• Bill gates, une charité bien ordonnée  

    Avec le Giving Pledge, le fondateur de Microsoft veut inciter les milliardaires du monde entier à investir leur fortune dans des œuvres sociales. La démarche est généreuse mais cache, peut-être, une autre façon d’exercer son pouvoir…

    Tout a commencé par un dîner secret. Le mardi 5 mai 2009, à New York. Ce jour-là, à l’initiative de Bill Gates et de Warren Buffett, 11 milliardaires totalisant entre 120 et 130 milliards de dollars d’actifs personnels, dissertent dans l’intimité de la maison du président, à la Rockefeller University, au cœur de Manhattan. Le débat du jour : la philanthropie peut-elle contribuer à remodeler le monde ? Et, si oui, de quelle manière ?A dire vrai, des personnalités comme George Soros, Michael Bloomberg, John Rockefeller Sr. et bien sûr Bill Gates et Warren Buffett, sont déjà des spécialistes de l’action charitable. Avec de 3 à 4 milliards de dollars de dons utilisés chaque année, la Bill & Melinda Gates Foundation est, de loin, la fondation la mieux dotée de la planète. Et ce n’est pas fini… Le fondateur de Microsoft et sa femme sont en effet bien décidés à continuer à l’alimenter avec la quasi-totalité de leur fortune. Soit une bonne cinquantaine de milliards de dollars à venir. Warren Buffett, lui aussi, a promis qu’il céderait l’essentiel de sa richesse (au moins 30 milliards de dollars) à cette même fondation.

    Une promesse de don

    Mais tous les grands milliardaires de la planète ne sont pas (encore) aussi généreux. D’où cette fameuse réunion de New York, destinée à trouver un moyen de mobiliser pour la bonne cause le plus de donateurs possible à travers le monde. Tous ensemble, espèrent ces riches décideurs, ils seront plus efficaces pour solutionner quelques-uns des grands problèmes de la planète, comme la faim dans le monde, l’éradication de maladies anciennes du type malaria ou tuberculose…Vaste programme, mais tous les espoirs sont permis, tant les poches de ces personnalités semblent profondes. Et paradoxalement peu sollicitées : car même aux Etats-Unis – le pays le plus généreux en matière de charité publique avec environ 300 milliards de dollars de dons annuels –, les plus riches contribuent encore peu, au regard de leurs fortunes respectives. Selon un calcul effectué par le magazine « Fortune », les 400 plus gros contribuables américains, représentant à eux seuls 138 milliards de dollars imposables, n’ont consacré en 2007 que 8 % de ce montant (11 milliards de dollars) à des donations. Souvent avec le souci de payer moins d’impôts. Bill Gates estime, lui, que seuls 15 % des Américains les plus riches consacrent une part significative de leur fortune à des œuvres philanthropiques.Comment inciter les autres à le faire ?« L’objectif était de proposer quelque chose de très simple, qui ne soit surtout pas un contrat impliquant des avocats. Juste un engagement moral, mais public », a expliqué, depuis, Warren Buffett.Il a fallu plusieurs autres dîners pour finaliser le projet. C’est au cours de l’un d’eux, organisé à Palo Alto, en Californie, par un milliardaire du capital-risque, Ray Lane (devenu le mois dernier le président non exécutif de Hewlett-Packard) qu’a germé l’idée du fameux Giving Pledge (promesse de don).Annoncée le 6 août dernier, cette initiative regroupe déjà 40 milliardaires qui s’engagent, via une lettre signée et disponible sur le site www.givingpledge.org, à consacrer au moins la moitié de leur fortune à la philanthropie. Si possible de leur vivant.Un simple engagement moral. Mais les initiateurs du projet en sont convaincus : une fois le pas franchi publiquement, aucun des milliardaires ne pourra se permettre de reculer.Pour tous ceux qui l’ont déjà signé, c’est l’occasion de montrer ce qu’ils font déjà. Pour certains, comme Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, l’engagement était peu connu. Dans sa lettre de quelques lignes seulement, il révèle avoir depuis longtemps placé l’essentiel de sa fortune dans un fonds dont la vocation est d’apporter« 95 % des sommes engagées à des causes charitables ».George Lucas, le réalisateur de « La Guerre des étoiles », est plus disert. Dans une véritable profession de foi, il révèle qu’il consacrera l’essentiel de sa fortune à une meilleure éducation des jeunes. Son engagement est lui aussi ancien : cela fait vingt ans déjà qu’il anime la George Lucas Educational Foundation, dont l’objectif principal est d’améliorer les méthodes d’enseignement, grâce aux technologies de l’information.« Renforcer le niveau éducatif de nos enfants sera décisif pour la survie de l’humanité », assène-t-il. Rien de moins.

