• L’humiliation de la Grande-Bretagne

    J. Bradford DeLong

     

     

    BERKELEY – A la fin 2008, au moment où la crise financière a frappé l’économie mondiale de plein fouet, les pays se sont divisés en deux groupes : ceux dont les dirigeants ont décidé de se débrouiller tant bien que mal, et la Chine. Les Chinois furent les seuls à prendre au sérieux l’argument de Milton Friedman et de John Maynard Keynes qui veut que face à la possibilité d’une dépression, le gouvernement doit en tout premier lieu intervenir stratégiquement sur les marchés financiers et des biens et des services pour maintenir le niveau de la demande agrégée.

    Ensuite, au début 2010, les pays qui se débrouillaient tant bien que mal se divisèrent à leur tour en deux groupes : ceux dont la légitimité gouvernementale était intacte continuèrent à se débrouiller, tandis que d’autres pays, comme la Grèce et l’Irlande, dont la légitimité gouvernementale était affaiblie, n’eurent pas d’autre choix que de suivre une cure d’austérité et tenter de rétablir la confiance fiscale.

    Aujourd’hui, une nouvelle division s’opère, entre les pays qui continuent à se débrouiller du mieux qu’ils le peuvent, et la Grande-Bretagne. Même si la légitimité gouvernementale britannique n’est en rien altérée, l’administration du Premier ministre David Cameron s’apprête à mettre en ouvre sur plusieurs années des mesures qui constitueront peut-être la plus importante contraction fiscale connue – un plan qui vise à réduire le déficit budgétaire de 9 pour cent du PIB en quatre ans.

    Jusqu’à présent, la Chine est le pays qui se sort le mieux de la crise financière. Les pays qui se débrouillent sont à la traîne. Et ceux dont la confiance en l’endettement du gouvernement est ébranlée, obligeant le gouvernement à appliquer une politique d’austérité, sont ceux qui s’en sortent le moins bien.

    La question qui se pose maintenant est la suivante : la Grande-Bretagne – dont la confiance en son gouvernement est intacte et dont l’austérité n’est pas forcée, mais choisie – rejoindra-t-elle les autres pays dans le bas du panier en servant d’avertissement tragique ?

    Le gouvernement Cameron soutenait auparavant que sa politique produirait un boom économique en induisant l’apparition de la Fée Confiance qui réduirait fortement les taux d’intérêt à long terme, tout en provoquant un accroissement massif des dépenses en investissements privés. Il a aujourd’hui abandonné ce discours et l’a remplacé par l’argument disant qu’ignorer la rigueur budgétaire conduirait au désastre. Comme l’a dit le ministre des Finances George Osborne :

    « Le budget d’urgence adopté en juin a été le moment où la crédibilité fiscale a été rétablie. Nos taux d’intérêt ont presque atteint un plus bas record. La note de crédit de notre pays a été préservée. Et le FMI, après avoir lancé des avertissements à la Grande-Bretagne, a aujourd’hui qualifié notre budget « d’essentiel ». Il est temps que nous mettions en ouvre certaines des décisions clés prévues par ce budget. Reculer aujourd’hui risque d’acculer notre pays à la ruine ».

    Mais si vous demandez aux partisans du gouvernement britannique pourquoi il n’existe aucune alternative à la réduction drastique des dépenses du gouvernement et à la hausse des impôts, leurs réponses sont confuses et incohérentes. Ou peut-être ne font-ils que répéter des arguments sans pouvoir les étayer par une réflexion approfondie.

    Pourquoi ne pas continuer à accepter des déficits budgétaires importants jusqu’à ce que la reprise économique soit assurée ? Bien sûr, la dette publique s’accroîtra et les intérêts de la dette devront être payés, mais le gouvernement britannique peut contracter des emprunts à des conditions extraordinairement favorables. Lorsque les taux d’intérêt sont bas et que vous pouvez emprunter à des conditions favorables, le marché vous dit de maintenir les dépenses publiques et de repousser à une autre échéance les augmentations d’impôts.

    Les partisans de l’austérité budgétaire rétorquent que le crédit du gouvernement pourrait s’effondrer et qu’il pourrait être contraint de refinancer sa dette à des conditions défavorables. Pire, le gouvernement pourrait être dans l’incapacité de refinancer sa dette et devrait alors réduire les dépenses et augmenter fortement les impôts.

