits des grandes entreprises mondiales soit aujourd'hui réalisée par des institutions financières qui ne créent pas de richesses, stricto sensu ? Les marchés peuvent-ils s'autoréguler ou sont-ils intrinsèquement instables (thèse de l'économiste français André Orléan) ?

    A ces questions, les économistes apportent peu de réponses convaincantes. Pourquoi ? Dans sa revue, Francis Fukuyama remarque : " De nombreux économistes et professeurs de finances de business schools travaillent pour des banques d'investissement et des hedge funds, les aidant à élaborer des modèles complexes qui, rétrospectivement, se sont révélés inadéquats à prévoir les risques. Par là même, ils ont un intérêt personnel dans le succès du secteur financier qui n'est compensé par aucune incitation à penser que le secteur, dans son ensemble, détruisait davantage de valeur qu'il n'en créait. " Une critique qui s'applique à nombre d'économistes français influents, la composition du Conseil d'analyse économique en témoigne. D'où peut-être le silence de la profession.

    Frédéric Lemaître

    Oui voila une grille de lecture.

    Pour qui travaille cet économiste ? Et la c’est comme si vous demander au boucher si sa viande est bonne.


    votre commentaire
  •  L'investisseur individuel, s'il persiste à refuser de se convertir en day trader opérant sur des unités de temps comprises entre le temps de cuisson d'un oeuf coque et d'un boeuf bourguignon, se retrouve en 2009 comme une porcelaine dans un magasin d'éléphants.

    Les éléphants -- les mastodontes de la finance -- sont certes moins nombreux qu'il y a un an ; beaucoup se sont dirigés vers le cimetière des pachydermes (souvenez-vous de l'hécatombe de septembre/octobre 2008)... Cependant, les survivants ont vite fait leur deuil des années de bulle du crédit : les banques centrales, craignant l'extinction massive de l'espèce, se sont empressées de les parquer dans des espaces protégés (des créanciers), bien à l'abri derrière de solides murs d'argent généreusement prêté par les contribuables.

    Le stress test du cornac Tim Geithner avait pour but d'embellir la vitrine du magasin d'éléphants -- pas de leur imposer une diète salutaire ou de les dissuader de déraciner les arbres de la croissance situés sur leur passage.

    Les survivants sont devenus encore plus gros au cours des 10 derniers mois, pour ne pas dire plus obèses... Mais cet adjectif concerne surtout les bonus des traders. Leur capacité à écraser tout ce qui se trouve sous leurs pas s'en trouve renforcée.

    Les bons connaisseurs des marchés financiers estiment qu'il faut de ce fait se montrer encore plus attentif à leurs mouvements. En effet, lorsqu'ils s'engagent dans une direction (et ce peut être la mauvaise), vu leur poids colossal, il leur est de plus en plus difficile de dévier de leur trajectoire ou de s'arrêter avant de percuter un obstacle : si c'est une paroi en verre blindé, ils ne s'en aperçoivent toujours pas.

    ** Il en va de même pour le risque systémique : l'ingénierie financière, les travaux des mathématiciens, les produits dérivés l'avaient rendu transparent... mais il était toujours là, aussi résistant que par le passé mais devenu sournoisement invisible.

    Aujourd'hui, le risque de collision reste toujours aussi élevé. Simplement, il a été convenu que les dommages sont désormais payés rubis sur l'ongle par le contribuable -- via le TARP, le fonds de secours de la FDIC ou les réserves d'intervention de la Fed.

    Nous faisons d'abord allusion aux milliers de milliards de dollars de pertes potentielles qui dorment dans le bilan des établissements financiers sous forme de CDS. Les règles de valorisation ont été modifiées ; des plates-formes de compensation ont été créées pour fluidifier leur négociation -- c'est-à-dire une revente à des amateurs de risque pur. C'est pourtant un échec complet puisque 50 milliards de dollars de CDS seulement (sur un total de 50 000 milliards de dollars d'encours notionnel) ont changé de main au cours des six derniers mois.

