• Crise obligataire : qui va renflouer l'Etat-providence ?
    Dan Denning pour la chronique Agora

    ▪ Ce week-end, le CIT Group Inc., avec 71 milliards de dollars d'actifs, est entré en lice pour la cinquième plus grosse faillite de l'histoire des Etats-Unis. CIT est la dernière victime en date de la crise du crédit, qui n'est apparemment pas encore terminée. CIT est un prêteur commercial auprès des PME qui s'est retrouvé dans l'incapacité de rembourser sa dette. N'étant pas une banque de dépôt, CIT doit financer la croissance de ses actifs par le biais de la titrisation et de l'emprunt, deux choses plutôt difficiles à obtenir ces temps-ci.

    La mise en faillite sous "Chapitre 11" de CIT l'autorise à passer par une restructuration sous la protection des tribunaux. Les détenteurs d'obligations pourraient s'en sortir sans trop de casse. En revanche, le Trésor américain a déjà perdu 2,3 milliards de dollars de l'argent du TARP qu'il a injecté dans l'entreprise. Et les plus gros perdants, ce sont les petites entreprises qui ne vont pas recevoir de financement. C'est une mauvaise nouvelle pour l'économie réelle.

    ▪ L'un des résultats des taux bas de <st1:personname productid="la Fed" w:st="on">la Fed</st1:personname>, c'est que les banques américaines se sont approvisionnées en bons du Trésor américain pour stabiliser leurs bilans. Nous vous avons dit que cela risquait de mettre de nouveau les banques en danger, si la valeur de ces bons était réduite de façon radicale par les forces du marché. On risquerait alors d'avoir un autre effondrement des nantissements bancaires qui pourrait, s'il était très important, entraîner un effondrement de la valeur. L'insolvabilité redevient un problème.

    Mais ne sous-estimez pas la capacité de la bulle obligataire à durer plus longtemps que ce que tout le monde pense. Les dirigeants fédéraux se réunissent cette semaine et ne vont certainement rien changer. Acheter des bons du Trésor et des titres adossés à des créances hypothécaires -- avec des réserves nouvellement créées (assouplissement quantitatif) et qui peuvent toujours être étendues -- n'est qu'une formalité. Alors les baissiers obligataires comme votre chroniqueur (qui pense aussi que les bons du Trésor américain sont une bonne opération à court terme) devraient-ils rester sur leurs gardes ?

    Oui !

    ▪ Une nouvelle régulation a été passée par <st1:personname productid="la Financial Services" w:st="on">la Financial Services</st1:personname> Authority britannique [équivalent de l'AMF française, ndlr.] afin de mettre en place de nouvelles règles de trésorerie pour les actifs des banques. Pour résumer, <st1:personname productid="la FSA" w:st="on">la FSA</st1:personname> peut exiger des banques qu'elles détiennent un certain pourcentage d'actifs pouvant être rapidement liquidés pour lever des fonds si besoin est. Des actifs dont la qualité de crédit est basse (des junk bonds ou des obligations d'entreprises moins bien notées) pourraient ne pas faire l'affaire.

    Ce que cela signifie -- si on lit entre les lignes -- c'est que les seuls actifs qui peuvent correspondre aux nouveaux critères de <st1:personname productid="la FSA" w:st="on">la FSA</st1:personname> sont les obligations souveraines. Cela rend peut-être les actifs bancaires plus faciles à liquider. Mais nous ne dirions pas que détenir plus d'obligations gouvernementales rend les actifs des banques plus sûrs, ou que cela améliore la position du capital dans le secteur financier.

    En réalité, ces nouvelles exigences fournissent surtout au gouvernement un moyen de forcer les banques à avaler les nouvelles émissions obligataires. Plutôt que d'avoir à trouver des créditeurs parmi les nations émergentes qui ont un bon niveau d'épargne, les gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni auront un marché captif dans leur propre secteur financier. Les banques se gaveraient ainsi progressivement d'obligations souveraines -- à condition que les agences Moody's, Fitch ou S&P n'aient pas baissé le degré de solvabilité des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

    Cela ressemble bien à un nouveau geste vers la nationalisation du secteur financier, mais de façon très intelligente. Et cela ne dérange sûrement pas beaucoup les banques en ce moment. Echanger des obligations gouvernementales contre de l'argent nouvellement imprimé par <st1:personname productid="la Fed" w:st="on">la Fed</st1:personname> était une opération quasiment sans risque qui a permis de soutenir les bénéfices des banques pour le premier semestre. C'est donc une bonne opération.