    Pouvoir et influence

    Pour faire avancer leur cause, ces 40 « super-philanthropes » souhaitent naturellement que leur club s’élargisse. Bill Gates a donc déjà repris son avion, notamment vers l’Asie, pour convaincre des milliardaires chinois et indiens de rejoindre le « Giving Pledge », afin de lui donner une dimension plus internationale. Sans grand succès pour le moment… Mais qu’importe. Le deuxième homme le plus riche du monde prend d’autant plus à cœur ce rôle d’évangéliste qu’il va à la rencontre de gens qu’il connaît et qui lui ressemblent. Le plus souvent des self-made-men ayant fait fortune eux-mêmes, a priori davantage prêts à se séparer de leur fortune que ceux qui en ont hérité. C’est lui qui le dit.Leur motivation principale viendrait du fait qu’ils échangent finalement de l’argent contre du pouvoir et de l’influence.« Ce modèle de philanthropie est basé sur des résultats concrets et sur le fait que les donateurs peuvent contrôler les actions et les résultats des causes auxquelles ils se consacrent », décrypte Matthew Bishop, coauteur de « Philanthrocapitalism : How the Rich Can Save the World ».« Par exemple, il y a encore cinq ans, personne ne pensait sérieusement que l’on pourrait prochainement éradiquer la malaria, alors que l’ONU y travaille depuis quarante ans. Pourtant, Bill Gates est parvenu à assembler une coalition regroupant des gouvernements, de grandes multinationales de la santé et plusieurs ONG afin que des actions concrètes soient mises en place, en plus des financements qu’il apportait. Aujourd’hui, grâce à ces actions, on considère que la malaria pourra bel et bien être vaincue dans le monde avant la fin de la décennie. »Ce qu’explique Bill Gates à ses pairs, c’est que, avec ce capitalisme philanthropique, ils pourront continuer d’appliquer des recettes familières, celles qui leur ont permis de s’enrichir : suivre des stratégies de type capital-risque, recourir à des techniques de management et des outils technologiques pour mesurer les « performances » de leurs investissements, etc. Sans oublier qu’ils peuvent continuer à se servir de leurs puissants réseaux relationnels pour ces actions nouvelles.

    De l’opacité au népotisme

    Si personne ne peut critiquer en soi le concept de capitalisme philanthropique, ni reprocher à Bill Gates une initiative telle que le Giving Pledge, certains commencent néanmoins à s’inquiéter du phénomène. En pointant le danger qu’il y aurait à orienter l’essentiel des dons vers des fondations constituées – et souvent pilotées – par ces milliardaires eux-mêmes. L’influence et le pouvoir qu’ils en retirent« pourraient avoir un effet perturbateur sur le fonctionnement de la démocratie », estime ainsi Christopher Caldwell, éditorialiste du « Financial Times ». D’autres s’interrogent aussi sur le fait que des sommes de plus en plus importantes puissent être gérées par des structures finalement opaques, échappant à tout contrôle – contrairement aux grandes entreprises qui réalisent des chiffres d’affaires comparables mais sont contraintes à un minimum de transparence. Certains soulignent également le risque de népotisme inhérent à ce type de structure : une fondation peut très bien servir à verser des salaires importants à des membres de sa famille ou des amis…Viennent enfin les critiques de fond. Si certaines fondations, comme celle de Bill Gates, deviennent « trop riches », elles pourraient devenir, de fait, la seule source de financement de certaines causes. Avec l’inconvénient paradoxal de ne pouvoir distribuer autant d’argent que s’il venait de plusieurs sources. Bill Gates, lui-même, reconnaît que sa fondation reste une « minuscule » structure et donc qu’elle ne peut dépenser autant qu’il le souhaiterait.Pour autant, cela ne l’empêche pas de jouer déjà un rôle important dans la société américaine.« Parce qu’il a déjà donné plus de 650 millions de dollars à des écoles ou des organismes éducatifs publics qui partagent ses idées sur la façon d’éduquer les enfants, certains estiment qu’il est le ’vrai’ ministre de l’Education », résume Matthew Bishop. Son influence s’étend donc jusqu’à la sphère politique, et ce n’est certainement qu’un commencement.D’une façon générale, le Giving Pledge risque de modifier en profondeur la conception de la philanthropie dans le monde, et les spécialistes du sujet estiment indispensable une réflexion nouvelle sur son rôle et ses missions. Aux Etats-Unis, la philanthropie telle qu’elle se pratique depuis quarante ans est le fruit d’un vaste débat de société, qui a eu lieu en 1969, et a abouti à une grande réforme fiscale. Aujourd’hui, l’essor du phénomène nécessite sans doute un nouveau débat dans le pays, sous l’égide du gouvernement américain. A en croire Bishop, le moment serait d’autant plus propice que« Barack Obama est le président américain le plus favorable à un partenariat avec la philanthropie capitalistique depuis longtemps »…

    Michel Ktitareff à Palo Alto

    Bill Gates, le visionnairede l’informatique sur  lesechos.fr/diaporama Convaincu de la nécessité de donner une dimension plus internationale au programme Giving Pledge, Bill Gates a pris son bâton de pèlerin. Comme ici, en juin, au Mexique.bloomberg


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  • La gouvernance mondiale comme ils la rêvent  

    Alors que le G20 s’ouvre demain à Séoul, en Corée du Sud, cinq personnalités impliquées dans les institutions internationales livrent leur vision d’un ordre mondial idéal.