    La normalisation du marché interbancaire et l'écrasement des spreads de taux (dont nous ne pouvons que nous réjouir, c'est une bonne nouvelle pour les emprunteurs) n'ont pas redonné vie à la spéculation sur la non-matérialisation du défaut de crédit.

    Le colossal stock de bombes à retardement restées amorcées après la grande crise de l'automne 2008 reste plus que jamais disséminé au coeur de l'économie réelle. Les explosifs n'ont pas été neutralisés : aucun des artificiers de la Fed ou de la BCE ne savent désarmer les derniers modèles de détonateurs de type aléatoire. En fait, la plupart des engins n'ont même pas été balisés puisqu'ils demeurent enfouis dans le sol des paradis fiscaux, hors d'atteinte des démineurs des banques centrales.

    ** Les dernières statistiques américaines ne font que confirmer la progression exponentielle des défauts de paiement. Ils concernent désormais les prêts prime, les prêts "jumbo" (720 000 $ et au-delà), les opérations immobilières institutionnelles -- avec une véritable bérézina dans le secteur du locatif commercial. Parallèlement, la demande de prêts hypothécaires a de nouveau fléchi fin août.

    Toutes les informations qui précèdent ne font pas la une de la presse financière : elle s'abstient depuis deux mois d'évoquer les sujets qui fâchent. Le buzz autour de l'épidémie de grippe A/H1N1 a complètement éclipsé les interrogations concernant la santé du système financier, un an après la grande crise de l'été puis de l'automne 2008. Ce choix peut s'expliquer : la fameuse grippe A inquiète également le grand public... mais le corps médical sait la soigner, c'est plus rassurant, en définitive !

    Alors que les marchés affichaient un pic de confiance historique fin août, les indices ont commencé à consolider début septembre -- une vieille tradition, nous explique-t-on.

    ** La Bourse de Paris enchaîne maintenant les séances de repli de la même façon qu'elle alignait les hausses, parfois jusqu'à neuf d'affilée cet été. La vélocité baissière s'est toutefois nettement contractée depuis 48 heures : -0,35% suivi de -0,55%, rien de bien méchant... et l'Euro-Stoxx 50 ne s'est effrité que de 0,45% puis 0,15%.

    Les opérateurs prennent des bénéfices, ils ne désertent pas le marché. Il n'y avait ce jeudi ni beaucoup d'acheteurs ni beaucoup de vendeurs, comme en témoigne la nette rechute des volumes : 2,65 milliards d'euros négociés sur le CAC 40.

    Cela dit, dans un marché haussier, les actions n'auraient éprouvé aucune difficulté à combler des handicaps compris entre -0,1% et -0,5%.

    Les investisseurs n'ont manifesté aucun enthousiasme débridé au sujet de nouveaux signaux d'embellie conjoncturelle aux Etats-Unis. L'activité dans le secteur des services poursuit son redressement. D'après l'Institute for Supply Management, l'indice ISM non manufacturier s'établissait à 48,4 fin août contre 46,4 en juillet.

    Les intervenants n'ont pas d'avantage salué l'optimisme mesuré affiché par J.-C. Trichet. Selon le patron de la BCE, l'activité économique se stabilise, des signaux encourageants se manifestent... mais il subsiste des zones de vulnérabilité, et les prévisions de rebond restent entourées d'un gros degré d'incertitude.

    L'OCDE révise à la hausse ses précédentes estimations de la croissance mondiale en 2010. Symétriquement, le repli du PIB de la France, de l'Allemagne et des Etats-Unis est minoré en 2009 -- les perspectives pour l'an prochain sont plus souriantes : 0,2% à 0,5% de mieux.