    Mais sur une perspective plus large, comme l'ont dit Nial Ferguson et Ken Rogoff ce week-end, cela signifie que la crise financière pourrait bientôt devenir une crise de la dette gouvernementale. Jusqu'à maintenant, les pertes des entreprises financières ont été transférées au secteur public. Mais cela n'a pas résolu le problème. Cela l'a simplement déplacé sur une scène plus grande... et le spectacle continue.

    Nous pensons que cela marque le début de la fin du Super Cycle de la monnaie fiduciaire. Une crise de la dette gouvernementale revient à dire que le modèle de financement de l'Etat-providence est brisé. Seulement, dans le cas présent, il n'y a pas d'organisation plus importante pour renflouer l'Etat-providence.


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  • CIT... pas assez bancaire pour ne pas faire faillite !
    par Philippe Béchade Mardi 03 Novembre 2009

    ▪ Le mois de novembre a démarré sur une note indécise à Wall Street. Les marchés américains n'ont pas répliqué dans son intégralité le rebond technique des places européennes -- malgré une série de statistiques conjoncturelles que nous n'avons aucun mal à classer dans les catégories "honorable" ou "satisfaisante".

    N'y voyez pas une touche d'humour au second degré comme celle qui avait accompagné la publication d'une hausse de 3,5% du PIB américain. Rappelons qu'il ne serait resté que le tiers de ce score sans les commandes du Pentagone et la "prime à la casse" du secteur automobile avec l'opération "Cash for Clunkers".

    Non, croyez-nous... les chiffres du jour étaient tout simplement bons. La hausse initiale de 1,5% des indices américains n'impliquait pas que les acheteurs aient fermé les yeux sur des éléments fâcheux ou ignoré des composantes démentant le tableau idyllique auquel les marchés feignaient de croire.

    Pourtant, quelque chose a grippé la mécanique haussière après moins d'une heure de cotation. Wall Street a entamé une glissade linéaire qui a duré près de trois heures ; elle a ramené le Nasdaq Composite vers les 2 030 points et le S&P 500 vers les 1 030 points (-0,6%)... avant que les vendeurs ne relâchent la pression et permettent aux indices de ne pas ajouter un nouveau repli de 0,5% aux 2,5% perdus vendredi dernier. Mais le rebond de la dernière heure est demeuré timide puisque le S&P grappille 0,65% et le Nasdaq 0,2% (il clôture juste en deçà des 2 050 points).

    ▪ Le petit grain de sable qui a semé le trouble après le net regain initial, ce pourrait être l'annonce du dépôt de bilan de la holding de tête du groupe financier CIT (fondé en 1908), spécialisé dans le financement des PME, très impliqué dans le commerce de détail mais également partenaire privilégié des artisans aux Etats-Unis.

    Le groupe, qui vient d'être placé sous la tutelle d'un juge, est présent dans une cinquantaine de pays et revendique 71 milliards de dollars d'actifs -- dont 65 milliards d'encours de prêts.

    Déjà mis en grave difficulté par la crise à l'automne 2008, CIT avait bénéficié d'une injection de 2,33 milliards de dollars le 31 décembre 2008 -- un joli cadeau de Nouvel An sous forme d'achat d'actions préférentielles souscrites par le TARP ! Cette annonce était toutefois passée relativement inaperçue car l'Amérique était alors obnubilée par la découverte du scandale Madoff et des 65 milliards de dollars volatilisés dans la nature. Remarquez l'équivalence de la dette de CIT et le montant global de la fraude Madoff... soit très exactement 10% du coût de la faillite de Lehman Brothers.

    Se retrouvant de nouveau au bord de la faillite au début de l'été dernier, CIT avait réussi à trouver le 21 juillet trois milliards de dollars pour tenter de tenir encore quelques semaines.

    <st1:personname productid="La FDIC" w:st="on">La FDIC</st1:personname> s'est refusée dès l'origine à prendre en charge ce dossier "non bancaire", qui ne relève pas de son autorité sur le plan formel. L'activiste financier Carl Icahn s'est alors proposé de garantir le principal d'un prêt de six milliards de dollars... contre une prise de pouvoir qui ne faisait pas l'unanimité parmi les principaux créanciers du groupe, lesquels n'avaient pas l'intention de le suivre en "remettant au pot".