    Dans la grotte, il y avait un chef de clan… Dans un monde devenu village, la gouvernance est souvent une question ignorée »,écrit notre collaborateur Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux « Echos », en introduction du livre d’entretiens qu’il vient de publier aux éditions Autrement. Alors que s’ouvre ce jeudi 11 novembre le G20, nouveau cénacle où sont censées se régler les affaires du monde, notre confrère a eu l’idée de demander à cinq personnalités particulièrement impliquées dans les institutions internationales, leur vision et leurs aspirations pour une planète mieux dirigée. Christine Lagarde, ministre française de l’Economie, Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE ; Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, François Bourguignon, directeur de Paris School of Economics et ancien vice-président de la Banque mondiale, et Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, se sont prêtés au jeu. Extraits.

    D. FO.

    Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’emploi.

    « Une marguerite, avec un cœur exerçant la souveraineté internationale et ses pétales, FMI, OMC, OMS… »

    Dans un monde rêvé, la communauté internationale identifierait les domaines de compétences relevant de la souveraineté internationale, ces «þiens publics mondiaux » dont parlent les économistes. Dans ces domaines parmi lesquels il y a notamment l’environnement, la santé et la finance, les grands principes seraient élaborés, respectés et mis en œuvre par une structure internationale à la fois représentative et efficace, nourrie de l’expertise et des propositions des grandes organisations internationales. Nous aurions ainsi une marguerite, avec un cœur exerçant la souveraineté internationale sur les biens publics mondiaux, et des pétales OMC, FMI, Forum de stabilité financière, Organisation internationale de l’alimentation, OMS, etc. Pour l’instant, nous avons déjà posé les premières pierres de la gouvernance mondiale qui existera dans vingt ou trente ans. A nous de la faire vivre et croître, à moins que les événements ne nous imposent une fois encore d’accélérer le processus… La gouvernance mondiale doit répondre à deux impératifs : représentativité et efficacité. Elle reste à inventer. Si nous cristallisions le G20 tel qu’il fonctionne aujourd’hui, nous aurions peut-être l’efficacité – à condition de maintenir l’impulsion, les programmes de travail et une structure assez mince et flexible –, mais sans doute pas la représentativité, car de nombreux États n’y participeraient pas. Plus que du G20, plus que des Nations unies, c’est sans doute des institutions de Bretton Woods – le FMI et la Banque mondiale – que nous pourrions nous inspirer pour bâtir cette gouvernance.

    Angel Gurria, secrétaire général de l’Organisationde coopération et de développement économiques (OCDE).

    « Des dirigeants convaincus,au service d’une idée, même sielle n’est pas populaire chez eux. »

    Il faut qu’il y ait un, deux ou trois pays qui soutiennent pleinement une idée. Avec des dirigeants convaincus qui l’appuient très fortement, tout en étant prêts à accepter les suggestions en provenance des autres pays, même si elles ne sont pas très populaires chez eux. Mais le succès n’est jamais garanti. On peut se fixer un programme de travail sur vingt grands dossiers, on arrive à en faire avancer vraiment trois ou quatre… Dans le processus, les pays ont toutefois échangé des documents, des idées avec beaucoup de gens et d’organisations internationales, c’est essentiel pour la suite. Pour avancer dans la gouvernance mondiale, il faut faire un travail d’analyse et de compréhension ensemble. L’OCDE apporte ici sa contribution. Nous disons aux gouvernants et à l’opinion de chaque pays :« Sur tel ou tel sujet, regardez ce qui se fait ailleurs dans le monde. »Nous étudions en profondeur, nous produisons des rapports avec des suggestions… Nous avançons de la même manière sur des dossiers comme la gouvernance d’entreprise (presque toutes les grandes entreprises mondiales sont gérées selon des principes qui ont été élaborés ici, à l’OCDE), la corruption internationale, l’environnement, l’emploi des jeunes, l’administration électronique, l’éducation avec l’enquête Pisa… Nous avons aussi contribué au rapport de la commission Attali en France. En Israël, nous avons lancé le débat sur la place des ultraorthodoxes et des Arabes sur le marché du travail et plus largement dans le système social. C’est l’une de nos missions essentielles : nous portons le débat sur la place publique. Quitte à prendre des coups ! La place publique est une des enceintes et un des outils les plus précieux pour accomplir notre mission, plus importante sans doute que pour n’importe quel organisme international.

    Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

    « Convoquer les sciences pourforger un sentiment d’appartenance collective. »

    Nous devons commencer par accepter l’idée que nous sommes dans un paradigme différent. La gouvernance mondiale ne peut pas être la réplique homothétique de systèmes nationaux. L’expérience de l’Europe montre que nous devons bâtir autrement, en allant au-delà des recettes pourtant vertueuses de Montesquieu, avec un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire. Nous devons recourir à d’autres disciplines que l’économie, le droit, la science politique, celles que nous avions employées pour inventer la gouvernance nationale puis européenne. Il y a dans la gouvernance mondiale une dimension plus culturelle, plus sociologique, plus anthropologique. Nous devons convoquer ces sciences pour mieux comprendre comment se forme ce sentiment d’appartenance collective et d’identité qui constitue le substrat de la gouvernance… Tant que la légitimité du processus politique reste dans les Etats-nations, on ne peut faire sourdre une dose de supranationalité que par la voie des systèmes politiques nationaux. Et c’est très difficile aussi longtemps que les gouvernants ne sont pas tenus responsables devant leur opinion publique sur les questions internationales comme ils le sont sur les questions nationales. Il faut localiser les questions de gouvernance globale et non globaliser les questions de gouvernance locale. Or, l’approche classique de la gouvernance mondiale fonctionne en globalisant les sujets. Elle part de l’existence de problèmes mondiaux, qu’il faut donc traiter globalement. C’est vrai sur le plan conceptuel, mais pas sur le plan politique, car la légitimité reste locale, enserrée dans la gangue westphalienne de l’Etat-nation souverain. Bien sûr, il y a des citoyens du monde, des organisations non gouvernementales. Bien sûr, il y a des thèmes comme l’environnement, la protection des animaux ou l’accès aux médicaments qui ont été portés par des ONG multinationales – tout aussi multinationales, d’ailleurs, que les grandes entreprises qu’elles critiquent. Mais ces ONG savent bien qu’elles doivent exercer la pression d’abord sur les gouvernements.

    François Bourguignon, directeur de Paris Schoolof Economics.

    « Retrouver la volonté de préserver un bien public majeur : la paix. »

    Je pense qu’une bonne gouvernance exige des règles de conduite, collectivement acceptées et unanimement respectées, et des décisions exécutoires. Dans ce sens, le G20, pas plus que le G8, ne constitue une forme de gouvernance. En revanche, le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale du commerce reposent bien sur de telles règles. Mais ces institutions ne couvrent qu’une petite partie du champ de la gouvernance économique mondiale… L’Europe est un exemple intéressant. Dans la seconde moitié du XXe siècle, elle a réussi à créer une gouvernance supranationale dans un nombre croissant de domaines. Non sans difficulté – mais, après tout, la gouvernance des Etats-Unis, souvent citée en modèle, n’a pas non plus été établie en un seul jour, elle est même passée par une guerre civile ! Le moteur premier de cette construction européenne était la volonté de préserver ce bien public majeur qu’est la paix. Avec le traité de Rome, les fondateurs espéraient que l’intégration commerciale éliminerait le risque de guerre, d’où l’importance de l’axe franco-allemand. Puis d’autres éléments ont joué. Les petits pays ont vu l’intérêt économique de se joindre à un grand marché. Les pays tout juste sortis de la dictature, comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, ont trouvé dans l’Union un point d’ancrage pour leurs jeunes démocraties. Le même ressort a joué aussi à l’est de l’Europe et il en ira probablement de même un jour pour les Balkans… Le monde sera sans doute plus « multipolaire » qu’aujourd’hui, avec trois pôles principaux : le continent américain, l’Asie et un bloc Europe-Afrique (quoique cette dernière puisse aussi se rapprocher de l’Asie). Dans ce monde multipolaire, la concertation et la coordination au sein d’un G3 seront sans doute plus faciles qu’au sein d’un G20. Et en même temps moins nécessaires, car chacun des trois pôles fonctionnera assez largement en autosuffisance. Mais je voudrais aller au-delà de cet horizon pour passer peut-être du côté du rêve. Je rêve d’un temps où les individus seront citoyens du monde, où les problèmes de la planète seront leur principale préoccupation collective, où la redistribution aura lieu entre riches et pauvres indépendamment de leur nationalité. On y arrivera peut-être dans deux ou trois siècles. On en a pris au moins autant pour construire les Etats-nations qui font le monde d’aujourd’hui et qu’une gouvernance mondiale authentique se doit maintenant de dépasser.

    Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI.

    « Un ordre mondial qui ne dépende plus d’un pays imposant sa loi. »

    Nous sommes tous des vaincus de la crise. Et c’est donc la première fois dans l’histoire que nous devons créer un ordre mondial qui ne soit pas l’ordre du vainqueur. Un ordre multilatéral qui ne dépende plus d’un pays imposant sa loi et sa bénévolence – car je crois à la bénévolence des Romains il y a vingt siècles ou à celle des Américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui suppose, pour nous qui sommes encore des « westphaliens » attachés à des Etats-nations, de forger ensemble un outil de gouvernance mondiale en lequel nous croyons tous. Face à une mondialisation qui a déployé son efficacité, ses progrès, mais aussi ses excès, notamment en matière financière, il y a urgence. Lorsqu’on regarde le surplomb de dollars constitué par les masses de monnaie américaine détenues partout dans le monde, il y a de quoi s’inquiéter. Pensez qu’il suffirait aujourd’hui d’un fou accédant à la tête de la Banque de Chine et d’un accident géopolitique quelque part pour que tout le système financier mondial s’effondre. Et si nous ne faisons rien, l’euro risque de valoir un jour 2,50 dollars. Pour éviter ces chocs, nous devons agir ensemble… Je rêve d’un monde où tout ce qui relève des ressources de la planète soit sous le chapeau d’une institution ressemblant au G20 : l’économique, le social, le financier, les échanges, l’environnement qui tombe naturellement dans le champ couvert en matière de développement par la Banque mondiale. Dans ce G20, le pouvoir de chaque pays serait déterminé par son poids économique et démographique – à l’inverse par exemple du G7, où la décision était prise par consensus sur la base le plus souvent du plus petit commun dénominateur des sept pays. L’autre grande question mondiale, la paix, relève évidemment des Nations unies.