    Le discours des experts de l'OCDE est crédibilisé par les dernières statistiques d'activité dans les pays occidentaux (sauf en Espagne et au Royaume-Uni). La France bénéficie également d'une hausse de l'indice PMI de Markit/CDAF. L'indice composite s'est ainsi établi à 51,3, contre 47,3 en juillet, atteignant ainsi un plus haut depuis 15 mois. Sur le seul secteur des services, l'indice est remonté à 49,3 en août, un plus haut depuis 11 mois.

    Il reste à confirmer cette tendance... Beaucoup d'économistes s'accordent à penser que seule une poursuite des plans de relance -- sur fond de déficits budgétaires -- permettra d'y parvenir.

    Philippe Béchade, Chronique agora
    Paris


    votre commentaire
  •  

     

    C'est officiel : les Cayman ne sont plus un paradis fiscal ! Certes, ces trois îles des Antilles aux plages interminables, posées à quelques encablures de Cuba, abritent toujours la cinquième place financière mondiale, sanctuaire de l'argent baladeur. Plus de 1 000 milliards de dollars (699,8 milliards d'euros) de fonds opaques y sont gérés. De plus, l'impôt n'existe sous aucune forme dans cette colonie de <st1:personname productid="la Couronne" w:st="on">la Couronne</st1:personname>, ni sur les revenus, ni sur les sociétés, ni sur les plus-values. La vente de licences bancaires et des droits à l'importation alimentent le budget de ce caillou de <st1:metricconverter productid="260 kilomètres" w:st="on">260 kilomètres</st1:metricconverter> où vivent 52 000 habitants.

    Or voilà que le gouvernement local envisage d'introduire l'impôt direct. Plus qu'une réforme, une révolution. En 1794, selon la légende, le roi d'Angleterre avait dispensé les îliens d'impôts en remerciement de l'aide apportée par des pêcheurs caymanais à dix navires de Sa Majesté qui s'étaient échoués sur les récifs.

    Au bord de la banqueroute

    Prises à la gorge par le creusement du déficit budgétaire, les autorités de Georgetown ont demandé à leur tutelle, le ministère britannique des finances, l'autorisation d'emprunter 310 milliards de dollars auprès des banques internationales sises à l'ombre des cocotiers. Londres a refusé, exigeant au préalable des coupes claires et surtout la création d'une taxe foncière. Car ce confetti de l'Empire, au bord de la banqueroute, est sens dessus dessous : les contributions de l'Etat à la retraite et au plan santé des fonctionnaires ne sont ainsi plus versées.

    La reconstruction de l'île, totalement dévastée en 2004 par l'ouragan Ivan, a vidé les caisses publiques. Pour financer ce vaste chantier, le premier ministre a compté sur la poursuite du boom de la capitale mondiale des fonds spéculatifs (hedge funds) et des sociétés écrans. Patatras ! La crise du crédit a entraîné une contraction dramatique des revenus tirés des établissements financiers, calculés selon le nombre de salariés. Le coût de la vie, très élevé, a fait fuir les touristes, en majorité américains. Jamais l'île aux crocodiles n'a sombré dans une telle déprime.

    Le coup est d'autant plus dur que les Cayman viennent d'échapper à la liste grise des centres financiers jugés non coopératifs lors du G20 de Londres. La nouvelle taxe frappera directement les expatriés, qui constituent la moitié de la population. A l'inverse de ce qui se passe par exemple dans les places concurrentes des îles Anglo-Normandes, ces derniers peuvent acheter de l'immobilier.

    Les Caïmans, un territoire comme un autre ? L'écrivain John Grisham pourrait en faire une suite de son best-seller <st1:personname productid="La Firme" w:st="on">La Firme</st1:personname>, dans lequel des avocats véreux se servent de l'île pour blanchir l'argent sale de <st1:personname productid="la Mafia." w:st="on">la Mafia.</st1:personname>

    Marc Roche (Londres, correspondant)

    Le Monde change  


    votre commentaire
  •  

    ** Les places boursières et asiatiques ont aligné une troisième séance de repli consécutive, dans des volumes qui s'étoffent nettement. C'est un phénomène classique pour une semaine de rentrée ; il serait prématuré d'en conclure que le mouvement haussier est stoppé par les ventes massives de ceux qui l'ont initié... cela demeure tout au plus une hypothèse.