    C'est ainsi que Wall Street a appris dimanche -- sans grande émotion, rassurez-vous -- que CIT allait se classer à la quatrième place des plus grosses faillites de l'histoire des Etats-Unis (derrière Lehman, WorldCom et General Motors).

    ▪ Un an après le krach systémique traité à coup de centaines de milliards de dollars du contribuable, le principe du "too big to fail" ["trop gros pour faire faillite", ndlr.] n'a pas bénéficié à CIT. La principale explication qui nous vient à l'esprit c'est que cet établissement n'appartient pas au sérail, et ne relève pas de la compétence de <st1:personname productid="la FDIC." w:st="on">la FDIC.</st1:personname>

    La seconde explication, c'est que le mal est déjà fait pour la clientèle (des centaines de milliers de commerçants et d'artisans). Les dégâts collatéraux ne peuvent déjà plus être prévenus ni limités pour les emprunteurs à court de trésorerie.

    Quelques chiffres vont suffire à vous édifier : CIT avait émis près de 36 milliards de dollars de nouveaux crédits en 2007, moins de 20 milliards en 2008... et six milliards en 2009. Cela fait une activité de financement -- majoritairement du crédit à court terme -- divisée par six en deux ans.

    ▪ CIT n'avait pas le statut "élite de la finance" qui ouvre droit aux liquidités de <st1:personname productid="la Fed. Et" w:st="on">la Fed. Et</st1:personname> si jamais Ben Bernanke avait décidé de faire une exception, il se pourrait que <st1:personname productid="la Réserve" w:st="on">la Réserve</st1:personname> fédérale se soit abstenue à la veille de sa réunion bimensuelle qui début ce mardi.

    Certains stratèges s'attendent à un changement de tactique -- en particulier à l'annonce d'une possible mise en sommeil progressive des modes d'intervention non conventionnels tels que l'assouplissement quantitatif (plus prosaïquement, la monétisation de la dette).

    Le robinet qui déversait les liquidités gratuites depuis décembre 2008 pourrait commencer à se refermer... Surtout que les marchés financiers se sont empressés de regonfler une série de bulles d'actifs, telles de gigantesques bombes à eau dont l'enveloppe ne serait plus très loin d'exploser si <st1:personname productid="la Fed" w:st="on">la Fed</st1:personname> n'y prenait pas garde.

    Accusée d'avoir provoqué le gonflement de la bulle du crédit immobilier de 2003 à 2006 par l'application d'une politique monétaire trop laxiste, elle pourrait avertir que ce scénario ne se répètera pas cette fois-ci. Cependant, avant de relever le loyer de l'argent -- au risque d'alourdir le coût de la faramineuse dette américaine --, elle pourrait commencer par éponger les liquidités en excédent.

    Voilà qui signifie moins d'argent en circulation sur les marchés et une appréciation du dollar qui ne serait pas du goût de Wall Street. Rien n'a encore été annoncé officiellement mais une série de corrections "paradoxales" s'est matérialisée depuis le 21 octobre. La dernière en date remonte au milieu de la séance de lundi (avec un écart linéaire de -2% en l'espace de trois heures de cotation) comme nous vous l'avons décrit en tout début de Chronique.

    ▪ Wall Street avait en effet de quoi justifier un rebond de belle facture avec une hausse de trois points de l'indice ISM. L'Institute for Supply Management dévoile un indice d'activité remontant vers 55,7 ce mois-ci, contre 52,6 au mois de septembre.

    Il s'agissait du troisième mois consécutif de croissance, sur fond de vigueur des nouvelles commandes. Il a été assorti d'une amélioration sur le front de l'emploi se traduisant par le rappel de certains travailleurs temporaires ou des réembauches comme chez Caterpillar (annonce remontant au début de la dernière semaine d'octobre).

    Les promesses de ventes dans le secteur immobilier américain ont également grimpé pour le huitième mois consécutif en septembre, selon une enquête publiée par <st1:personname productid="la National Association" w:st="on">la National Association</st1:personname> of Realtors (de 6,1% en rythme séquentiel à 110,1).

    Par rapport à septembre 2008, les promesses de vente affichent une augmentation de 21,2%, soit un record de hausse annuelle. Celle-ci résulte toutefois d'un rush ponctuel avant la date d'expiration du crédit d'impôt de 8 000 $, prévue pour la fin novembre. Les dépenses de construction aux Etats-Unis affichent en revanche un repli de 12,1% par rapport à la même période en 2008, même après le rebond de 0,8% du mois de septembre.

