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Par emile11111 le 27 Octobre 2010 à 09:37
Ni coupables ni responsables
Le procès devait s'ouvrir en Californie le 20 octobre : il n'aura pas lieu. Quatre jours avant, les avocats d'Angelo Mozilo, ex-PDG de Countrywide, numéro un américain du prêt hypothécaire subprime qui a sombré dans la banqueroute en 2008, sont parvenus à un accord avec le procureur et le plaignant. Accusé par la Securities and Exchange Commission (SEC, contrôleur des marchés boursiers américains) de fraudes en tout genre, M. Mozilo, 71 ans et désormais beaucoup de cheveux blancs, s'est engagé à verser 87,5 millions de dollars (62,6 millions d'euros) : la plus grosse amende individuelle de l'histoire du capitalisme américain. Il est aussi interdit à vie de diriger une société cotée. Il ne sortira de sa poche que 67,5 millions ; les 20 supplémentaires seront gracieusement payés par Bank of America (BofA), le repreneur de Countrywide, comme son contrat de départ le stipulait. Durant son passage à la tête de cette caisse de crédit (2001-2008), Angelo a personnellement engrangé 521,5 millions de dollars d'émoluments.
Le 17 avril 2007, évoquant les prêts subprimes, il écrivait à son président, David Sambol : " De ma vie, je n'ai jamais vu un produit financier aussi toxique. " Non seulement il continua d'en faire la crème de son activité, mais il assurait alors ses actionnaires que les titres subprimes étaient un excellent placement. Et il poussait ses agents à " fourguer " ces emprunts à gogo. Countrywide était champion du " No Doc Loans ", le prêt sans justificatif. N'importe qui y entrait et ressortait avec un chèque de 300 000 dollars. Le jour où il ne pouvait plus rembourser, la banque gardait la somme reçue, lui saisissait sa maison et la revendait 50 % plus cher, vu la hausse de l'immobilier. Du gâteau...
Bref, celui que beaucoup désignaient comme l'archétype de la " culture de la cupidité " ne connaîtra jamais la couche sans sommier d'une cellule de prison. Il n'est pas le seul à s'en sortir. Pour tout dire, c'est même la règle générale. Cela étonne de plus en plus de commentateurs. Car lorsque la crise des subprimes a généré cette incroyable débâcle financière, nombre d'experts pronostiquaient que, pour certains, l'affaire se terminerait forcément devant un juge. Or rien de tel n'est advenu. C'est une des nouveautés de la crise actuelle. Contrairement à celle des " obligations pourries " des années 1980, qui vit leurs promoteurs, Michael Milken et Ivan Boesky, envoyés pour des années au cachot, contrairement aux années 2000, qui virent le PDG d'Enron, Kenneth Lay, malgré sa proximité avec George Bush, être traîné devant le tribunal et condamné, cette fois, personne n'est jugé : pas de " coupables " ni même de responsables.
Tout se règle derrière des portes closes. Ainsi, Goldman Sachs a régularisé sa situation en versant 550 millions de dollars d'amende. A comparer aux 13,1 milliards de dollars que " LA " banque a mis de côté à ce jour pour les bonus de fin d'année de ses cadres méritants. Quant à Citigroup (45 milliards de dollars de trou), une juge a soldé ses fautes pour 75 millions de dollars d'amende. Aucune poursuite individuelle n'est envisagée contre aucun de ses dirigeants. Dans le New York Times, le chroniqueur Frank Rich se désespère : " L'administration Obama semble dénuée de gène procédural. " Sans procès, sans figures humaines pour incarner la " cupidité ", impossible de mener à bien un travail pédagogique vis-à-vis du public. Les motifs et les mécanismes de la crise restent abstraits, désincarnés. Résultat : l'opinion a le sentiment que Barack Obama protège les rapaces, et les Tea Parties s'en délectent. En laissant s'installer une culture de l'impunité, la Maison Blanche a ouvert un boulevard à la droite la plus extrême.
Rich est le " gauchiste de service " du quotidien new-yorkais. Ses colères n'étonnent personne. La chose est bien plus grave pour Barack Obama lorsqu'un Jonathan Weil, columnist de l'agence économique et financière Bloomberg, poursuit la même idée. Larry Summers, principal conseiller économique de M. Obama, partant vers une nouvelle destinée, les deux noms les plus cités pour le remplacer ont été Richard Parsons, président non opérationnel de la banque Citigroup, et Anne Mulcahy, ex-PDG de la société Xerox. Dans sa chronique du 30 septembre, Weil rappelait que leur passé ne plaidait pas pour leur bonne gestion : tous deux étaient au conseil d'administration de Fannie Mae et de Citigroup quand ces deux organismes financiers ont connu des pertes abyssales.
Aussi proposait-il au président, pour le poste de conseiller économique en chef de la Maison Blanche, de choisir plutôt Dick Fuld, l'homme qui a enterré Lehman après y avoir engrangé près de 1 milliard de dollars de revenus personnels. Ou encore Jim Caine, l'ex-patron de Bear Stearns, ou Stan O'Neal, le boss de Merryl Lynch parti en 2007 avec 161,5 millions de dollars de " prime ". Lors des semaines fatidiques du troisième trimestre 2007, avant d'être débarqué pour avoir perdu en trois mois 8,4 milliards de dollars sur les seuls titres subprimes, M. O'Neal avait trouvé le temps de jouer vingt parcours de golf. En quatrième position sur la liste de Jonathan Weil, venait Angelo Mozilo.
Qu'une telle chronique soit publiée par Bloomberg en dit long sur le degré d'exaspération dont bénéficient les " vrais responsables " de la crise et celui dont on estime, à tort ou à raison, qu'il leur accorde une impunité très imméritée.