    Mais c’est précisément ce que fait le gouvernement britannique aujourd’hui. Comment l’éventualité de voir le gouvernement contraint à une consolidation fiscale radicale peut-elle devenir une justification pour prendre ces mesures immédiatement, sans contrainte extérieure et avant que la reprise soit en bonne voie ?

    Il est vrai que dans les années 1970, la confiance dans le gouvernement britannique s’était  effondrée, l’obligeant à emprunter au FMI de manière à ce que les dépenses puissent être réduites et les impôts augmentés, graduellement au lieu de brutalement. Mais c’est précisément pour cette raison que Keynes et Harry Dexter White ont souhaité la création du FMI. Un programme du FMI restaure la confiance dans la santé fiscale des gouvernements dans lesquels le marché n’avait plus confiance. Les prêts du Fonds permettent que les réductions des dépenses et les augmentations des impôts au long et moyen termes se fassent à un moment plus approprié.

    Emprunter auprès du FMI peut être perçu comme un recours humiliant pour les gouvernements. Mais les entreprises établissent tout le temps des lignes de crédit pour parer à toute éventualité et ne pensent pas qu’il est humiliant de s’en servir en cas de difficultés. Et qu’y a-t-il vraiment de si humiliant à emprunter auprès de ses propres citoyens ?

    Les Britanniques, comme le sait très bien Osborne, sont prêts à prêter massivement à leur gouvernement, et à des conditions plus favorables que celles du FMI. Et si l’on s’inquiète que les Britanniques changent d’avis, nul doute que les princes de Wall Street, les barons de Canary Warf ou le secrétaire au Trésor américain Tim Geithner seront prêts à vendre des contrats dérivés pour protéger la Grande-Bretagne contre les risques de change pour plusieurs années à venir.

    Emprunter auprès de ses citoyens est particulièrement peu humiliant quand votre économie est en récession, quand les taux d’intérêts auxquels vous pouvez emprunter sont particulièrement bas et que tous les raisonnements économiques invitent à dépenser maintenant et à imposer plus tard.

    Ce qui est par contre humiliant est d’avoir un gouvernement qui supprime un demi million d’emplois dans le secteur public et qui provoque la perte d’un autre demi million d’emplois dans le secteur privé. Dans une économie de 30 millions d’emplois, cela signifie un accroissement du taux de chômage de 3,5 pour cent – à un moment où il n’y a pas de croissance de la demande de la part du secteur privé pour prendre le relais. Ce n’est vraiment pas l’heure de gloire de la Grande-Bretagne.

    J. Bradford DeLong, ancien sous-secrétaire du Trésor américain, est professeur en sciences économiques à l’université de Californie à Berkeley et chercheur associé du Bureau national de  recherche économique.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
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    Traduit de l’anglais par Julia Gallin

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  • Nous sommes au cœur d’une crise de l’économie réelle (1/5)
    LA CRISE N'EST PAS FINIE - 2007-2010: voici trois ans que notre économie est en crise. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes étudie la période récente et nous livre son diagnostic: pour en sortir, il va falloir régler des problèmes structurels graves.
     

    Lorsque, dans quelques années, l’on réexaminera cette période, on s’apercevra que jamais le monde ne fut confronté à un tel transfert d’activités des pays de l’OCDE vers les pays émergents. Pourquoi une telle brutalité dans ces mouvements, source de tensions macro-économique insoutenables? Parce qu’il n’existait aucun instrument de régulation à l’échelle mondiale capable d’assurer la transition nécessaire. Et les raisons de ce qui restera comme une crise majeure de l’économie mondiale trouvent leur origine dans l’histoire des vingt dernières années.

    Souvenez-vous du socialisme de marché

    En effet, il y a une vingtaine d'années, avant la chute du mur de Berlin, les économistes débattaient de la confrontation entre capitalisme et socialisme avec la vision simplificatrice de deux systèmes en compétition, homogènes l'un et l'autre. Et puis, tout cela s'est évanoui dans la disparition du bloc soviétique et nous avons progressivement admis que l'économie de marché s'était totalement et définitivement imposée, créant ainsi les conditions d'émergence d'un capitalisme mondial.