    Pour une gouvernance mondialeChristine Lagarde,Angel Gurria,Pascal Lamy,François Bourguignon,Michel Camdessus. Entretiens avecJean-Marc Vittori. Editions Autrement. 99 pages. 10 euros.bloombergbloombergJose Giribas/ROPI-REANicolas MARQUESBruno Lévyreuters


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  • L'" hyperpuissance " américaine piégée par ses " hyperdéséquilibres "

     

    C'était à Bretton Woods, en 1944, lors de la conférence qui posa les bases du système économique de l'après-guerre : face aux déséquilibres macroéconomiques mondiaux, l'économiste britannique John Maynard Keynes promouvait un mécanisme contraignant pour réduire, au choix, les excédents ou les déficits des pays. Las, les Etats-Unis, " hyperpuissance " en devenir, s'opposèrent alors à l'adoption de telles mesures. Mais aujourd'hui, ces mêmes Etats-Unis, fragilisés par des " hyperdéséquilibres ", militent pour un tel encadrement.

    Car le déficit de la balance courante américaine atteint des proportions abyssales : il devrait s'élever à 466,5 milliards de dollars (336,5 milliards d'euros) en 2010, selon le Fonds monétaire international (FMI), soit 3,2 % du produit intérieur brut (PIB). Et atteindre ainsi l'équivalent des excédents à la fois de la Chine (267 milliards) et de l'Allemagne (200 milliards). En 2015, selon le FMI, le déficit des comptes courants pourrait atteindre 601,7 milliards de dollars.

    Concurrence chinoise Un trou grandement nourri par l'arrivée massive sur le territoire américain, ces dernières années, de biens d'équipement chinois fabriqués en Chine : alors que le déficit commercial mensuel avec l'empire du Milieu était de 6 milliards à 7 milliards de dollars au début des années 2000, il atteint 25 milliards aujourd'hui.

    Washington s'est longtemps accommodé de cette situation. Car, en échange, il a trouvé en Pékin le meilleur partenaire possible pour financer ses déficits publics galopants - la dette publique américaine devrait atteindre 92,7 % du PIB, en 2010. En clair : vous nous vendez vos tee-shirts, et vous achetez nos T-Bonds (les bons du Trésor à 30 ans). Une situation d'autant moins problématique que la consommation des ménages - boostée par les prix bas des produits importés et les faibles taux d'intérêt - a longtemps " nourri " les deux tiers de la croissance américaine. Mais la crise a profondément modifié les habitudes : le taux d'épargne des ménages est passé de 2 % des revenus, en 2007, à 6 % aujourd'hui.

    Désormais confronté à une croissance flasque et à un taux de chômage " européen " (9,6 % des actifs et même 17,6 % en incluant les travailleurs à temps partiel et ceux qui ont renoncé à chercher à un emploi), Washington doit explorer de nouvelles voies.

    Et notamment ne plus seulement miser sur les services et sa consommation intérieure en tablant davantage sur l'industrie. D'où ses élans répétés contre la sous-valorisation du yuan, afin de mieux faire face à la concurrence chinoise.

    Clément Lacombe

    Pékin préfère le statu quo à un changement de modèle risqué


    Pour Pékin, les sommets économiques internationaux se suivent et se ressemblent. La Chine est le vilain petit canard accusé de maintenir artificiellement sa monnaie à un niveau trop faible. On lui reproche de soutenir ses exportations au détriment de celles de ses partenaires commerciaux, dont les Etats-Unis, et des emplois qui en dépendent, par l'intervention de sa banque centrale. Et, chaque fois, les dirigeants chinois argumentent ainsi : les causes des maux des industries occidentales sont plutôt à chercher du côté de leur propre manque de compétitivité et le yuan remontera, mais laissons-lui le temps.

    Afin de s'assurer de sa stabilité, le cours du yuan sur les marchés de change est adossé à celui du dollar et est maintenu très bas depuis le début du ralentissement économique mondial. La Banque populaire de Chine définit quotidiennement un cours pivot, autour duquel sa monnaie ne peut varier que dans une bande de 0,5 %. Le Fonds monétaire international estime que le change du yuan est bien en dessous de son niveau naturel.