    De tels chiffres peuvent apparaître contradictoires ; une partie du mystère a été résolue lors de la publication d'articles de presse évoquant de nombreuses fraudes visant à capter la ristourne fiscale sans avoir réellement contracté de crédit.

    N'oubliez pas cette maxime helvétique pleine de bons sens : chaque fois que vous découvrez une statistique ou des profits trimestriels apparaissant trop beaux pour être vrais, c'est que c'est effectivement trop beau pour être vrai... ou bien ?


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  • Le grand retour de la bulle spéculative

    Bourses mondiales, marchés obligataires, prix du pétrole et des métaux flambent de concert De nouveau, le fossé se creuse entre l'économie réelle et la sphère financière Cette euphorie repose sur des bases fragiles

     

                En voulant sauver l'économie mondiale, a-t-on fait naître une nouvelle bulle qui sera à l'origine de la prochaine crise ?

    Après les injections massives de centaines de milliards de dollars par les Etats et les banques centrales dans le but d'éviter le naufrage des établissements bancaires et des constructeurs automobiles et pour soulager les ménages, de nombreux économistes mettent maintenant en évidence l'existence d'un accès de spéculation.

    En appui de cette thèse, ils soulignent la flambée concomitante et quasi inédite des marchés boursiers, en particulier en Asie, des marchés obligataires, notamment sur les emprunts d'Etat, et du prix des matières premières, l'or et le pétrole en vedettes. Depuis six mois, " tout monte ! ", constate Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez Natixis. Selon lui, il s'agit de spéculation car ces hausses, souvent spectaculaires - <st1:personname productid="la Bourse" w:st="on">la Bourse</st1:personname> de Shanghaï a progressé de 63 % depuis le 1er janvier -, sont déconnectées de la réalité économique. " A <st1:personname productid="la Bourse" w:st="on">la Bourse</st1:personname> de Taïwan, les valeurs des actions représentent 100 fois les bénéfices des sociétés, 90 fois en Australie, contre 13 fois à <st1:personname productid="la Bourse" w:st="on">la Bourse</st1:personname> de Paris ", souligne l'économiste.

    Pour M. Artus, cette bulle serait le fruit de l'abondance de liquidités issues notamment des plans de relance et de soutien lancés en 2008. Pour endiguer la crise, les banques centrales ont d'une certaine manière " fait marcher la planche à billets ", explique-t-il, en ouvrant les vannes du crédit via des politiques monétaires accommodantes avec des taux d'intérêt proches de zéro et en achetant des titres, parfois toxiques, afin de soulager les établissements financiers. Les Etats, de leur côté, se sont endettés en empruntant sur les marchés des montagnes de dette. Les économistes de Barclays calculent qu'il s'émettra en 2009 pour 1 300 milliards de dollars (875 milliards d'euros) de bons du Trésor américains et quelque 900 milliards de dollars de titres d'emprunts en Europe.

    " La liquidité mondiale n'a jamais progressé aussi vite, souligne M. Artus. De 1990 à 2007 la monnaie en circulation, estimée sur la base des bilans des banques centrales, progressait de 15 % par an en moyenne ; aujourd'hui, le rythme est de plus de 30 %. "

    " En 1990, la base monétaire représentait 4 % du produit intérieur brut (PIB) mondial ; aujourd'hui, c'est 21 % ! ", souligne M. Artus. Pour placer cet argent, les investisseurs achètent tour à tour des actifs sur le marché immobilier, sur celui des matières premières, des actions ou des obligations notamment " souveraines " - émises par des Etats - car jugées moins risquées. On a ainsi des " bulles sauteuses ", explique M. Artus, où la spéculation se concentre sur un marché avant de se nicher ailleurs.

    Du fait de ces excès, " la reprise qui se dessine est insoutenable, alerte l'historien et économiste Nicolas Baverez, dans une tribune publiée dans Le Monde du 30 octobre. L'on réédite les erreurs commises après 2001 en reconstituant deux bulles spéculatives, sur les marchés d'actions et de dettes des Etats ".

    " On vit dans un monde producteur de liquidités ", estime aussi Daniel Cohen professeur à l'Ecole normale supérieure (ENS). Mais, pour lui, la racine du mal est plus profonde qu'on ne le croit. " On a souvent dit que la politique monétaire laxiste d'Alan Greenspan, le président de <st1:personname productid="la Réserve" w:st="on">la Réserve</st1:personname> fédérale américaine, menée après l'éclatement de la bulle Internet était à l'origine de la crise actuelle ", rappelle-t-il. Les taux d'intérêt très bas auraient en effet contribué à laisser se former une bulle du crédit aux Etats-Unis. " En réalité les causes de l'abondance de liquidités sont plus profondes que les erreurs de Greenspan ", assure M. Cohen.