    Les maîtres mots étaient tous rattachés à l'idée même du marché: dérégulation, déréglementation, financiarisation, mondialisation. Dans la réalité, nous avions totalement assimilé, à tort, les concepts de marché et de capitalisme en oubliant des expressions du passé comme celles de socialisme de marché. Souvenez-vous, il s'agissait de faire cohabiter l'objectif d'un avenir, collectivement imaginé et décidé avec un fonctionnement quotidien du marché nécessaire au bien-être du consommateur. Tout cela n'a pas pour objet de développer la nostalgie des années 1960-70, mais de rappeler que socialisme et capitalisme sont des concepts multiples et, en réalité, séparés de celui de marché. L'enjeu est de taille, puisque si l'on retrouve une véritable conceptualisation spécifique du capitalisme comme mode d'appropriation et de régulation, notamment institutionnel du capital, on peut légitimement considérer qu'il n'y a pas une entité unique et donc qu'il y a possibilité de confrontations. C'est dire si le sujet est fondamental, puisque derrière ce qui pourrait apparaître comme un débat théorique, c'est une vraie hypothèse sur l’origine de la crise.

    Des formes nouvelles émergèrent, mais elles ne peuvent, aujourd'hui, définitivement établir le clivage principal entre capitalisme anglo-saxon, familial ou paraétatique. C'est le monde anglo-saxon qui bénéficia le plus de la phase de généralisation de l'économie de marché, s'insérant partout, en Europe centrale, en Russie en établissant une sorte de pouvoir sans partage, non seulement dans les pays fondateurs, mais partiellement dans l'ensemble de l'Europe continentale. Tout cela donna le sentiment que l'affaire était jouée et que le monde était définitivement engagé dans une homogénéisation parfaite. Faux, puisque le capitalisme paraétatique était la règle dans nombre de pays émergents. C’est connu en Chine et en Russie, cela l'est moins en Amérique du Sud.

    Les capitalismes responsables de la crise

    On le voit, le tableau était bien complexe, très incertain et sans que la règle de la convergence des modèles économiques ne soit si évidente que cela. Oui, la vraie origine de cette crise réside dans l’incapacité des multiples formes de capitalismes, largement en confrontation, de trouver des lieux de négociation, de conciliation parce que ceux qui existent, FMI, Banque mondiale, G8 sont datés, inaptes à permettre aux nouveaux rapports de force de s’exprimer. Et c’est ainsi que la crise de l’énergie, et celles de l’OMC, n’ont pas encore aujourd’hui trouvé de solutions.

    En réalité, la crise financière est survenue dans des économies déjà fortement fragilisées par le choc des prix des matières premières survenu durant les précédentes années. La hausse du prix des matières premières, tout particulièrement celle du pétrole, a été continue à partir de la reprise américaine de 2002 et a accompagné l’exceptionnelle croissance mondiale 2002-2007. Elle contraste fortement avec la tendance baissière de la plupart des produits de base dans les années 1980 et 1990 (Helbling et al., 2008).

    Dès 2005, les spécialistes identifiaient l’existence d’un choc des matières premières, du pétrole aux métaux en passant par le caoutchouc et les céréales (Chalmin, 2005). Ce choc s’est ensuite encore amplifié, la hausse s’accélérant jusqu’au pic de mi-2008. Le prix du pétrole est exemplaire de ce choc, en passant d’environ 30 dollars le baril  en 2002, au moment de la reprise américaine, à 60 dollars début 2007, pour atteindre le pic de 146 dollars en juillet 2008, puis pour redescendre à 47 dollars en janvier 2009. Un indice du prix des matières premières montre une évolution semblable, le prix étant multiplié par 1,5 entre 2002 et 2007, puis encore par 1,5 jusqu’au pic de juillet 2008.

    Les céréales, qui constituent le premier maillon de la chaîne alimentaire, ont suivi la même évolution. Le blé détient le record de progression, d’environ 120 dollars la tonne à 400-450 dollars au moment du pic. La flambée est semblable pour le riz, un peu moins forte pour le maïs. L’indice général des produits alimentaires, calculé par les spécialistes de la FAO à partir des prix de 55 produits différents représentatifs du marché, a quant à lui augmenté de 54% entre mai 2007 et mai 2008. Le pétrole était au plus haut quelques semaines après les flambées céréalières et leurs cortèges d’émeutes de la faim. A partir de mi-juillet, s’est amorcée une baisse des prix qui s’est ensuite accélérée. Au début 2009, la baisse atteignait environ 70% pour le pétrole et les métaux, environ 50% pour les céréales. Cet exemple de volatilité extrême, jouant successivement sur l’investissement des entreprises productrices puis sur le pouvoir d’achat des ménages est l’illustration parfaite des dérèglements de l’économie réelle. 