Sylvain Cypel
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Par emile11111 le 27 Octobre 2010 à 08:52
Qu’il s’agisse de soutenir la réforme des retraites ou de la dénoncer, l’argumentaire des acteurs politiques ou syndicaux est plutôt rodé. Et construit sur des assertions présentées comme autant d’”évidences” frappées au coin du bon sens. Pourtant, à y regarder de plus près, la plupart sont discutables. En voici quatre :
“Aujourd’hui on vit plus longtemps. Il est normal, il est naturel, il est logique de prolonger le temps au travail” (Eric Woerth, 9/09)
C’est l’argument-massue du gouvernement et des soutiens à la réforme : l’espérance de vie a augmenté, il faut donc travailler plus longtemps. Même le Parti socialiste admet ce fait comme une évidence. Les choses sont pourtant plus complexes.
Effectivement, l’espérance de vie a augmenté entre 1980 et aujourd’hui, au rythme moyen de 2 à 3 mois par an. Mais rien ne garantit que ce phénomène va continuer irrémédiablement. L’espérance de vie est calculée à la naissance, en partant du principe que les conditions (environnementales, sociales, sanitaires…) seront identiques tout au long de la vie. Or un certain nombre de celles-ci (environnement notamment) se dégradent et seront moins bonnes demain qu’aujourd’hui.
La hausse continue de l’espérance de vie n’est pas un fait établi. Elle a ainsi reculé en Russie et stagne aux Etats-Unis (voire recule pour les plus pauvres), du fait d’un système de santé défaillant par exemple. En France, l’Insee a observé une hausse des décès de femmes en 2009. Dans une tribune parue dans Le Monde, trois chercheurs de l’Institut national d’études démographiques notaient fin septembre que “les prédictions de l’Insee, pour qui l’espérance de vie va continuer à croître au moins jusqu’en 2050, reposent sur des données fondées sur l’impact du recul des maladies infectieuses, sans prendre en compte la réalité actuelle des maladies chroniques”, comme l’obésité.
De plus, l’espérance de vie n’est pas l’espérance de vie en bonne santé, qui évolue peu, puisqu’elle n’a augmenté que de trois ans depuis quinze ans et se situe autour de 63 ans, avec d’énormes disparités en fonction de la profession et du niveau de vie.
En fait, le problème de financement résulte plus d’une question de pyramide des âges, comme le note le Conseil d’orientation des retraites : en 1980, on comptait trois actifs pour un retraité ; en 2010, nous sommes à 1,8 actif pour un retraité. En 2050, on devrait être à 1,2 actif pour un retraité. Mais “actif” ne veut pas dire employé. Car en dernier ressort, c’est bien la question de l’emploi et de la croissance qui régleront ou non le déficit des caisses de retraites, ce même en augmentant l’âge légal.
“Garantir aux Français qu’eux-mêmes et leurs enfants pourront compter sur leur retraite et que le niveau des pensions sera maintenu” (Nicolas Sarkozy, 20/10)
La réforme sauve-t-elle un système en péril ? Pas vraiment. Le besoin de financement des régimes de retraites est d’une trentaine de milliards d’euros par an en 2010, un chiffre qui devrait monter à 70 à 115 milliards d’ici à 2050, selon le rapport du Conseil d’orientation des retraites, dont les hypothèses elles-mêmes sont déjà sujettes à caution. Le constat est cependant unanime : les recettes manquent, d’autant plus avec la crise et la hausse du chômage, qui ont fait grimper encore le déficit. La France doit financer une retraite sur dix par l’emprunt, à hauteur de trois milliards chaque année, et le déficit cumulé atteint déjà 32 milliards.
Or la réforme n’assure que la moitié environ des besoins de financements, avec environ 27 milliards supplémentaires en 2018 (dont 18 milliards proviennent de l’allongement de la durée de cotisation), où le déficit du système devrait atteindre les 42,3 milliards. Le reste proviendra essentiellement de la liquidation des 32 milliards du fonds de réserve des retraites initialement prévu pour financer les départs en retraite entre 2020 et 2040.
Encore ce niveau de recettes reste-t-il optimiste. Comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites de façon relativement catégorique, les incertitudes règnent sur l’équilibre du système car il dépend essentiellement de la conjoncture : quel taux de croissance, combien de chômeurs ? Les hypothèses retenues sont optimistes. La réforme postule ainsi que d’ici à 2020, la France bénéficiera d’un chômage à 5 % (deux fois moins qu’à l’heure actuelle, et un niveau jamais atteint depuis la fin des années 1970) et d’une croissance moyenne de 2,8% par an, là encore du jamais vu en 30 ans.
Du reste, la réforme actuelle n’est pas un modèle de pérennité, puisqu’elle doit être revue en 2018. Et même avant, le Sénat ayant introduit un amendement prévoyant un grand débat sur le sujet dès 2013, avec pour but d’aller vers un système de retraite par points.
Quant au niveau des pensions, l’argument de leur maintien ne convainc pas les spécialistes. L’économiste Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l’OFCE, estimait en juin dans Capital que “les pensions vont globalement continuer à baisser. La réforme ne fournit aucune garantie sur leur niveau futur”, les salariés risquant de ne pas tenir jusqu’aux 67 ans requis pour un taux plein, notamment.
“Aujourd’hui, [les grèves pourraient] nous replonger dans une crise économique” (Hervé Novelli, 19/10)
L’impact financier et économique des grèves a servi d’argument au gouvernement pour dénoncer les blocages. Avec des chiffres étonnamment précis : les grèves coûteraient 200 à 400 millions d’euros chaque jour, selon Christine Lagarde, qui s’appuyait sur un calcul du Figaro. Celui-ci avait chiffré à 1,6 à 3,2 milliards le coût d’une semaine de perturbations. La ministre n’a pas été aussi loin. Pas Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’Emploi, qui évoquait quant à lui 1 500 emplois détruits chaque jour de grève, sans préciser comment était obtenu ce chiffre.