    Bon nombre de commentateurs s'accordent pour juger la correction des indices saine et bienvenue après une hausse "peut-être" trop rapide. En revanche, ils sont divisés sur l'ampleur prévisible de cette consolidation.

    Les uns estiment qu'elle n'ira pas loin car trop d'investisseurs sont impatients de rentrer dans le marché après avoir manqué l'envolée estivale. Les autres pensent que le repli sera proportionnel à la hausse qui l'avait précédée car les signaux de reprises ont été surestimés et le niveau de valorisation des actions apparaît bien trop élevé.

    Vous connaissez notre opinion à ce sujet. Nous tenons cependant à respecter l'équité dans le débat contradictoire qui se dessine depuis le 1er septembre -- avant cette date, il n'y avait plus de controverse : les sceptiques était au mieux invités à faire silence, au pire... ils étaient couverts d'opprobre.

    ** Nous vous livrons donc le résumé d'une interview sur CNBC qui nous paraît contenir la quintessence du discours optimiste qui prévaut depuis avril dernier. Les arguments du gérant américain qui se prêtait à l'exercice avec un journaliste de la chaîne -- qui pour l'occasion n'a fait preuve d'aucune complaisance -- valent leur pesant de pop-corn au miel !

    L'interviewé, que nous représenterons par l'acronyme G.O. -- comme "gérant optimiste"--, s'est d'emblé revendiqué comme bullish (haussier). Il a entamé sa démonstration en débitant un catéchisme haussier que vous connaissez par coeur : "le pire est passé, la reprise se manifeste de toute part, le marché a retrouvé sa confiance, Ben Bernanke reste à son poste pour mener à bien sa politique de taux zéro, au moins jusqu'à mi-2010, je reste viscéralement acheteur, le rally n'est pas terminé, etc."

    Son interlocuteur lui demande alors si 50% à 60% de rebond en quelques mois, ce n'est pas un peu excessif. La réponse a fusé : "c'est un mouvement proportionnel à la baisse qui avait précédé... un retour à l'équilibre se matérialise et les marchés sont encore loin d'avoir effacé la moitié du terrain perdu".

    CNBC : "soit, mais les perspectives de croissance espérées justifient-elles les niveaux de valorisation actuels ?".

    Sans hésiter, l'interviewé enchaîne : "les actions ne sont pas chères ; le marché avait anticipé le pire, il parie désormais sur de meilleures perspectives et se projette dans un scénario économique plus favorable à partir de 2010".

    CNBC : "à partir de 2010 ? Mais l'embellie actuelle n'est-elle pas déjà sur de bons rails ?"

    Réponse : "les plans de relance commencent à produire leurs effets. On voit que l'argent irrigue le système, le gouvernement et la Fed vont poursuivre dans cette voie".

    CNBC : "vous considérez donc qu'il va falloir plus d'argent ?"

    G.O : "en effet, l'opération de soutien au secteur automobile vient de cesser, les indemnités versées aux chômeurs de longue durée commencent à expirer -- l'économie réelle a besoin de nouveaux stimuli budgétaires".

    CNBC : "le gouvernement va donc devoir creuser encore d'avantage le déficit budgétaire, faute de quoi le soufflé risque de retomber ?"

    G.O : "ce n'est pas un problème : les dernières émissions du Trésor américain ont rencontré un vif succès. Les investisseurs étrangers comptent sur les Etats-Unis pour maintenir le cap de la croissance".

    CNBC : "mais cela peut créer à terme une résurgence de l'inflation ?"

    G.O : "c'est une perspective encore lointaine. La Fed se prépare à gérer le problème en douceur".

    CNBC : "certains intervenants semblent jouer la prudence malgré des discours résolument optimistes. Les ventes des insiders (les chefs d'entreprises agissant comme des initiés) ont atteint des records cet été et surtout ces toutes dernières semaines".