    Jean-Hervé Lorenzi

    La guerre des monnaies, dernière étape de la crise


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  • LA CRISE N'EST PAS FINIE - 2007-2010: voici trois ans que notre économie est en crise. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes étudie la période récente et nous livre son diagnostic: pour en sortir, il va falloir régler des problèmes structurels graves.

     


    Un trader de la Bourse de Frankfort, le 17 août 2007. REUTERS/Kai Pfaffenbach -

    Les débats économiques sont parfois simplistes et décalés par rapport à la réalité. C’est ainsi que nous avons passé les six derniers mois à écouter des débats stériles pour savoir si nous étions confrontés à une reprise franche, à une reprise molle, ou à une rechute (le fameux «double-dip»). Les analystes, en début d’année, regardaient avec optimisme la forte croissance aux Etats-Unis et les signes d’accélération de l’Allemagne, et évoquaient le risque d’inflation; aujourd’hui ils se concentrent sur le freinage de la croissance américaine et le risque de déflation. Ceci illustre la confusion qui est faite entre un cycle économique normal et la crise que nous vivons, c’est-à-dire un certain nombre de dérèglements fondamentaux de l’économie mondiale.

    L'économie est toujours déréglée

    En réalité, un certain nombre d’évolutions sont du domaine du prévisible. La crise est loin d’être finie, comme le montrent l’insolvabilité croissante des ménages aux Etats-Unis ou en Espagne, la taille des déficits publics, le niveau du chômage, etc., et ceci implique que le scénario le plus probable est celui d’une croissance molle et durable dans les pays de l’OCDE.

    Mais sortir de cette croissance molle imposerait d’être capables de résoudre un certain nombre de problèmes structurels graves (le surendettement des ménages et des Etats, la recherche de rendements anormalement élevés du capital, les transferts massifs d’activités et des capacités de production des pays de l’OCDE vers les pays émergents) et d’éviter les dangers liés aux faux remèdes qui ont été mis en place (l’expansion non maîtrisée des liquidités à l’échelle mondiale, conduisant à la volatilité dramatique, à nouveau, des prix des matières premières, aux flux de capitaux déraisonnables vers les pays émergents).

    Alors, on peut dire aujourd’hui sans risque de se tromper que nous sommes encore dans des dérèglements de l’économie mondiale qui sont le synonyme de crise. Pour cela, parmi de nombreux autres, un indicateur permet de comprendre à quel point il y a comme une impossibilité de réguler l’économie mondiale. En effet, les bilans des banques centrales attestent de ces difficultés rémanentes. En janvier 2007, le bilan de la BCE était de 900 milliards d’euros tandis que celui de la FED approchait les 1.200 milliards de dollars. En 2010, le bilan des deux banques centrales majeures ont doublé pour atteindre 1.971 milliards d’euros pour la BCE et 2.300 milliards de dollars pour la FED, comme le montre le graphique ci-dessous.

    Source: Bloomberg

    Jusqu’à mi-septembre 2008, l’allocation des actifs des banques centrales avait progressivement évolué vers des opérations de refinancement de maturité croissante. Le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers amorce une seconde phase, dont nous ne sommes pas réellement sortis, avec la reprise d’actifs financiers complexes non liquides par les banques centrales. Pourquoi? Parce que les actifs financiers au bilan des banques apparaissaient difficiles sinon impossibles à évaluer. Des milliards d’euros de produits structurés ne valant plus rien grevaient les bilans des banques qui ne se prêtaient plus entre elles. La titrisation avait aggravé la situation en réunissant au sein de mêmes produits structurés, des actifs  de qualité et d’autres dépréciés, empêchant la lecture transparente des bilans des banques.

    La principale inquiétude réside aujourd’hui dans le fait que le bilan des banques centrales n’a presque pas évolué depuis cette défaillance. L’intervention des banques centrales fut d’abord une solution d’urgence pour soutenir un secteur financier indispensable au financement de l’économie. Or, ces interventions n’ont que partiellement relancé la liquidité interbancaire. Les banques centrales n’ont encore d’autre alternative que de conserver les actifs dépréciés. Cela nous montre que la crise risque de se prolonger, car les banques, une fois leurs fonds propres reconstitués, devront apurer leur passif auprès des banques centrales pour que l’activité interbancaire reprenne. Or, ceci est une condition sine qua none à la reprise d’une croissance vigoureuse. Plus fondamentalement, la logique des évènements 2007-2010 fut unique, liée à un déséquilibre de l’économie réelle. Certes, les chocs financiers furent divers, mais ils procédaient tous d’une même raison, l’abondance de liquidités et sa conséquence: le surendettement des ménages et des Etats. 