Des données alarmantes… mais approximatives, selon la plupart des économistes, pour qui il est complexe de chiffrer le coût d’un mouvement social. Le directeur adjoint de l’OFCE, Eric Heyer, interrogé par Public Sénat, estimait ainsi qu’il est “trop tôt pour annoncer ce qu’une grève coûte par jour”, notamment car les salariés peuvent rattraper le retard pris en travaillant plus lorsqu’ils reprennent l’activité. Il rappelait aussi qu’un point de PIB équivaut, en France, à 20 milliards d’euros. D’autant que le chiffrage avancé par Le Figaro est sujet à caution. Henri Sterdinyack, également économiste à l’OFCE, le juge deux fois supérieur à la réalité.
Enfin, il faut rappeler, comme l’a fait Mathieu Plane sur le blog “Contes Publics” que les grèves de 1995, plus longues et plus suivies, n’avaient coûté que 0,05 % du PIB, selon l’Insee.
“Nous refusons l’allongement à 67 ans car le chômage des jeunes va exploser” (Ségolène Royal, 8/10)
Cet argument, utilisé par les syndicats pour défendre l’entrée des jeunes dans le conflit, se discute : salariés “seniors” et “juniors” ne sont pas embauchés au même poste ni pour les mêmes fonctions. Du fait du recours aux préretraites dans les années 1980 et 1990, le taux d’emploi des seniors est très bas en France (39 %), mais sans pour autant que les jeunes soient favorisés, puisque le chômage des moins de 25 ans est de 22,4 %.
A ces arguments, l’UMP répond généralement par la mauvaise métaphore du gâteau : le travail n’est pas une pâtisserie qui se partage en tranches, mais une dynamique, où l’activité génère l’activité. Un postulat qui fonctionne surtout en période de croissance. Les économistes sont nombreux à l’avouer, la réforme revient mathématiquement à augmenter la population active, donc le chômage. Pour autant, reconnaît Olivier Ferrand, de la fondation Terra Nova, proche du PS, “on ne peut pas opposer l’emploi des seniors et des jeunes : dans un marché de l’emploi dégradé, les deux sont bas, et dans un marché qui fonctionne, comme dans les pays nordiques, les deux sont élevés”.
Pour certains, comme Philippe Askenazy, pourtant, la réforme “participera à une montée du chômage des jeunes et des seniors au cours des prochaines années”. L’économiste pointe notamment la fonction publique, où les recrutements sont effectués avant tout pour pallier les départs en retraite. “Le fait qu’un senior reste deux ans de plus devrait ainsi faire baisser de 20 % les recrutements d’agents au cours des dix ans à venir.”
Mais pour lui, ce sont surtout les seniors eux-mêmes qui risquent de pâtir de la réforme. Après des années d’une pratique intensive de la préretraite dès 55 ans, les entreprises vont avoir du mal à se réformer de manière à conserver les seniors au travail jusqu’à 67 ans. D’autant que le gouvernement n’a mis en place que quelques dispositifs incitatifs à la marge.
Comme très souvent, tout dépendra de la croissance : “Si la reprise reste molle, les entrants sur le marché du travail vont en payer le prix. Quand le gouvernement avait encouragé les gens à partir en prétraites, cela avait créé un appel d’air et permis une moindre dégradation du chômage des jeunes”, reconnaît sur 20minutes.fr l’économiste Eric Heyer.
Samuel Laurent
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Par emile11111 le 27 Octobre 2010 à 08:42La jeunesse a toutes les raisons de manifesterLa société maltraite ses enfants: une éducation insuffisante, pas d'emploi, pas de logement, moins d'aide sociale, plus d'impôts et pour seul cadeau: la dette.
A Paris, le 21 octobre 2010. REUTERS/Charles Platiau -Depuis la rentrée de septembre, les jeunes générations ont rejoint le cortège des manifestations. Mardi 26 octobre marque une étape nouvelle dans la sociologie du conflit: les jeunes seront seuls en scène, à l’appel de l’Unef et de Sud-Etudiants. La majorité feint de s’étonner de leur présence dans la rue. Ils ont pourtant toutes les raisons du monde de manifester.
Les jeunes, victimes de la réforme des retraites
On en discute beaucoup: le recul de l’âge de départ à la retraite des seniors va-t-il aggraver le chômage des jeunes?
Le marché du travail en France est dégradé. Il s’est adapté à la crise en excluant du travail ses deux extrémités générationnelles, les jeunes et les seniors. Le taux d’emploi des jeunes (moins de 25 ans) est de 31%, celui des seniors (plus de 55 ans) de 38%, des taux parmi les plus bas d’Europe. En l’absence d’une politique volontariste d’amélioration du marché du travail, le recul de l’âge de départ à la retraite va accroître le chômage.
Le chômage des seniors, bien sûr. Les deux tiers des Français sont au chômage lorsqu’ils liquident leur retraite. C’est ce qui explique la grande différence dans le secteur privé entre l’âge de cessation d’activité, 58 ans, et l’âge de liquidation de la retraite, 61,6 ans. Statistiquement, pour ces Français, le maintien plus longtemps en activité signifie maintien au chômage: la réforme transforme de «jeunes retraités» en «vieux chômeurs».
Mais également le chômage des jeunes. Certes, il n’y a pas de lien direct: on ne remplace pas poste pour poste un tourneur fraiseur qui part à la retraite par un jeune diplômé sorti de l’université. Mais les liens existent. Des liens mécaniques dans certains secteurs, comme dans l’administration: avec la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, l’embauche d’un jeune est conditionnée par le départ de deux seniors. Ou dans le milieu médical: le numerus clausus impose que toute entrée soit gagée sur une sortie. Des liens plus diffus sinon: les contraintes de masse salariale en entreprise font que les embauches sont globalement conditionnées aux départs.
Qui va payer la réforme?