    Une semaine avant le sommet du G20 de Toronto, en juin, les banquiers centraux chinois avaient annoncé leur intention de poursuivre la réforme du mécanisme de change du renminbi, autre nom du yuan, et de le laisser s'apprécier, afin peut-être de limiter les critiques. Mais les grands changements se font toujours attendre : le billet rouge ne s'est apprécié que de 2,5 % face au billet vert depuis l'été, donnant un peu plus de grain à moudre aux politiciens américains.

    " Guerre des monnaies "

    C'est que les choix des dirigeants chinois sont limités, même si les commentateurs et les leaders du Parti communiste ne cessent de répéter que ce modèle a vécu et qu'il faut " rééquilibrer " la deuxième économie de la planète. La solution est bien connue : réorienter l'économie vers la consommation intérieure. Pour cela, laisser le yuan grimper, améliorer les salaires pour permettre aux Chinois de dépenser, et surtout augmenter des taux d'intérêt qui permettaient jusqu'à présent de transférer l'épargne des ménages vers l'endettement des usines exportatrices ou des promoteurs immobiliers.

    Mais la remise en cause du modèle de croissance qui fait le succès de l'économie chinoise depuis trois décennies inquiète. " Une partie des politiciens et des conseillers à Pékin appelle de ses voeux la réévaluation du renminbi dans le cadre du rééquilibrage de l'économie, explique Michael Pettis, professeur de finance à l'université de Pékin. Mais d'une part, ils se heurtent à l'opposition des exportateurs et des entreprises publiques et, d'autre part, ils reconnaissent que cela ne peut pas se faire trop vite. " Le risque est d'assister à une baisse des commandes et donc à une hausse du chômage, à une chute de la consommation, et à la montée d'un mécontentement politique.

    Maintenir le statu quo est donc tentant, tout en essayant de détourner l'attention. Le vice-ministre des finances, Zhu Guangyao, s'est attaqué, lundi 8 novembre, aux Etats-Unis, accusés de faire tourner la planche à billets. Il a promis que la décision de la Réserve fédérale d'injecter 600 milliards de dollars (433 milliards d'euros) pour revitaliser une " économie léthargique " fera l'objet de " discussions candides " lors du sommet du G20 de Séoul. En parallèle, le quotidien destiné aux lecteurs étrangers, China Daily, fustigeait, mardi, dans un éditorial, la politique monétaire de Washington et ses " conséquences inconnues ".

    Les accusations d'utilisation de l'arme monétaire ne sont donc plus l'apanage des Occidentaux. La Chine entend retourner l'argument à bon compte, relève Zhang Jun, directeur du Centre chinois d'études économiques de l'université de Fudan à Shanghaï.

    " D'une certaine manière, le débat sur la guerre des monnaies est favorable à la Chine, explique le professeur Zhang, car si chacun reproche à l'autre de déprécier volontairement sa monnaie, elle se sentira un peu moins seule à subir les pressions. "

    Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)

    L'euro souffre de l'attentisme de la BCE


    Il y a six mois, en pleine crise grecque, l'euro était donné pour mort. Depuis, à quelques dérapages près, la monnaie unique n'a cessé de s'apprécier. Elle a pris 18 % face au billet vert et s'échange désormais autour de 1,40 dollar. Cette vigueur ne reflète pourtant en rien la santé économique d'un Vieux Continent promis à une croissance molle en 2011.

    Dans les faits, l'euro semble être devenu la " variable d'ajustement " d'un marché des changes soumis à de fortes tensions. Prise dans un billard à plusieurs bandes, la Banque centrale européenne (BCE) est comme impuissante. " Que peut-elle faire pour influer sur le cours de l'euro ? Rien ", confirme Natacha Valla, chef économiste chez Goldman Sachs à Paris. Essentiellement attachée à la stabilité des prix, l'autorité monétaire n'a pas de mandat pour intervenir sur le marché des changes. Elle ne l'a d'ailleurs fait qu'une fois, en 2000, quand l'euro avait atteint son plus bas niveau historique.

    Articles de foi Alors que les déclarations guerrières se multiplient, au Brésil ou en Chine, Jean-Claude Trichet reste de marbre. Le patron de la BCE est muet sur le niveau de la monnaie unique. Muet également sur l'initiative de la Réserve fédérale américaine de reprendre ses achats d'emprunts d'Etat, quand bien même cela perturbe le système monétaire international. " Je n'ai aucune raison de penser que la Réserve fédérale et le secrétaire au trésor poursuivent une stratégie du dollar faible ", a affirmé M. Trichet, le 4 novembre.

    " La BCE veut rester conciliante à l'égard de la Fed, explique Mme Valla, car elle pourrait un jour avoir besoin d'une attitude coopérative de la part des autres banques centrales, si par exemple le dollar venait à glisser trop vite. "

    Aucun expert n'imagine que M. Trichet sorte de sa réserve, à moins que l'euro atteigne 1,55, voire 1,60 dollar. Le banquier central obéit à deux articles de foi : primo, le vrai problème n'est pas tant le niveau des taux de change que leur volatilité excessive. Secundo, le cours des devises doit être déterminé par les forces du marché, non par des interventions, et refléter les fondamentaux économiques.