    L'excès d'argent proviendrait, selon lui, de la conjonction de deux facteurs : le premier lié à l'émergence de pays dont la balance commerciale est structurellement excédentaire, comme <st1:personname productid="la Chine" w:st="on">la Chine</st1:personname> - ils innondent la planète de leurs liquidités - ; le second de pays producteurs de matières premières, qui sont " à 95 % transformées en produits financiers ", explique M. Cohen.

    In fine, les Etats et les banques centrales ne seraient donc pas coupables de la création de bulles, mais subiraient, en quelque sorte, les déséquilibres de ce nouvel ordre mondial.

    Outrances financières

    Quelle qu'en soit l'origine, ces outrances financières auront, selon les économistes, des conséquences désastreuses tant au niveau microéconomique, que macroéconomique ou géopolitique. En éclatant, une bulle ruine en effet les détenteurs d'actifs du marché concerné. Mais la spéculation peut également propager ses effets négatifs à l'économie " réelle ". Les émeutes de la faim en 2008, liées à la flambée des matières premières (sucre, céréales, etc.) l'ont démontré, tout comme, à la même époque, un pétrole à plus de 100 dollars le baril a pénalisé l'industrie et le pouvoir d'achat des ménages.

    Que faire ? Pour la plupart des économistes, la responsabilité incombe en premier lieu aux banquiers centraux. A eux de faire en sorte de " vider " le monde de ses liquidités trop abondantes en durcissant les politiques monétaires.

    Mais en agissant ainsi, ils risquent de briser une reprise économique mondiale encore fragile et instable. Et certains experts, à l'image de Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, pensent qu'il est plus dangereux de briser la croissance que de laisser se propager une bulle financière qui, selon lui, menace... sans être encore véritablement présente.

    " La bulle n'est pas encore là, mais elle est devant nous. C'est un risque qu'il faut surveiller ", estime M. Lorenzi. Selon lui, tant que ce risque ne s'est pas manifesté, il est préférable de soutenir encore l'économie par le jeu de politiques monétaires conciliantes, même si l'économie n'en a plus vraiment besoin. " La moitié du PIB mondial est encore sous perfusion, il ne faut pas stopper ce soutien trop tôt,

    juge M. Lorenzi. Le faire un peu trop tard ne serait pas plus grave que de prendre des antibiotiques trois heures de plus qu'il ne faut. "

    Pour l'heure, le gouverneur de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de France, Christian Noyer, a rassuré les plus inquiets en soulignant, le 29 octobre dans un entretien aux Echos, que " pour le moment, rien ne justifierait " le relèvement des taux d'intérêt directeurs de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> centrale européenne (BCE).

    Mais, pour les banques centrales, l'exercice est d'autant plus délicat que leur boussole habituelle, l'inflation, ne marche plus.

    Jusqu'ici, une surchauffe était clairement rendue visible sous la forme d'une hausse des prix. Mais depuis les années <st1:metricconverter productid="1980, l" w:st="on">1980, l</st1:metricconverter>'inflation, sur le Vieux Continent comme dans l'ensemble du monde occidental, semblait éradiquée.

    L'efficacité des politiques monétaires dans ce domaine, couplée à la mise en place de mesures favorisant la concurrence, mais aussi et surtout aux bouleversements du marché du travail (désindexation des salaires sur les prix, multiplication des délocalisations, compétition avec des pays à bas salaires, moindre pouvoir des syndicats...) ont contribué à cantonner la hausse des prix autour de 3 %.

    Selon les économistes, pour mesurer les effets réels de leurs politiques monétaires sur les prix, les banques centrales doivent impérativement élargir leur mandat et ne plus regarder seulement l'inflation des biens et des services.

    L'autre inflation

    En effet, comme ces dernières années en ont fourni l'illustration frappante, l'inflation a déserté en grande partie les étiquettes des étals pour aller se réfugier sur les valeurs Internet ou dans l'immobilier. Les décisions de baisse ou de hausse des taux d'intérêt influencent peu le panier de la ménagère, mais beaucoup le prix auquel elle achète son logement. Les instituts d'émission gagneraient donc en efficacité s'ils surveillaient, en plus de l'évolution des prix à la consommation, celle des prix des actifs sur les marchés boursiers, des obligations ou des matières premières. Ils serviraient ainsi mieux, par la même occasion, leur objectif de veiller à la stabilité financière et de prévenir la formation de nouvelles bulles financières.