Ce débat a été particulièrement mal posé. Si la question est «l’amélioration de l’emploi des seniors entraîne-t-elle la dégradation de l’emploi des jeunes?», alors la réponse est non. Tous les économistes le disent: ils vont de pair. Dans un marché du travail dégradé, les deux souffrent. Dans un marché du travail sain, les deux s’intègrent bien. Mais la question est différente: la réforme des retraites va-t-elle aggraver le chômage des jeunes? La réponse est oui. Avec la réforme, le chômage des jeunes, comme celui des seniors, va augmenter.
On discute beaucoup de l’impact de la réforme sur le chômage des jeunes. Mais bizarrement, on discute beaucoup moins du vrai point central: qui va payer la réforme des retraites?
La gauche et les syndicats l’ont martelé, et ils ont raison: ce sont les salariés modestes. La réforme est marquée du sceau de l’injustice sociale.
Mais –on ne l’a pas entendu– elle est aussi injuste pour les jeunes générations. Elles vont payer trois fois.
Elles vont cotiser plus, avec le recul de l’âge légal. Un recul qui ne prendra sa pleine mesure qu’à partir de 2018, donc pour les moins de 50 ans d’aujourd’hui.
Elles vont percevoir des retraites plus faibles. Du fait de la montée en puissance des réformes Fillon et Balladur, qui s’étalent jusqu’en 2020. Mais aussi du fait de leurs difficultés croissantes à valider leurs trimestres de cotisations. La durée d’assurance validée à 30 ans n’a cessé de décroître par génération depuis la génération 1950. Pour cette dernière, la durée validée était de 40 trimestres en moyenne, alors que, pour la génération 1974, elle n’est plus que de 31 trimestres. Une partie est due à l’allongement des études, et c’est une bonne chose. Mais plus de la moitié (5 trimestres sur 9) est due aux difficultés d’insertion des jeunes en France.
Cerise sur le gâteau, les jeunes générations sont spoliées du bénéfice du Fonds de réserve des retraites qui leur étaient destinés. Le Fonds a été créé pour assurer un lissage intergénérationnel et soulager les générations d’actifs entre 2020 et 2040: il s’agit des jeunes d’aujourd’hui, des générations «creuses» qui devront financer les retraites des «papy boomers». Le Fonds devait être décaissé à partir de 2020, afin de limiter les hausses de cotisations sur ces générations. Le gouvernement a décidé de siphonner les 34 milliards d’euros pour assurer le bouclage financier à court terme: on prend ainsi aux actifs de demain pour donner aux retraités d’aujourd’hui…
Les jeunes, premières victimes des politiques publiques
Par son injustice contre les jeunes, la réforme des retraites est un ferment de tensions entre les générations. Il s’agirait d’un épiphénomène si cette injustice entre générations était un cas isolé. Elle est au contraire une nouvelle manifestation de notre préférence absolue pour le présent: la France a renoncé à investir dans l’avenir, elle sacrifie les générations futures au profit des générations actuelles. Toutes les politiques publiques en témoignent.
Première politique en cause: l’éducation. L’effort éducatif de la Nation diminue: 6,5% du PIB en 2010, contre 7,5% il y a dix ans –une baisse de près de 15%! Alors qu’on trouve 40 milliards d’euros pour financer les retraites, on en supprime 20 sur le budget éducatif. C’est un choix politique lourd: le choix du passé contre l’avenir.
Au cœur de ce désastre: l’enseignement supérieur. Nous y investissons peu: 1,5% de notre richesse nationale, deux fois moins qu’aux Etats-Unis, trois fois moins que dans les pays les plus avancés. Nous n’avons toujours pas démocratisé notre enseignement supérieur: à peine 35% d’une classe d’âge sort diplômée de l’enseignement supérieur en France. Notre malthusianisme élitiste («tout le monde ne peut pas faire polytechnique») est contredit par les pays les plus avancés: plus de 50% d’une génération est diplômée de l’université aux Etats-Unis, 80% dans les pays nordiques, en Corée du Sud, au Japon. Notre système éducatif, centré sur le lycée, continue à former les emplois d’hier, les contremaîtres de l’usine de l’après-guerre. Il ne forme pas les emplois de demain, ceux de l’économie de la connaissance: les ingénieurs, les cadres, les techniciens supérieurs. Mais aussi les emplois de service de demain: ce n’est pas la même chose de faire garder son enfant par une nounou sans qualification que de le faire éduquer par une puéricultrice avec trois ans de formation spécialisée.
Deuxième politique en cause, la politique de l’emploi: elle a pris les moins de 30 ans comme variable d’ajustement. Face à la crise, on a protégé ceux qui avaient un emploi, les insiders: la probabilité de perdre un CDI est de 1% par an en moyenne depuis 1980, 2% lors de la Grande Crise de 2008 (Cf. Eric Maurin, La peur du déclassement, La République des Idées, Seuil, 2010).
Résultat, on a sacrifié les flux d’entrants, les jeunes. C’est ce qui explique un taux de chômage des jeunes exceptionnellement élevé: 25%. Le chômage de masse est avant tout un chômage de jeunes.
Ceux qui ont un emploi n’ont pas un emploi stable. La précarisation est la norme avant 30 ans, à travers l’intérim, les CDD et les stages. 80% des entrées en emploi se font en CDD: les CDD sont utilisés par les entreprises à la fois comme «super-périodes d’essai» et surtout comme volant flexible de la masse salariale, pour pouvoir réduire la voilure en cas de difficultés. C’est pourquoi le chômage des jeunes a bondi avec la récession de 2008.
Les stages (1 million par an) ont été détournés de leur objectif. Ils doivent normalement permettre la découverte de l’entreprise. Ils sont aujourd’hui utilisés pour remplacer des postes de travail à part entière. Les stages constituent le premier emploi «au rabais» des jeunes. C’est vrai à tous les niveaux: même dans les grandes écoles, la scolarité était avant de trois ans et la quatrième année constituait l’année du premier emploi payé; aujourd’hui elle est de quatre ans dont une année de stage sous-payé. Le mouvement Génération Précaire a obtenu l’obligation d’une rémunération minimum des stages (un tiers du smic pour tout stage de deux mois ou plus), mais le déclassement demeure bien réel.