    " Rien de cela n'est critiquable mais le problème, c'est que la BCE est en ce moment la seule institution monétaire à se tenir à ces principes ", note Bruno Cavalier, chez Oddo Securities. Selon l'économiste, " on peut regretter que M. Trichet manque un peu d'opportunisme, lui qui aime à dire "Je suis M. Euro" ".

    Marie de Vergès


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  • Qui dérègle l'économie mondiale ?

    Les pays du G20 peuvent-ils s'entendre ?

    L'économie mondiale est agitée par les répliques du séisme qu'a été la crise américaine des subprimes et la récession qui a suivi. Le G20, qui se réunit à Séoul les 11 et 12 novembre, va tenter d'apaiser les affrontements qui opposent les plus importants de ses membres concernant le taux de change et le commerce. Car, pour être enveloppées de diplomatie, les critiques volent bas et chaque pays clame que le voisin a mis la pagaille dans les affaires du monde. Au vrai, quel est le coupable qui nuit à la croissance " forte, équilibrée et durable " dont rêvent les communiqués de tous les sommets internationaux ?

    Le couple infernal sino-américain Pour les Chinois, comme l'a déclaré leur vice-ministre des finances, Zhu Guangyao, ce sont les Etats-Unis qui " n'ont pas suffisamment conscience de leur devoir sur le marché des capitaux et n'ont pas réfléchi aux attaques que subissent les pays émergents de la part des capitaux trop volatils ". En se tenant prête à injecter 600 milliards de dollars (431,6 milliards d'euros) pour soutenir une conjoncture flageolante, la Réserve fédérale risque de déclencher une fuite des liquidités vers les pays en développement et de dévaluer le dollar, avec reprise de l'inflation à la clé.

    Pour les Américains, comme l'a déclaré Timothy Geithner, le secrétaire d'Etat au Trésor, c'est la Chine qui, en maintenant sa monnaie basse, engrange de formidables excédents commerciaux et met en péril la croissance, asphyxiant l'emploi et les comptes des pays qu'elle inonde de ses produits.

    Dans le reste du monde, chacun y est allé de son initiative pour se protéger des remous créés par le couple infernal sino-américain. Exaspéré par l'ascension du yen, le Japon a racheté 18,5 milliards de dollars en septembre. La Corée du Sud injecterait sous le manteau un milliard de dollars par jour pour éviter au won de trop s'apprécier.

    Mesures radicales contre concurrences déloyales Ces mesures sont impuissantes à canaliser des flux de liquidités (4 000 milliards de dollars par jour). Aussi les gouvernements lorgnent-ils sur des mesures radicales pour se protéger de concurrences, selon eux, déloyales. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) affirme que les mesures protectionnistes ne pénalisent pas plus de 1,4 % des importations mondiales, mais elle se fait de plus en plus de souci : ses membres tardent à supprimer les barrières (droits de douane, contingents, subventions) érigées durant la crise.

    L'OMC rappelle que ce n'est pas en surtaxant les poulets américains (pour les Chinois) ou les boulons et les tubes d'acier chinois (pour les Américains) que les protagonistes se tireront d'affaire. Car, juge-t-elle, " les causes sous-jacentes du dangereux cocktail fait de profonds déséquilibres commerciaux, de taux de chômage élevés et persistants et de mouvements désordonnés des changes sont d'ordre macroéconomiques ".

    Les grands déséquilibres nationaux La faiblesse de la monnaie des uns ou l'excédent commercial des autres ne sont, en effet, que des symptômes et ce n'est pas, comme le propose M. Geithner, en limitant à 4 % les excédents et les déficits des balances courantes que l'on remettra les économies d'aplomb. Les causes du malaise sont à chercher dans les déséquilibres propres à chaque nation.

    Les Etats-Unis vivaient trop à crédit et doivent réapprendre les vertus de budgets équilibrés, ce qui leur permettra d'exporter plus. La Chine serait bien inspirée de créer un système de protection sociale, afin que ses citoyens consomment plus et exportent moins. L'Europe doit s'atteler à la réduction de sa dette, sans casser une croissance anémique. Le Japon doit se tirer de la déflation en assainissant son système financier et en se préparant à gérer une population très âgée. Le Brésil ne pérennisera sa belle croissance qu'en limitant ses déficits budgétaires et en investissant, etc.

    Quel médecin au chevet de l'économie mondiale ? Tout le monde connaît les remèdes, mais qui les prescrira ? Le Fonds monétaire international (FMI) semble le médecin désigné par ses statuts, mais ceux-ci n'ont pas prévu qu'il puisse sanctionner un malade récalcitrant. A Séoul, le G20 pourrait donc confier au Fonds la tâche d'établir, pour chaque grand pays, un rapport sur les conséquences de ses décisions sur les autres économies. Ce rapport serait rendu public et discuté de façon multilatérale.