    Jean-Hervé Lorenzi

    La suite dans les jours à venir :

    1. Nous sommes au cœur d'une crise de l'économie réelle

    Lorsque, dans quelques années, l'on réexaminera cette période, on s'apercevra que jamais le monde ne fut confronté à un tel transfert d'activités des pays de l'OCDE vers les pays émergents. Pourquoi une telle brutalité dans ces mouvements, source de tensions macro-économique insoutenables?

    Nous sommes au cœur d’une crise de l’économie réelle (1/5)

    2. Une crise déclenchée et entretenue par l'excès de liquidité 

    Le mot important est «inutile». Il est impossible de comprendre l'origine de la crise bancaire, l'incroyable créativité en termes de produits financiers totalement désolidarisés de l'économie réelle si nous n'avons pas en perspective cette masse inconnue jusqu'alors, par son ampleur de liquidités auxquelles les banquiers ont trouvé des usages purement financiers.

    Une crise déclenchée et entretenue par l’excès de liquidité (2/5)

    3. La dérive des processus et produits financiers

    Pour bien comprendre les crises financières telles qu’elles ont pu se développer dans ces trois dernières années, tant celles des subprimes que des dettes souveraines, il faut en prendre le produit le plus emblématique, le plus discutable car il présente des aspects négatifs mais également positifs de cette période d’explosion de la finance. Il s’agit évidemment de la titrisation.

    La dérive des processus et produits financiers (3/5)

    4. Les conséquences des dérives financières 

    Le résultat de ces excès, de ces risques inutiles, de ces erreurs de conception, ne s’est pas fait attendre. Un monde sans liquidités organisées fait peur, crée ce qui est le cœur de toute crise financière, c’est-à-dire la perte de confiance. 

    Les conséquences des dérives financières (4/5)

    5. Trois points d'inquiétudes 

    Partie d’un déséquilibre majeur entre l’offre et la demande de biens à l’échelle mondiale, d’un excès d’épargne et d’une explosion de liquidités, la crise n’est aujourd’hui pas finie.

    Trois points d'inquiétude (5/5)


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  • USA : une défaite pour le droit des actionnaires

    Luigi Zingales

     


     

    CHICAGO –Il est rare d'entendre les capitalistes se lamenter ou même entamer une procédure judiciaire pour défendre le principe selon lequel les propriétaires légitimes ne doivent pas exercer leur droit de propriété. Cela ne se passe ni en Amérique latine ni dans une Suède qui serait communisante, mais aux USA !

    Les capitalistes en question ne sont rien d'autres que le sommet de la pyramide du milieu des affaires américain : la Business Roundtable, un groupe puissant formé par les pdg des principales entreprises américaines qui défendent une politique en leur faveur. Leur combat est dirigé contre la réglementation adoptée par la SEC (le gendarme américain de la Bourse) en août dernier une réglementation qui a fait beaucoup de bruit. C'est la Shareholder Proxy Access Rule qui permet aux actionnaires de nommer plus facilement un administrateur afin de remédier à l'absence d'obligation de rendre compte de leurs actes de la part des conseils d'administration des entreprises.

    Jusqu'à présent, ces conseils sont des entités qui s'auto-perpétuent. Pour être élu, un membre du conseil doit être désigné par le conseil en place dans lequel les cadres dirigeants exercent une influence considérable. De ce fait, les membres du conseil leur doivent directement ou indirectement leur position – et ne sont guère enclins à les contester, si ce n'est à risquer l'exclusion.

    Même les administrateurs indépendants, que l'on présente souvent comme la solution à tous les problèmes, sont soumis à ce genre de pression. Si l'on veut changer cette situation, il faut autoriser les investisseurs institutionnels à proposer des listes de candidats au conseil  d'administration. Risquant de perdre leur poste au cours d'une véritable élection, les membres du conseil auraient ainsi des comptes à rendre aux des actionnaires - et par ricochet, il en serait de même pour les dirigeants.

    La réglementation envisagée par la SEC visait à accorder ce droit aux investisseurs institutionnels, mais elle manquait de punch. Une entreprise échappait à la réglementation si les investisseurs institutionnels détenaient moins de 75 millions de dollars en actions et les actionnaires qui voulaient proposer une liste de candidats au conseil d'administration n'avaient pas un nombre de titres suffisant pour être détenteurs d'au moins 3% des voix au sein du conseil, ceci de manière ininterrompue depuis au moins trois ans.

    C'était mettre la barre très haut. En juin 2009, le plus grand fonds de pension américain, Calpers, détenait moins de 0,3% de grandes entreprises telles que Coca Cola ou Microsoft. Autrement dit, il faudrait que dix fonds de pension de ce genre se regroupent pour atteindre le pourcentage exigé. Et même cela n'aurait pas suffi. La plupart des taux de pension renouvellent chaque année 70% de leurs titres, la probabilité qu'ils conservent des actions données pendant trois ans est donc inférieure à 3%. Dans ces conditions, il faudrait que des centaines d'institutions se rassemblent pour disposer de 3% des droits de vote, ceci pendant trois ans. 

    Même cette mesure timide destinée à renforcer un tant soit peut le contrôle des dirigeants a provoqué une réaction de colère de la Business Roundtable. "Alors que notre pays essaye de sortir de la récession", a déclaré son directeur exécutif, "les entreprises américaines doivent se préoccuper en priorité de la création d'emplois et de l'aide à l'innovation de manière à revenir sur la voie d'une croissance durable. Cette intrusion sans précédent dans des domaines réservés historiquement à l'Etat lierait les mains des administrateurs et des conseils d'administration, entraînerait l'exclusion de la grande majorité des petits porteurs et exacerberait la focalisation sur le court terme que l'on considère comme l'une des causes profondes de la crise financière."

    Paradoxalement, en 2007 pour contrer une proposition précédente de la SEC visant à permettre aux actionnaires de présenter plus facilement leurs propres candidats, Wachtell, Lipton, Rosen & Katz, un cabinet juridique connu pour son hostilité aux droits des actionnaires, a utilisé l'argument opposé : "Aucune des crises économiques mondiales n'a montré que le système actuel doit être remanié en profondeur. Cinq ans après les scandales d'Euron et de WorldCom, les marchés financiers font preuve d'une vigueur sans précédent."

    En résumé, si la Bourse va bien, il ne faut pas changer la règle du jeu, car c'est à elle qu'on le doit ; mais si la Bourse va mal il ne faut pas davantage changer la réglementation car elle n'est pas en cause et l'on ne peut se permettre le luxe de la changer. C'est une notion particulière de la manière de rendre des comptes aux actionnaires.

    Pour empêcher l'adoption de la nouvelle réglementation, la Business Roundtable a entamé une action auprès de la Cour d'appel afin de l'invalider. La réglementation était en discussion depuis des années, mais la Business Roundtable a accusé la SEC de l'imposer sans en avoir au préalable évalué ses conséquences sur le fonctionnement des entreprises, leur compétitivité  et la formation de leur capital, ainsi que le prescrit la loi.

    C'était simplement un prétexte. Car l'Italie a adopté une réglementation analogue en 2005 et rien n'indique que le fonctionnement des entreprises, leur compétitivité ou la formation de leur capital en soit affecté. Par contre certains signes montent que les membres du conseil présentés par les investisseurs institutionnels ont le courage de s'opposer à la direction sur montant excessif des primes des dirigeants. Est-ce cette révolution que redoute  la Business Roundtable ?

    Malheureusement la tactique d'intimidation de la Business Roundtable s'est révélée efficace. A l'issue du procès, la SEC a suspendu non seulement l'application de la réglementation qui permettait aux actionnaires qui répondent aux critères voulus de présenter plus facilement des candidats au conseil d'administration, mais également celle qui leurs permettait de modifier plus facilement les statuts de l'entreprise afin qu'ils rencontrent moins d'obstacle pour présenter des candidats, alors que la Business Roundtable n'avait rien demandé à ce sujet. C'est une grande victoire pour les dirigeants d'entreprise, mais une énorme défaite en ce qui concerne les principes qui devraient guider le capitalisme.

    Luigi Zingales est professeur d'économie d'entreprise et de finance à la Graduate School of Business (GSB) de l'université de Chicago. Il est également co-auteur avec Raghuram G. Rajan d'un livre intitulé Saving Capitalism from the Capitalists.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
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  • Le commentaire d’Augustin Landier et David Thesmar

    Doutes sur la politique monétaire  

    Jusqu’où peut-on faire tourner la planche à billets pour relancer l’économie ? Depuis la fin de l’étalon-or et celle de la convertibilité du dollar en 1971, rien ne limite, en principe, la capacité de la banque centrale à créer de la monnaie. Utiliser l’arme monétaire est donc tentant lorsque la récession menace et que les caisses de l’Etat sont vides. Suivant cette logique, et parce qu’elle ne peut plus baisser ses taux, la banque centrale américaine se lance cet automne dans un nouveau tour de « quantitative easing », consistant à injecter des liquidités dans l’économie par des rachats massifs d’actifs, notamment des obligations du Trésor américain.Le problème de l’« assouplissement quantitatif » est que personne, ni les banquiers centraux, ni les économistes, ne sait quels peuvent en être les effets pervers. Nous assistons donc à l’une de ces expérimentations grandeur nature auxquelles les Américains nous ont habitués. Les théories d’inspiration keynésienne classique insistent sur l’inflation comme coût principal d’une politique monétaire trop laxiste. Elles forment, depuis les années 1970, le cadre d’analyse des banquiers centraux : si l’inflation monte, on relève les taux, et inversement. Pourtant, l’histoire récente semble enseigner tout autre chose : l’effet pervers d’une politique monétaire expansionniste est une prise de risque excessive des acteurs (financiers, immobiliers) qui nourrit des bulles et disloque le secteur financier. Mais ces mécanismes, parce qu’ils sont spécifiques à la période récente d’inflation faible et de mondialisation financière, ne sont encore qu’imparfaitement compris.En particulier, l’un des périls liés à une politique durable de taux bas est la difficulté d’y mettre fin sans causer de crise financière majeure. De ce point de vue, l’expérience Greenspan de l’été 2004 est riche d’enseignements. A l’époque, la Réserve fédérale a fait passer ses taux de 1 % à 5,5 % en deux ans. Quel a été l’impact de ce choc sur le comportement du secteur financier ? C’est la question que nous explorons dans un travail de recherche réalisé avec David Sraer que nous rendons public cette semaine (1), qui exploite les données internes de New Century, l’un des plus grands acteurs du marché hypothécaire américain pendant la période.Bien loin de refroidir le prêteur, la remontée des taux d’intérêt l’a au contraire conduit à prendre des risques énormes. L’entreprise semble avoir vite compris l’effet négatif du resserrement monétaire sur la valeur de son portefeuille de prêts : un grand nombre de ses prêts étaient à taux fixe alors qu’elle se finançait à taux variable. Sentant ses fondements vaciller, elle en a tiré les conséquences en choisissant non pas de diminuer ses risques, mais au contraire de doubler la mise. C’est en effet à partir de ce moment que New Century, en cela représentatif de son secteur, a introduit des contrats hypothécaires très risqués, dits « à amortissement différé », où les emprunteurs payaient très peu pendant quelques années avant de voir leur mensualité augmenter brusquement. Du point de vue des actionnaires de New Century, ce jeu de quitte ou double était un calcul plus rationnel qu’il n’y paraît : ou bien la politique de Greenspan conduisait à une chute nationale des prix immobiliers, auquel cas ils laissaient de toute façon une grosse ardoise à leurs créanciers, ou bien les prix continuaient à augmenter, ne serait-ce que modérément, permettant à leurs clients de se réendetter pour payer leur maison. Dans ce dernier cas, ils auraient gagné beaucoup. Ce faisant, New Century posait de véritables bombes à retardement (les contrats à amortissement différé) dans tout le système financier (via la titrisation) qui exploseront à la fin 2006 et engendreront la crise des subprimes. L’histoire semble cristalliser le souvenir de Greenspan comme celui de « l’homme qui a gonflé la bulle ». Or, dès 2004, Greenspan a bel et bien essayé de freiner et de mettre fin à sa politique de forte liquidité. Mais appuyer sur le frein monétaire peut, en vulnérabilisant le système financier, accentuer son appétit pour le risque alors qu’il est déjà très endetté : c’est précisément à ce moment-là qu’il est le plus tenté de faire des folies.Augustin Landier est professeur de finance à la Toulouse School of Economics et David Thesmar à HEC. (1) Augustin Landier, David Sraer et David Thesmar, « Going for Broke : New Century Financial Corporation 2004-2006 »


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