    Claire Gatinois

    Les banques centrales restent impuissantes quant à la valeur des actifs, dans un système financier qui échappe encore à une véritable réforme

    Sortie de crise : comment éviter un nouveau krach ?

    Cet article est paru sur quatre pages dans « Le Monde Economie », les phrases ci-dessus sont des « chapeaux rédactionnels » sur les parties de cet article.


    2 commentaires
  • " Nous sommes dans une opération de mise en scène et de méthode Coué "

    Paul Jorion, économiste et anthropologue, est l'auteur de " L'Argent, mode d'emploi "


    Le fort rebond concomitant des marchés financiers ces derniers mois (actions, obligations, matières premières) annonce-t-il une nouvelle bulle spéculative ?

    Y Quel que soit le niveau auquel la finance tombe, elle repart ensuite dans sa dynamique de bulle, car rien n'a été fait pour changer le mécanisme qui préside aux mouvements spéculatifs. En octobre 2008, après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, on a pu penser que les règles allaient être bouleversées aux Etats-Unis. Mais le processus démocratique prend du temps, ce qui laisse aux lobbyistes le temps d'agir pour empêcher les mesures contraignantes. De plus, le personnel politique et financier n'a pas changé. Il raisonne toujours selon les critères de la science économique classique quand il faudrait un changement de paradigme.



    Ne manque-t-il pas une pensée alternative ?

    La première réaction des économistes est celle du mouvement de balancier. Si les keynésiens ont tort, c'est que les monétaristes ont raison. Si les monétaristes ont tort, c'est que les keynésiens ont raison. Mais il serait naïf de croire que la vraie réponse à la crise se trouve dans la science économique. Il faut la trouver ailleurs...



    Dans la politique économique ? De même que Keynes, même s'il avait inspiré les politiques de relance des années 1930, ne les a finalement théorisées en grande partie qu'a posteriori ?

    Oui. Mais cette fois-ci, toutes les manettes de politiques économiques ont été actionnées en même temps, si bien que - dans le cas, hypothétique, d'une reprise effective - on ne saura jamais, in fine, laquelle a vraiment marché. L'analyse sera plus difficile.



    Vous jugez que les problèmes des banques n'ont pas été résolus. Pourquoi ?

    Toutes leurs pertes n'ont pas été encaissées. Elles ont pu falsifier leurs comptes en obtenant de valoriser leurs actifs non plus aux prix du marché (marked to market), mais au moyen d'un modèle (marked to model). C'est une hérésie. Ce changement de méthode ne fait que reculer le moment de vérité.



    Ne fallait-il pas gagner du temps en attendant la normalisation de l'économie, plutôt que d'amplifier la crise (de façon " procyclique " en jargon économique) ?

    Non. Dire qu'il y a des cycles dans l'activité, c'est constater qu'à chaque fois que l'économie s'est cassé la figure, elle est arrivée à repartir. Mais les actifs auxquels je fais allusion sont les mortgage backed securities (MBS) - des obligations adossées à des créances hypothécaires -, dont la valeur n'évolue pas selon des oscillations cycliques. Le prix des MBS dépend des mensualités qui sont remboursées sur le portefeuille de crédits auquel l'obligation est adossée. Or, aux Etats-Unis, le nombre de faillites personnelles continue à croître ; le nombre de chômeurs aussi. Le prix des MBS devrait donc chuter : ce n'est pas un marché spéculatif ou un produit dérivé.



    Dans votre dernier livre, vous écrivez que l'affaire Madoff est un machine de Ponzi (une cavalerie) " honteuse " tandis que le système de la titrisation des subprimes est un Ponzi " éhonté " (qui n'a pas conscience de sa honte). L'habillage des bilans bancaires en est-il le prolongement ?

    Oui, nous sommes dans une opération de mise en scène et de méthode Coué. La plupart des consommateurs américains ne connaissent pas d'autre baromètre économique que <st1:personname productid="la Bourse. On" w:st="on">la Bourse. On</st1:personname> essaye d'établir un lien malhonnête. Le public, voyant <st1:personname productid="la Bourse" w:st="on">la Bourse</st1:personname> remonter, doit se dire que la crise va se finir. Cela permet effectivement de gagner du temps, mais c'est un mauvais calcul...



    Mais il est bon pour les rémunérations dans la finance...