    Compter sur l'amicale pression des autres pays pour rappeler à un Etat qu'il n'est pas seul au monde n'est peut-être pas enthousiasmant, mais en l'absence d'un gouvernement mondial, on ne voit pas d'autres solutions pour éviter qu'une surenchère des égoïsmes dégénère en Grande Dépression.

    Alain Faujas


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  • De lourdes incertitudes pèsent sur la croissance dans la zone euro

    Soutenue en Allemagne mais fragile dans d'autres pays, l'activité risque d'être freinée par les plans de rigueur

     

     

    Avis de brouillard sur la croissance en zone euro. Les nouvelles économiques en provenance des pays de la monnaie unique se succèdent, soufflant alternativement le chaud et le froid. Ainsi jeudi 28 octobre, la Commission européenne a indiqué que la confiance des chefs d'entreprise et des consommateurs de la zone euro avait atteint, en octobre, son plus haut niveau depuis décembre 2007.

    Pourtant, une semaine plus tôt, l'indice PMI révélait que la croissance de l'activité privée avait ralenti en octobre, pour le troisième mois consécutif. La reprise peut-elle caler ? Ou faut-il plutôt s'attendre à un atterrissage en douceur de la croissance européenne ?

    " On se trouve dans une période d'incertitude telle qu'on n'en avait pas connue depuis des décennies. Les indicateurs sont très confus, il est devenu extrêmement complexe de dire précisément où l'on va ", indique Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes. Au rang des bonnes nouvelles, la croissance robuste de l'Allemagne, première économie européenne : Berlin prévoit désormais une progression du produit intérieur brut (PIB) de 3,4 % cette année. Le nombre de chômeurs vient de repasser sous la barre symbolique des 3 millions. Les exportations carburent, les salaires grimpent, la consommation repart doucement. Un cercle vertueux dont pourrait profiter le reste de la zone.

    Pressions diverses

    Et pourtant, " l'Europe ne se réduit pas à la situation allemande, tout comme on avait tort, il y a six mois, de la résumer à la situation de la Grèce ", insiste Bruno Cavalier, chef économiste de la société de Bourse Oddo. L'économie européenne est aujourd'hui soumise à des pressions diverses, susceptibles de peser sur la reprise. Les experts s'inquiètent notamment des effets sur la croissance de la remontée de l'euro. Une appréciation qui tombe mal, au moment où les pays de l'eurozone s'apprêtent à passer ensemble de la relance à la rigueur.

    Au début de l'été, " on espérait que le resserrement budgétaire serait atténué par la baisse de l'euro. Ce n'est plus le cas ", souligne Gilles Moëc, économiste chez Deutsche Bank. Après avoir dégringolé de 16 % en six mois par rapport au billet vert, dans le sillage de la crise grecque, la monnaie unique a regrimpé d'autant depuis juin. Elle semble servir de variable d'ajustement sur un marché des changes soumis à de fortes tensions et s'échange désormais entre 1,38 et 1,40 dollar.

    S'il se poursuit, ce rebond risque d'éroder sérieusement la compétitivité des produits de la zone euro, donc de pénaliser les exportations au moment où le commerce mondial s'essouffle. Et, par ricochet, de décourager les entreprises souhaitant investir et embaucher. Pour les experts, un euro à 1,40 dollar pourrait, l'an prochain, amputer la croissance de 0,5 %, tandis que les politiques de réduction budgétaire devraient peser sur la demande intérieure.

    Faut-il croire au risque de rechute ? " On ne doit pas le surestimer, mais il existe ", juge Jean-Michel Six, chef économiste Europe chez Standard & Poor's. Un tel scénario a, selon lui, 20 % à 25 % de chances de se réaliser, notamment en cas de nouveau choc outre-Atlantique. L'économie américaine envoie elle aussi des signaux contradictoires. " Les Etats-Unis ne sont pas sortis du bois, estime M. Six. Le marché immobilier va toujours mal. "

    Dans le doute, la plupart des experts prédisent une croissance molle en 2011... tout en soulignant qu'une moyenne ne signifie pas grand-chose tant les disparités sont fortes entre les pays : la zone euro offre un tableau plus contrasté que jamais, partagée entre la locomotive allemande, les pays du " peloton " tels la France et l'Italie, et ceux de la " périphérie " affichant une croissance atone.

    Cette hétérogénéité complique la tâche de la Banque centrale européenne (BCE). " Si elle définit sa politique monétaire en fonction d'une moyenne des pays, elle risque de mécontenter tout le monde, si elle prend l'Allemagne comme référence, elle risque de pénaliser les plus faibles ", décrit Bruno Cavalier.

    Hésitations et désaccords sont perceptibles au sein de l'institut d'émission européen. Ses choix seront pourtant déterminants pour la reprise. Trop de laxisme créerait des déséquilibres. Mais trop de rigueur accélérerait à coup sûr l'appréciation de l'euro. A fortiori au moment où la Réserve fédérale américaine (Fed) s'apprête, elle, à assouplir sa politique monétaire.

    Marie de Vergès


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