    G.O : "cela ne représente que des montants de capitaux marginaux en regard des volumes quotidiens. Le marché ne s'en préoccupe pas... et je recommande d'en faire de même".

    CNBC : "le brusque retournement de la Bourse de Shanghai ne vous inquiète-t-il pas ?"

    G.O : "c'est une correction normale. Le gouvernement chinois essaie de calmer le jeu -- la hausse va reprendre sur des bases beaucoup plus saines. Il y a d'énormes réserves de croissance interne ; les détenteurs d'actions sont les premiers à matérialiser leurs plus-values pour consommer, ce qui soutient la demande. Tout le monde veut profiter de la libéralisation du système, parfois de façon un peu excessive... mais le pli est pris et les Chinois ne reviendront pas en arrière".

    CNBC : "mais Pékin ne s'inquiète-t-il pas de la formation d'une bulle de crédit ?"

    G.O : "les niveaux d'endettement moyens en Chine sont encore très inférieurs à ceux que nous connaissons en Occident. Je reste haussier sur ce pays ainsi que sur d'autres émergents de l'Asie du Sud-Est... et je me renforcerai également à Wall Street en cas de baisse".

    Fin de l'interview, page de pub... et gros plan sur le Dow Jones qui perd 2%.

    Une rapide synthèse met en évidence que la reprise est loin d'être assurée -- puisque l'interviewé reconnaît implicitement qu'il faut d'autres plans de relance et toujours plus de dettes... que les actions sont surévaluées (sauf miracle au niveau de la croissance mondiale d'ici 2012)... que les insiders sont bel et bien vendeurs -- il ne le nie pas mais balaye la question du revers de la main. Il reconnaît également que la demande interne chinoise dépend en bonne partie de marchés financiers en plein délire spéculatif : les opérateurs jouent à crédit et avec de forts effets de levier, ce qui augmente le risque de trou d'air conjoncturel en cas d'éclatement de la bulle.

    Et il ne lui a pas été demandé d'expliquer comment les Chinois parviennent à afficher un PIB à +7% ou à +7,5% alors que leurs principaux clients occidentaux réduisent leur consommation pour se désendetter.

    ** Revenons-en à l'actualité financière de mercredi : après avoir privilégié le verre à moitié vide lors de la publication d'une série de statistiques américaines à 14h30... les investisseurs semblent avoir opté pour le verre à moitié plein une heure plus tard.

    La mauvaise nouvelle du jour, c'est que le secteur privé américain a détruit 298 000 emplois en août, selon le cabinet ADP, alors que les économistes ne tablaient en moyenne que sur 250 000 destructions. Le rythme des suppressions d'emplois tend néanmoins à ralentir par rapport aux 360 000 destructions en juillet (chiffre révisé d'une estimation précédente de 371 000).

    Sous l'effet d'une compression de 7,6% du nombre d'heures travaillées, la productivité hors secteur agricole au deuxième trimestre a effectué un bond historique de +6,6% (c'est ça la "bonne nouvelle") -- alors que les analystes attendaient au plus une confirmation de l'estimation initiale, qui était de 6,4%.

    Ce splendide résultat est à relier à une chute tout aussi historique des coûts de production (-5,9%). Elle résulte de très sévères mesures d'économie... notamment au détriment des effectifs (licenciements) et des salaires, souvent renégociés à la baisse dans une fourchette moyenne de -10% à -20%. Vous imaginez sans peine l'effet de ciseau pour les employés qui ont contracté des prêts à taux variable.

    Quant aux commandes à l'industrie aux Etats-Unis, elles ont progressé de 1,3% en juillet, un chiffre globalement conforme aux attentes.