    Oui, et auprès de l'opinion publique, cela est ressenti comme une provocation. Quand l'économie connaissait des années de vaches grasses, l'enrichissement des traders et des dirigeants de banques semblait au moins un peu corrélé. Dans les années 1950, le philosophe et économiste Karl Polanyi a mis en garde contre la divergence de la finance et l'économie, citant le précédent des années 1920. On a vu où cela a conduit le monde. Mais la leçon n'a pas été apprise. Le risque est que les thèses populistes et les plus simplistes trouvent un écho dans l'opinion.

    Propos recueillis par Adrien de Tricornot

            Parcours

    1999 Anthropologue et économiste, Paul Jorion travaille jusqu'en 2007 dans plusieurs établissements de crédit américains.

    2007 Il publie Vers la crise du capitalisme américain ? (<st1:personname productid="La Découverte" w:st="on">La Découverte</st1:personname>) où il annonce la tempête financière des subprimes. L'ouvrage, épuisé, a été réédité en octobre 2009 (Ed. du Croquant).

    2009 Son dernier livre sur la crise, L'Argent, mode d'emploi est paru le 28 octobre (Fayard, 400 pages, 20 ¤).


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  • De l'inefficacité des marchés

    La politique monétaire se construit sur deux idées : la justesse du prix du marché et la lutte contre l'inflation. Les deux sont fausses

     

                Comment l'économie mondiale est-elle tombée si bas ? Elle est certes en train de se redresser, mais douloureusement, après une récession aiguë et en dépit d'un assouplissement monétaire et budgétaire sans précédent.

    Par ailleurs, peut-on raisonnablement penser qu'une économie mondiale équilibrée émergera d'une telle mise sous perfusion ? Le fait qu'une action si drastique ait été nécessaire est terrifiant en soi. Qu'il reste aussi peu de possibilités de répéter la même politique est encore plus effrayant. Mais le plus désolant, c'est que ce n'est pas la première fois que l'on doit secourir l'économie mondiale à la suite d'un effondrement consécutif à l'éclatement d'une bulle !

    Dans son dernier livre - après son Valuing Wall Street, qui a contribué à alerter ses lecteurs sur l'effondrement de l'an 2000 -, l'analyste financier Andrew Smithers, de la firme Smithers & Co, basée à Londres, présente de façon remarquable les erreurs d'analyse et de politique commises dans le passé (Wall Street Revalued : Imperfect Markets and Inept Central Bankers, Wiley, 19 ¤). Grâce à sa compréhension approfondie de l'économie et à sa longue expérience d'analyse des marchés, l'auteur est un guide irremplaçable. Son travail explique la bulle boursière des années 1990, les erreurs budgétaires du premier ministre britannique Gordon Brown et le récent excès de crédit.

    Le livre s'articule autour de quatre grands axes. Tout d'abord, les marchés des actifs ne sont que " médiocrement efficaces " ; ensuite, il est possible d'évaluer les marchés ; troisièmement, les énormes écarts positifs par rapport à la juste valeur - autrement dit les bulles - sont économiquement catastrophiques, notamment lorsqu'ils s'accompagnent d'une hausse du crédit et d'une sous-tarification des liquidités ; enfin, les banques centrales devraient s'efforcer de percer lesdites bulles. " Nous devrions accepter l'idée que la survenue de faibles récessions périodiques est le prix nécessaire à payer pour éviter des récessions majeures ", écrit M. Smithers. Au départ, j'ai commencé par rejeter ce point de vue. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis.

    Selon l'hypothèse de l'efficacité des marchés, qui a joué un rôle de premier plan dans l'économie financière, toute l'information appropriée est contenue dans les prix. Ensuite, ceux-ci ne font qu'évoluer en fonction des nouvelles informations. Le mouvement du marché serait donc une " marche aléatoire ".

    M. Smithers démontre que cette conclusion est empiriquement erronée. Selon lui, les marchés boursiers présentent une " corrélation sérielle négative ". Pour parler plus simplement, leurs rendements réels auront une plus grande probabilité de baisser s'ils ont connu une hausse récente, et vice versa. Le moment le plus opportun pour acheter n'est pas le moment où les marchés se comportent bien, mais lorsqu'ils trébuchent. " Les marchés opèrent une rotation autour de la juste valeur ", écrit M. Smithers, qui montre également qu'il y a quelques raisons de penser que cela est vrai d'autres marchés d'actifs réels - parmi lesquels l'immobilier.

    Une objection que l'on entend souvent est que si les marchés dévient de la valeur juste, ils offriront forcément une possibilité d'arbitrage permettant de s'en rapprocher. Mais M. Smithers démontre que la période au cours de laquelle les marchés dévient est si longue (plusieurs décennies) et leur évolution si imprévisible que cette possibilité ne peut pas être exploitée. Un vendeur sur le marché à terme perdra tout son argent longtemps avant de voir le marché revenir à la juste valeur. De même, quelqu'un qui emprunte pour acheter des actions quand elles sont bon marché a de grandes chances de tout perdre avant que son pari ne le lui rapporte.

    La difficulté d'exploiter de telles opportunités est grande pour les managers professionnels, qui perdront des clients. Les cimetières de la finance sont pleins de gens qui ont eu raison trop tôt.

    M. Smithers propose ensuite deux mesures fondamentales de la valeur. La première, " Q ", ou ratio d'évaluation lie la valeur des actions boursières à celle, nette, des entreprises ; la deuxième, le " coefficient de capitalisation des résultats à ajustement cyclique ", lie la valeur actuelle sur le marché à une moyenne mobile des bénéfices passés réels sur dix ans. Les deux mesures donnent des résultats similaires. Les manageurs professionnels utilisent de nombreuses autres méthodes d'évaluation, toutes erronées. Comme le remarque M. Smithers d'un ton sarcastique : " Les mauvaises approches de la valeur sont généralement pratiquées dans le monde des agents de change et des banquiers d'investissement qui sont moins intéressés par la recherche de la vérité que par celle de leurs commissions. "

    Les marchés médiocrement efficaces tournent donc autour de la valeur juste. Des effets grégaires peuvent les entraîner très loin de cette juste valeur mais, en définitive, des forces puissantes les y ramènent. Tout comme les arbres ne poussent pas jusqu'au ciel, les marchés n'atteignent pas des valeurs illimitées. Lorsque les actions atteignent des évaluations absurdes, les investisseurs cessent d'acheter et se mettent à vendre. Au final, la valeur des actions se réalignera sur (ou en dessous de) la valeur - et des rendements sous-jacents - des entreprises. Les prix des logements finiront, eux aussi, sur le long terme à être liés aux rendements réels.

    Pour ceux qui s'intéressent à la politique économique, les arguments de M. Smithers revêtent une signification plus large. Si les marchés peuvent être évalués, il est possible de savoir à partir de quel moment ils amorcent une bulle. Nous savons, par ailleurs, que l'éclatement d'une énorme bulle peut être économiquement dévastateur. Et cela est particulièrement vrai si cette bulle s'accompagne d'une forte hausse du crédit.

    Dans des circonstances extrêmes, la politique monétaire perd son impact, du fait que le système financier se trouve décapitalisé et que les emprunteurs font faillite. Ce à quoi nous assistons alors est ce que Keynes appelle " pousser sur une corde ", c'est-à-dire mener une politique sans effet.

    Quelles leçons tirer de tout cela sur le plan des politiques à adopter ? M. Smithers estime que les autorités politiques devraient surveiller le prix des actions, des logements et des liquidités.

    Si l'un de ces éléments, et en particulier si les trois à la fois se mettent au rouge, les banquiers centraux devraient réagir. Il recommande des mesures visant à relever le niveau des fonds propres des banques au cours du boom. Je serais également partisan de mesures limitant directement l'endettement des emprunteurs lorsque les prix des actifs s'envolent, notamment les prix des logements.

    L'époque durant laquelle les banques centrales pouvaient cibler l'inflation, en estimant que ce qui se passait sur les marchés du crédit et des actifs ne les concernait pas, est révolue. Non seulement les prix des actifs peuvent être évalués, mais ils doivent l'être. Vouloir " tenir tête au vent " - c'est-à-dire utiliser la politique monétaire pour enrayer la formation des bulles - est certes une attitude qui exige du jugement et sera toujours sujette à controverse. Les politiques monétaires et de crédit perdront également de leur simplicité. Mais il est préférable d'avoir à peu près raison que précisément tort. Cibler exclusivement l'inflation et croire à l'efficacité des marchés s'est révélé être une erreur. Ces idées fausses doivent être abandonnées.

    Par Martin Wolf

    Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le " Financial Times ". © FT (Traduit de l'anglais par Gilles Berton)

    Ils insistent  et pourtant on ne les entends pas  !!!
    Que faire pour éviter que tout recommence comme avant ? 


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