Enfin, les jeunes sont de plus en plus mal payés. Leur salaire relatif a plongé depuis trente ans. En moyenne, en 1975, les salariés de 50 ans gagnaient 15% de plus que les salariés de 30 ans; l’écart a aujourd’hui presque triplé, à plus de 40% (Chiffre cité par Louis Chauvel dans Les classes moyennes à la dérive).
Troisième témoignage: la politique du logement a évincé les jeunes. L’immobilier a été capté par les générations âgées. 76% des retraités sont propriétaires de leur logement. Le déficit d’offre pèse donc mécaniquement sur les nouveaux entrants. Par rapport à 1984, les jeunes d’aujourd’hui doivent travailler deux fois plus longtemps pour acheter ou louer la même surface dans le même quartier (même ouvrage de Chauvel).
Quatrième élément: la politique sociale est spectaculairement discriminatoire. Il suffit de comparer les minimas sociaux. Minimum vieillesse: 708 euros par mois. Minimum d’activité 25-60 ans («RSA-socle»): 460 euros, soit 40% de moins. Minimum d’activité pour les moins de 25 ans: zéro (Le «RSA jeune» n’est éligible que pour les jeunes actifs de moins de 25 ans ayant déjà travaillé). Difficile de faire mieux en termes d’injustice intergénérationnelle: plus on est jeune, moins on a de valeur pour la société. La France fait figure d’exception en Europe: les minimas sociaux y commencent le plus souvent à 18 ans voire 16 ans. Quant à l’assurance chômage, elle est réservée à ceux qui ont travaillé. Le jeune diplômé en recherche d’emploi n’en bénéficie donc pas.
Cinquième politique discriminatoire: la politique fiscale constitue une formidable essoreuse à pouvoir d’achat au détriment des jeunes. La politique fiscale est en effet plus discrète mais tout aussi inique. Le quotient conjugal est une niche fiscale évaluée à 24 milliards d’euros par an (selon le rapport de la Cour des comptes 2007). Le quotient conjugal (à ne pas confondre avec le quotient familial, qui accorde des parts supplémentaires par enfant à charge) est une exception française qui repose sur la déclaration par foyer fiscal: les Français déclarent leur impôt en couple, et non à titre individuel, contrairement aux autres pays de l’OCDE. Ils bénéficient alors d’une double part à l’impôt sur le revenu: le revenu soumis au barème de l’impôt n’est pas le revenu global mais le revenu par part, divisé par deux du fait du quotient conjugal. Un avantage fiscal d’autant plus important que, contrairement au quotient familial, le quotient conjugal n’est pas plafonné. Il agit comme une énorme machine à redistribuer des célibataires vers les couples, c’est-à-dire, pour beaucoup, des jeunes actifs vers les adultes installés.
A l’inverse, la fiscalité favorise les retraités. CSG à taux réduit (6,6% contre 7,5% pour le taux normal appliqué aux actifs), abattement de 10% pour frais professionnels à l’impôt sur le revenu accordé aux retraités, majorations de pension non soumises à l’impôt sur le revenu…: au total, les avantages fiscaux liés à la retraite s’élèvent à 11 milliards d’euros –dont 5 au profit des retraités aisés.
Dernier élément: la dette publique est une véritable machine à exproprier les jeunes générations. La dette publique est très élevée: 84% de la richesse nationale –1.700 milliards d’euros fin 2010, soit 27.000 euros par habitant.
A quoi sert-elle? 97% du budget de l’Etat est du budget de fonctionnement. La Sécurité sociale est un budget de prestations. Autrement dit, la dette ne sert pas à préparer l’avenir mais à soutenir artificiellement le train de vie des générations actuelles.
Qui paie? On a souvent dit que les générations futures paieraient. Ce n’est plus exact: le surendettement guette, on ne peut plus continuer cette cavalerie, il va falloir rembourser la dette. Ce sont donc les jeunes générations actuelles qui vont régler la facture. Nous vivons au-dessus de nos moyens, et ce sont nos enfants qui vont payer.
La nouvelle figure de la pauvreté en France
Ainsi donc, les jeunes générations ont bien raison de manifester. Contre la réforme des retraites mais, surtout, bien au-delà: elles expriment leur mal-être général. Elles ont le sentiment de se heurter à une société bloquée qui les rejette. Elles vivent un «petit Mai 68»: en 1968, le blocage était sociétal, leurs modes de vie ne trouvaient pas leur place dans l’ordre moral ancien; aujourd’hui, le blocage est économique, les jeunes ne trouvent pas leur place sur le marché du travail et n’obtiennent pas leur part équitable de la valeur ajoutée.
Les jeunes ont raison. Depuis trente ans, face à la crise, ils sont la variable d’ajustement d’une société d’insiders qui protège ses acquis au détriment des nouveaux entrants. C’est vrai dans toutes les grandes politiques publiques: éducation, emploi, logement, politique sociale, politique fiscale, dette –les injustices se concentrent de manière générationnelle.
Résultat: le jeune est la nouvelle figure de la pauvreté dans notre société contemporaine. Nous vivons dans la représentation collective que les pauvres dans notre société, ce sont les retraités. C’était vrai il y a quarante ans. Avec la montée en puissance de notre système de retraite, cela n’est fort heureusement plus le cas. Mais une autre figure s’y est substituée: les pauvres, ce sont désormais les jeunes actifs. Le taux de pauvreté est de 18% pour les jeunes de moins de 30 ans, 20% chez les jeunes filles (contre 8% chez les plus de 60 ans). Un jeune actif sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté!