    Dans la Zone euro, les derniers chiffres du PIB du deuxième trimestre font ressortir une légère contraction de l'activité en rythme séquentiel (-0,1%) -- mais la récession demeure sévère en glissement annuel (-4,7%). Autre signe de persistance des pressions déflationnistes, l'indice des prix à la production industrielle a diminué de 0,8% dans la Zone euro et de 1,0% dans l'UE en juillet 2009 par rapport à juin 2009 d'après Eurostat.

    D'une certaine façon, l'actualité du jour a été perçue comme globalement neutre. Wall Street a conclu une séance de valse-hésitation dans une fourchette de cours hyper étroite par un effritement symbolique de -0,1% pour le Nasdaq et de -0,3% pour le Dow Jones.

    Symbolique, c'est bien le mot juste. Après tout, il apparaissait si facile pour les "taureaux" (bulls), tout-puissants depuis la mi-juillet, de soutenir les indices américains afin d'éviter l'inscription d'une quatrième séance de baisse consécutive : y aurait-il dans ce renoncement une forme de message à méditer ?

    Philippe Béchade, pour la Chronique Agora


    votre commentaire
  • Hubert Védrine, qui participe aujourd'hui au débat « Le monde entre deux G20 » à l'université d'été du Medef, explique les enjeux de la bataille de la régulation qui va avoir lieu les 24 et 25 septembre à Pittsburgh. Selon lui, Merkel, Sarkozy et Obama doivent s'allier pour pousser Gordon Brown à accepter d'imposer des mesures plus contraignantes pour la finance mondiale.

    Le passage du G8 au G20 a-t-il été un vrai progrès ?

    C'était inévitable et indispensable. La réunion d'un G20 après la catastrophe financière déclenchée le 15 septembre 2008 par la faillite de Lehman Brothers issue d'années de dérégulation est la confirmation que les Occidentaux ne peuvent plus gérer seuls le monde avec un simple G7. On le savait déjà, en théorie, mais cette réunion a fait prendre conscience brutalement du basculement dans un monde vraiment multipolaire. Si les Occidentaux avaient pu régler cette crise entre eux à deux ou trois, ils l'auraient fait ! Ils ne le peuvent plus, car c'est la première crise vraiment globale.

    Qu'attendez-vous du sommet de Pittsburgh ?

    Maintenant que le G20 existe, on ne va pas le « désinventer », même si <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> défend l'idée, plus opérationnelle, d'un G14. C'est certes un sommet qui s'ajoute à d'autres, mais sa création traduit un véritable bouleversement historique. Mais c'est aussi une enceinte au sein de laquelle la bagarre mondiale continue. À Pittsburgh, il y aura, sur tous les sujets, des affrontements, mais aussi des compromis, plus ou moins solides. Le G20 est une structure empirique. Après la déclaration finale, chacun fait ce qu'il veut de ses engagements. Dès l'an dernier, à la première réunion du G20 à New York, il était prévisible qu'il y aurait une « bataille de la régulation » entre les pays favorables au retour à des règles de prudence pour les marchés et le système financier mondial, qui allait tout mettre en ?uvre pour qu'il y ait le moins de règles possibles et recommencer comme avant. La bataille des bonus, relancée à juste titre par Nicolas Sarkozy, est la traduction visible de ce bras de fer. L'opinion est choquée par les comportements de ceux qu'aux États-Unis on appelle les « voleurs », les « banksters », et soutient les politiques qui veulent réduire l'hypertrophie de la sphère financière. Obama est du côté des forces de la régulation. Il est plus à gauche que la moyenne des Américains, et même de son électorat.

    Que faudrait-il faire ?

    Si l'on veut plus de régulation, il faut rétablir certaines des réglementations établies après la crise de 1929 et qui ont été démantelées pendant la vague libérale. Pendant cette période, au motif réel qu'il fallait libérer les énergies, une avidité phénoménale s'est emparée du monde économique et on le voit, elle est toujours présente. À Pittsburgh, il faut espérer que sera apportée une confirmation ferme de ce qui a été dit à Londres en avril, et que ces engagements seront tenus après, à propos de l'ensemble de la chaîne des activités financières, sur la base de principes simples : plus de transparence, plus de responsabilité, plus de ratios prudentiels.