La montée de l’entraide
Notre société est consciente du sort qu’elle inflige à ses enfants. Elle s’en émeut. Les familles soutiennent leurs enfants en difficulté. Les transferts familiaux sont massifs: près de 80 milliards par an sont redistribués au sein des familles des grands-parents pour aider les enfants et petits-enfants. Certains feignent d’y voir là le signe positif de la qualité des solidarités familiales; ils marquent surtout la déshérence de l’investissement collectif.
Tout refaire
Il faut une révolution copernicienne des politiques publiques. Avec comme priorité une politique d’investissement social dans les générations futures: petite enfance, éducation, université, politique active de premier emploi, fiscalité et politique sociale pro-jeunes… Investir dans notre capital humain est un impératif humaniste plus encore qu’économique.
Le gouvernement et le peuple conservateur considèrent que les jeunes n’ont pas leur place dans la rue. Que les partis d’opposition sont irresponsables de les inciter à manifester. Mais c’est nous tous, le monde des adultes, qui sommes irresponsables de ne pas les écouter. Car une société qui, tel Cronos, dévore ses enfants est une société qui se meurt.
Olivier Ferrand
Retarder l’âge de départ à la retraite, c’est bon pour l’emploi des jeunes ?
Encore : taper jeunes sur le blog
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Par emile11111 le 27 Octobre 2010 à 08:33
Retarder l’âge de départ à la retraite, c’est bon pour l’emploi des jeunes ?
C’est la dernière trouvaille de certains commentateurs, hommes politiques et économistes. Probablement des gens qui ont terriblement envie de conserver le plus longtemps possible leur pouvoir, leurs revenus très élevés, leurs sièges à l’Assemblée, leur influence médiatique, et qui cherchent ce qu’ils pourraient bien raconter aux jeunes pour qu’ils retournent à leurs études, à leur chômage ou à leur galère.
Les jeunes (et beaucoup d’autres) ont pourtant un argument simple et sain : les emplois qui ne sont pas libérés par ceux qui sont contraints (ou, pour une minorité souvent privilégiée, qui revendiquent) de rester plus longtemps ne profitent pas aux autres, jeunes, ou chômeurs, ou les deux. Si j’étais resté cinq ans de plus dans mon emploi universitaire, ce qui était possible, mon poste ne serait pas revenu à un plus jeune, libérant lui-même son poste pour un autre encore plus jeune, sans emploi, qui a été recruté dans l’année. Et, tant que l’emploi est globalement « rationné », cette substitution vaut partout, pas seulement dans la fonction publique.
Les avocats de la prolongation de la vie active ont alors un PREMIER ARGUMENT. Ils disent : c’est plus compliqué que cela à moyen et long terme, parce que l’allongement de la vie active est bon pour la croissance, laquelle crée des emplois POUR TOUS. Tel est, selon l’oracle Attali, le pouvoir magique de la déesse Croissance.
Depuis les réformes successives qui poussent les gens à bosser plus longtemps, avez-vous vu le chômage des jeunes régresser ? Non, il a nettement augmenté (15 % en 1990, 23 % en 2010). Ces réformes ont-elles boosté la croissance et le pouvoir d’achat comme on nous le promettait ? Non, elles ont eu pour principal effet (mais c’était leur objectif inavoué) de réduire les revenus des retraités. La quête éperdue de la croissance est-elle la grande voie de réduction du chômage ? Nos élites l’affirment, mais les faits les démentent. Il serait temps d’admettre que le « logiciel » croissanciste est aussi épuisé qu’il épuise les travailleurs et la nature.
COMPARAISON N’EST PAS RAISON
Mais l’argument « massue » de ceux qui veulent retarder l’âge de départ à la retraite « dans l’intérêt des jeunes » est le suivant : ce sont les pays où le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) est le plus élevé qui ont aussi (en gros) les plus hauts taux d’emploi des jeunes (15-24 ans). Cet argument nous est servi dans Le Monde du 21 octobre par Patrick Artus, économiste en chef de Natixis.
Il est vrai que nombre de pays (pas tous) ont de meilleurs taux d’emploi que nous pour les 15-24 ans et pour les 55-64 ans. Mais on ne peut strictement rien en déduire sur la question posée : est-ce qu’en France le recul de l’âge de la retraite serait favorable à terme à l’emploi des jeunes QUI EN CHERCHENT ? Voici pourquoi.
Première raison : si l’on va chercher les chiffres, la corrélation est peu significative, en tout cas au sein du groupe des 27 pays de l’UE. On peut obtenir ces données sur le site de l’Insee. Voici (ci-dessous) le graphique qui en résulte. Il n’est nul besoin d’être statisticien pour voir que le « nuage de points » est très loin d’être organisé autour d’une » droite de tendance ». On parle dans ce cas de corrélation faible. Certes, dans « Le Monde », Artus évoque une corrélation « pour 33 pays de l’OCDE » et non pour les 27 de l’UE. Mais est-il opportun de remplacer ici, pour les besoins de la cause, les comparaisons au sein de l’Europe par celles qui font intervenir notamment les Etats-Unis, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, pays qui relèvent du très inégalitaire modèle anglo-saxon ? Et d’autre part, même si la corrélation est plus significative au sein des pays de l’OCDE, ce qui est probable, cela ne modifie en rien ce qui suit : cette corrélation est fallacieuse. C’est ma principale objection.
CORRÉLATION FALLACIEUSESi corrélation il y a, elle ne peut pas nous servir pour réfléchir à la question posée. En effet, transformer une corrélation (il y a plus d’emplois pour les jeunes dans des pays où plus de vieux sont encore au travail) en causalité (c’est PARCE QUE l’âge de la retraite est plus élevé qu’il y a plus d’emplois pour les jeunes) est ici une énorme erreur de raisonnement.
Qu’est-ce qu’une corrélation fallacieuse ? Voici celle qu’on présente souvent aux étudiants débutants. Les chiffres montrent que, en cas d’incendie, plus il y a de pompiers et de lances, plus les dégâts sont importants. Conclusion (trompeuse) : les dégâts résultent de l’intervention des pompiers. Chacun voit évidemment sur ce cas que le raisonnement est biaisé parce que la principale variable qui explique à la fois l’ampleur des dommages et celle de l’intervention est : la gravité du sinistre ! Pourquoi alors ne pas penser que la meilleure situation de l’emploi GLOBAL dans un pays, liée à un meilleur « mix » de politiques publiques, de partage de l’emploi entre les générations, de structures de production et de stratégies d’acteurs, expliquerait à la fois la meilleure situation d’emploi des 15-24 et des 55-59, sans faire de l’activité des « pompiers » (les vieux et leur retraite) l’explication des « dommages » (le chômage des jeunes) ?
Mais bien d’autres raisons militent pour le rejet sans appel des arguments « comparatistes » de Patrick Artus.
D’abord, ces comparaisons, comme par hasard, oublient de signaler qu’un faible taux d’emploi des jeunes (proportion des 15-24 ans qui occupent un emploi, quel qu’il soit) peut aussi signifier que beaucoup de ces jeunes suivent des études sans avoir besoin de les payer via un petit boulot. Le taux d’emploi des jeunes ne nous dit pas grand-chose sur leur taux de chômage (proportion de chômeurs parmi les ACTIFS DE 15 À 24 ANS) ! C’est ce dernier taux qu’il faut faire baisser, pour les jeunes comme pour les autres.
Certes nous devons faire beaucoup pour réduire le chômage des jeunes, mais, dans nombre de pays où le taux d’emploi des jeunes est élevé, les jeunes qui poursuivent des études sont contraints, plus souvent qu’en France, d’avoir un petit boulot sans lien avec leurs études. C’est le cas d’environ deux tiers des étudiants en Grande-Bretagne et en Allemagne contre un tiers en France ! Cette situation est bonne pour les taux d’emploi, pas pour les jeunes ni pour leurs études.
Ces comparaisons à la va-vite oublient bien d’autres choses qui comptent. Par exemple : 1) les taux d’emploi ne font aucune différence entre les emplois à temps plein et les emplois à temps partiel. Ils favorisent donc les pays (cas extrême : les Pays-Bas) où le temps partiel est le plus répandu. Avec un taux d’emploi en « équivalent temps plein », tous âges confondus, la France est pratiquement au niveau de la moyenne européenne. 2) la durée annuelle moyenne de travail en France est de 1555 heures contre 1432 en Allemagne, soit près de 10 % de plus chez nous. Cela veut dire en gros qu’en 40 ans, un Français travaille autant (en moyenne) que son homologue allemand en 43 ans et demi.
Rien ne tient la route dans ces arguments. Même en restant dans le cadre économique classique « croissanciste », le fait de repousser l’âge de la retraite n’a aucune influence démontrable sur la croissance ni sur le chômage des jeunes. C’est juste une croyance magique qui en arrange plus d’un, mais certainement pas les jeunes, les chômeurs, les femmes au foyer qui souhaiteraient prendre un emploi ou les femmes à temps partiel qui souhaiteraient travailler plus, quand il y a autour de cinq millions de personnes au chômage ou en sous-emploi. C’est encore une variante du « travailler plus », dont on mesure aujourd’hui les résultats mirifiques.
Tenez, voici un autre raisonnement fallacieux. Presque tous les pays ont reculé l’âge de la retraite. Or, partout, la croissance a nettement fléchi en tendance depuis quinze ans ! Devrais-je en déduire une loi : « la croissance se porte mieux quand on part plus tôt à la retraite », vu qu’elle se portait mieux à l’époque où l’on travaillait moins longtemps ? Non, évidemment. Les explications du fléchissement de la croissance (à mon sens inéluctable et qui va se poursuivre) sont ailleurs. Je me suis déjà expliqué sur ce point.
Ainsi, ce qui est vrai à court terme (reculer l’âge de départ est très mauvais pour les jeunes et pour les chômeurs) comme le montre Guillaume Duval ( Oui, les jeunes seront bien victimes de la réforme des retraites , sur le blog) a de fortes chances d’être également vrai à long terme, en tout cas tant que le chômage reste élevé et qu’existe un fort « rationnement » des emplois disponibles.
(Je remercie Christiane Marty, Pierre Concialdi et Nicole Gadrey pour leurs remarques sur une version antérieure de ce billet)
Jean GadreyMais aussi d'atres liens :
Sauver la génération perdue des travailleurs européens par Tito Boeri
La jeunesse au centre du rapport Attali
Ne sacrifiez pas la jeunesse !
Mais aussi les autres articles de jean Gadrey et nottament : Pour une écologie du troisième âge ,
Et beaucoup d'autres articles.
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Par emile11111 le 26 Octobre 2010 à 08:55
De la responsabilité sociétale des entreprises
Jagdish Bhagwati
NEW YORK – Les entreprises sont de plus en plus mises sous pression, souvent par des organisations activistes non gouvernementales, pour assumer certaines “responsabilités sociétales des entreprises” (RSE) spécifiques. Mais le fait que ces responsabilités sociétales soient exigées, et occasionnellement concédées, n’éclaire en rien ni la logique qui les porte, ni la façon selon laquelle elles doivent être appliquées.
Ces RSE peuvent être classées en deux catégories : ce que les entreprises devraient faire (par exemple, soutenir une ONG pour le droit des femmes ou construire une école de village) et ce qu’elles ne devraient pas faire (comme par exemple rejeter du mercure dans les rivières ou enfouir des produits nocifs). Cette dernière catégorie est tout à fait conventionnelle et sujette à des règlementations (et plus récemment, à débat quant à ce que les entreprises devraient faire lorsque le pays où elles sont implantées ne possède pas de réglementation spécifique).
Mais ces obligations de RSE constituent-elles réellement une bonne pratique ? Milton Friedman et d’autres commentateurs politiques se posaient souvent la question de savoir s’il était vraiment du ressort des entreprises de pratiquer l’altruisme social. Avant la naissance des sociétés de capitaux, il y avait principalement des empires familiaux, comme celui des Rothschild. Lorsque ces empires gagnaient de l’argent, cela bénéficiait principalement directement à la famille. L’altruisme, le cas échéant, était aussi entrepris par la famille qui décidait alors de dépenser, ou pas, cet argent, et de quelle manière. Que l’entreprise, ou ses actionnaires, et d’autres parties prenantes dépensent leur argent n’était pas la question.
Les grandes entreprises familiales ont pour la plupart disparu avec la montée en puissance des sociétés de capitaux. Mais cela ne veut pas dire qu’une société de capitaux soit l’entité adéquate pour appliquer l’altruisme – même si différents actionnaires peuvent évidemment dépenser une quelconque fraction des revenus obtenus par le biais de ces sociétés et d’autres sources, de manière altruiste. Plutôt qu’une RSE, nous devrions opter pour la RSP (Responsabilité Sociétale Personnelle).
Un autre argument en faveur de la RSP est que le fait d’exiger une RSE devient une façon de ‘se renvoyer la balle’ – de se dérober de sa propre responsabilité à faire le bien. C’est ce qui résulte du fait de blâmer les entreprises pour tout et n’importe quoi, depuis l’obésité jusqu’à une brulure causée par un café renversé – deux cas qui ont fait l’objet de procès récemment.
Il y a aussi un autre avantage à remplacer la RSE par la RSP : la diversité des approches à l’altruisme est bénéfique. Le Grand Timonier voulait voir éclore cent fleurs, mais uniquement pour pouvoir ensuite les couper à la racine. La RSP s’apparente cependant plus à la métaphore des « mille points lumineux » du président George H.W. Bush.
En outre, il semble difficile pour les actionnaires d’une société de capitaux de parvenir à un consensus démocratique sur la manière d’engager sa RSE pour leur compte ; chacun estimant que sa propre conception de la RSE serait la meilleure.
Il y a malgré tout des arguments très forts en faveur de la RSE. Tout d’abord la réalité politique est que la société considère les sociétés de capitaux en tant qu’individus, ce qui est aussi une réalité juridique pour d’autres domaines. La société exige de plus en plus de ces « citoyens-entreprises » qu’ils soient altruistes, tout comme les sont les individus. Compte tenu de cette réalité, les sociétés de capitaux donnent simplement parce que c’est ce qui est attendu d’elles. Ce genre de RSE confère une bonne image à l’entreprise, tout comme les dons effectués par Bill Gates et Warren Buffet en font de bons millionnaires.
Ensuite, de nombreuses sociétés considèrent leur RSE comme une stratégie défensive efficace contre le pouvoir des ONG activistes (tel que Green Peace) qui recourent désormais à l’internet pour lancer des campagnes d’actions, de boycott, et autres formes de « chantage » contre des entreprises ciblées pour qu’elles cèdent aux demandes des activistes. Plus une entreprise répondra à ses RSE, moins les efforts de ces activistes auront de poids ou seront même engagés.
Les expériences contrastées de Coca-Cola et de Pepsi permettent de constater que Coca-Cola a été pointée du doigt par les ONG pour des manquements en matière d’environnement de législation du travail. Pepsi, par contre, qui s’était à une époque associée à AT&T et à la CIA pour renverser le président Salvador Allende au Chili, s’est refait une virginité aujourd’hui parce qu’elle a distribué avec largesse ses RSE à différentes causes embrassées par des ONG influentes.
C’est une leçon que Wal-Mart a parfaitement intégrée. En 2005, l’Union Internationale des Employés des Service a crée l’Observatoire de Wal-Mart, doté d’un budget annuel de 5 millions de dollars. L’objectif était de faire de Wal-Mart un « meilleur employeur, un meilleur voisin et une entreprise citoyenne, » et Wal-Mart a elle aussi fini par capituler sur certaines des demandes spécifiques de l’UIES.
Et enfin, la RSE peut simplement relever de la publicité. Dans ce cas, le choix de la manière avec laquelle le budget alloué à la RSE doit être dépensé se focalise principalement sur comment générer des revenus supplémentaires, tout comme la publicité, et particulièrement sur les ventes, tout comme la publicité. Un bon exemple est le cas du soutien d’Adidas aux tournois de tennis. Un mauvais exemple est le cas de Philip Morris, et de ses dons financiers en faveur des musées, des orchestres symphoniques et des opéras, cyniquement destinés à acheter les artistes qui pourraient autrement être tentés de militer pour l’interdiction du tabac.
Toutes ces différentes logiques derrière la RSE suggèrent qu’il devrait être laissé à chaque société de capitaux de déterminer, tout comme la RSP renvoie l’altruisme de chacun à sa propre conscience et à son bon sens, ce qui mérite d’être soutenu. Non seulement la volonté de certaines ONG et de certains activistes d’enfermer la RSE dans un carcan coïncidant avec leurs propres priorités n’est pas une bonne idée, mais elle doit être rejetée.
Le modèle à suivre devrait plutôt être celui de la Convention Globale, à l’initiative de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. K. Annan a établi dix principes directeurs de grande envergure tout en laissant la liberté aux sociétés signataires de choisir parmi cette liste ceux qu’elles préférent soutenir activement.
Jagdish Bhagwati, professeur en économie et en droit de l’Université Columbia et membre du Conseil des Affaires étrangères pour l’économie internationale, est l’auteur de Termites in the Trading System: How Preferential Trade Agreements Undermine Free Trade (Des termites dans le systèmes des échanges commerciaux : comment les accords commerciaux préférentiels sapent le libre échange, ndt).
Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org
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