    Mais n'est-il pas déjà trop tard alors que la reprise pointe « au coin de la rue » ?

    Il y a certes de plus en plus d'éléments conjoncturels d'amélioration, mais même une reprise générale ne rendrait pas inutile de nouvelles régulations pour éviter de nouvelles catastrophes. Le discours sur la reprise est bien commode pour ceux qui ont intérêt à éviter de nouvelles règles du jeu. La bagarre se situe entre Obama et Wall Street, et en Europe, entre les pays de la zone euro et <st1:personname productid="la City" w:st="on">la City</st1:personname> de Londres. On a du mal à imaginer qu'il n'y aura aucune régulation. Un profond fossé s'est creusé entre la population et le monde financier et provoque une fureur populiste contre les banquiers, alors que l'emploi des « gens normaux » va continuer à se dégrader. Car la reprise n'empêchera pas le chômage de continuer à augmenter pendant encore de longs mois. Il y a une dimension morale à ce G20 dont Nicolas Sarkozy s'est saisi à juste titre. Il n'y aura pas de miracles à Pittsburgh mais des mesures réelles quand même. Cela va un peu brider le redémarrage de l'économie, mais c'est nécessaire pour éviter de recréer trop vite de nouvelles bulles.

    Un an après son élection, il y a déjà une déception « Obama ». Il avait suscité trop d'espoirs ?

    Il n'est réellement au pouvoir que depuis janvier dans un contexte économique et politique extraordinairement difficile aux États-Unis, sans lequel il ne serait pas là ! Ses opposants se servent maintenant des espérances disproportionnées que son élection a fait naître pour alimenter l'idée d'une déception. Bien sûr qu'il ne peut pas y avoir de « miracle Obama ». Cette crise économique, c'est la remise en cause du modèle de prospérité à crédit, dans un monde où tout président des États-Unis qu'il est, il ne peut plus imposer, mais tout négocier. L'opinion américaine est peut-être déçue, par rapport à ses espérances notamment sur le plan social, mais c'est artificiel. Mais les premiers effets du plan de relance, massif, sont positifs. Maintenant, il va lui falloir changer le modèle de croissance américain avec moins de crédit et d'endettement et plus d'économie d'énergie. Est-ce que de meilleurs salaires vont remplacer l'excès d'endettement privé ? Est-ce que l'Amérique est capable de changer de mode de vie ? La question donne la mesure de l'enjeu !

    Au-delà du G20, ne va-t-on pas plutôt avoir un G2, États-Unis/Chine ?

    Nous allons entrer dans une période baroque où il y aura en même temps des G20, des G14, encore des G7-G8 avec de moins en moins de signification politique, et une relation États-Unis/Chine centrale et complexe, dans laquelle l'Amérique apparaît un peu sur la défensive, compte tenu de la question du financement de ses déficits et de son niveau de vie. Mais il n'y aura plus de « G2 » exclusif.

    Et l'Europe au milieu de tout cela ?

    Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont une position commune. Très bien. Gordon Brown n'est pas tout à fait aligné sur <st1:personname productid="la City. Encore" w:st="on">la City. Encore</st1:personname> mieux ! Ils devraient arriver ensemble au G20 avec une position commune et à un accord avec Obama. Il y a aussi l'enjeu du sommet de Copenhague sur le climat en décembre, mais là ce sera surtout une bagarre avec le monde émergent. Après Pittsburgh, d'autres rendez-vous du G20 s'imposeront, ou du G14, si Nicolas Sarkozy fait prévaloir son idée. <st1:personname productid="La Chine" w:st="on">La Chine</st1:personname>, le Brésil, l'Inde et les autres veulent une suite. Maintenant que ce train est lancé, il ne s'arrêtera plus.

    Propos recueillis par Philippe Mabille


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique