• Les hauts et les bas des régimes de change latino-américains

    Mario I. Blejer

    BUENOS AIRES – Depuis la Seconde guerre mondiale, les pays d’Amérique latine ont, d’une certaine manière, fait office de laboratoires des régimes de change. D’innombrables régimes ont été essayés dans tout le continent – certains ont été un succès, d’autres un échec lamentable.

    Mais dans tous les cas, les choix politiques relatifs aux taux de change ont joué un rôle prépondérant dans les résultats macroéconomiques de ces pays. Et aujourd’hui, après deux décennies de turbulences, il semble que les pays du continent convergent vers un cadre monétaire plus unifié et plus durable.

    Les années 1980 ont été une décennie douloureuse pour la majorité des pays latino-américains. Le deuxième choc pétrolier et des taux d’intérêts élevés sur les marchés internationaux, couplés à l’absence d’investissements étrangers directs, ont créé des déséquilibres internes et externes importants et des niveaux de dettes extérieures considérables. Dans tous les principaux pays, cette situation s’est traduite par des défauts de paiement, des ajustements importants et constants des taux de change et à la fin de la décennie, par une spirale inflationniste ou déflationniste, proche dans certains cas d’une hyperinflation.

    Ces événements traumatisants furent le cadre des hauts et des bas des régimes de change latino-américains, pendant deux décennies, caractérisés par : l’essai d’un régime de change fixe comme instrument de contrôle de l’inflation – et l’échec colossal de cette expérience ; et le passage au cours de la dernière décennie à des régimes plus flexibles, dans lesquels le taux de change ne jouait plus un rôle central dans le contrôle de l’inflation, mais sans pour autant autoriser un flottement pur sur le marché des changes.

    Au début des années 1990, dans le contexte d’une inflation généralisée, les trois principaux pays d’Amérique latine décidèrent de faire du taux de change la pièce maîtresse de leur stratégie de stabilisation. Compte tenu du fait que les flux de capitaux internationaux avaient repris, les risques de contraintes extérieures étaient moins immédiats.

    L’Argentine a adopté le régime de change fixe le plus strict, en ancrant le peso au dollar, et instauré une caisse d’émission monétaire, tout en fixant par décret le taux de change. Le Mexique et le Brésil adoptèrent aussi des taux de change fixes dans le cadre de réformes plus générales.

    Le résultat de ces expériences rappelle le triste adage : l’opération a été un succès, mais le patient est mort. L’inflation a, de fait, été ramenée sous contrôle. Mais le taux de change réel est rapidement devenu surévalué. Ce facteur, couplé aux chocs externes et à des récessions profondes, a rendu les taux de change fixes intenables, et ils furent abandonnés en premier par le Mexique, puis par le Brésil et enfin, de manière spectaculaire, par l’Argentine.

    Durant la même période, d’autres pays d’Amérique latine, notamment la Colombie et le Chili, adoptèrent des stratégies alternatives. Leur inflation étant plus faible, ils choisirent d’orienter leurs politiques vers le maintien d’un taux de change compétitif par le biais d’une « parité glissante » , qui consiste à maintenir le taux de change dans une bande de fluctuations autour d’une parité centrale.

    Ces deux pays parvinrent à réduire graduellement l’inflation tout en maintenant la croissance économique. La plus grande flexibilité de leurs devises n’a toutefois pas pu protéger leurs économies contre l’impact récessionnaire des crises russe et asiatique de 1997-1998, et la Colombie subit une crise financière en 1999.

    L’abandon de l’ancrage des devises latino-américaines lors des crises financières des années 1990 contribua à modifier le paradigme monétaire international. Malgré des expériences divergentes, la plupart des pays convinrent d’adopter un taux de change flottant –  dont plusieurs d’entre eux dans le contexte d’un ciblage de l’inflation.

    Mais ce qui définit le plus l’expérience latino-américaine aujourd’hui est que les autorités, tout en défendant publiquement les vertus d’un taux de change flottant, interviennent activement sur le marché des changes, mais cette fois-ci de manière différente et créative. C’est ainsi que le régime de change de l’Amérique latine est à présent celui d’un flottement activement administré.

    Dans la première partie de la décennie, les interventions avaient pour principal objectif d’éviter une dévaluation et donc de soutenir les cibles d’inflation. Par la suite, l’objectif fut d’éviter une appréciation du taux de change réel et en même temps d’accumuler des réserves de change et de renforcer la crédibilité monétaire.

    Une des leçons importantes des tribulations de l’Amérique latine démontre qu’il est futile de compter sur le régime de change comme instrument de stabilisation. On ne peut s’attaquer à l’inflation, phénomène par trop complexe, sans une série de mesures fiscales et monétaires coordonnées. Ancrer le taux de change a toutes les chances de se traduire par une appréciation réelle disproportionnée des devises, une perte de compétitivité, des crises externes et financières et des récessions désastreuses.

    La deuxième leçon est celle qui concerne la flexibilité. Dans les années 1990, quand les régimes de change fixe étaient en vogue, on a pensé que la flexibilité nuisait à la crédibilité. Mais en finale, c’est l’absence de flexibilité qui a tué la crédibilité. Aujourd’hui, dans un contexte de faible inflation, la flexibilité est à juste titre considérée comme un instrument important pour éviter les désalignements des taux de change et pour protéger les économies des chocs externes.

    Mais la flexibilité n’est pas pour autant synonyme de flottement pur. Dans un monde hautement intégré de prix et de volumes très volatiles, la flexibilité implique également de pouvoir intervenir et administrer activement le taux de change. En fait, la troisième leçon est que ni le régime de change fixe, ni le flottement pur ne favorisent le maintien d’un taux de change réel compétitif, essentiel pour promouvoir et soutenir le développement économique.

    Le flottement administré des taux de change a également permis aux pays du continent d’accumuler des réserves de change considérables. Malgré des avis contraires, cette évolution n’a eu que des effets hautement stabilisateurs. Il ne fait aucun doute que des réserves de change importantes, combinées à la flexibilité du flottement administré et à la capacité d’intervenir, ont atténué l’impact de la récente crise financière en Amérique latine et ont contribué à son émergence comme l’une des régions les plus performantes, dans un contexte de profonde incertitude ailleurs dans le monde.

    Mario I. Blejer est un ancien gouverneur de la Banque centrale d’Argentine.


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  • Émergents et émergés submergés

     

    Quel est le problème des émergents, ex-pays en voie de développement, aujourd'hui ? Ils sont submergés. Par les capitaux des investisseurs internationaux. Eux qui réclamaient il y a encore quelques années l'aide du Nord, voient déferler sur le Sud des capitaux qui créent une surcroissance artificielle. La Thaïlande, en situation de quasi-guerre civile il y a encore quelques semaines, ne sait plus aujourd'hui comment stopper les torrents d'achats de bahts et d'actions sur la Bourse de Bangkok. Le Brésil partage le même problème et doit imposer des taxes à l'investissement pour freiner les ardeurs des étrangers.

    La Turquie, elle, ne fait rien pour stopper l'euphorie : elle savoure, non sans un certain esprit de revanche, le fait d'avoir été rejetée par l'Europe et d'être, heureusement pour elle, restée dans le camp des pays émergents. La Grèce est exsangue et doit son salut à la Chine, la Turquie émergente ne sait plus quoi faire de l'argent qui entre dans le pays.

    La Chine, elle-même, doit monter ses taux, pour la première fois depuis décembre 2007, pour tenter de freiner la progression des prix de l'immobilier (+ 9,7 % en septembre) et limiter un rebond boursier (+ 27 % depuis juillet) jugé trop spéculatif par les dirigeants chinois.

    Quel est le problème des pays développés (on peut même se demander si ce terme s'applique encore vraiment) ? Eux aussi sont submergés. Pas par les capitaux. Mais par les dettes. Et nous assistons, parmi les pays responsables (nous n'en faisons pas partie), à une surenchère d'austérité. L'Angleterre a découvert un Cameron churchillien et adepte de la méthode Merkel. Ce n'est pas un budget de rigueur, c'est un véritable budget de famine. Supprimer 500.000 fonctionnaires, limiter la générosité d'un État providence au bord de la faillite et couper les ailes de la défense n'ont pas, dans un pays qui, comme l'Allemagne, place la responsabilité commune au-dessus des intérêts individuels, mis un seul lycéen dans la rue ni provoqué la fermeture d'une seule station d'essence.

    Les États-Unis, eux, sont tétanisés dans un immobilisme préélectoral avant une déroute annoncée pour Barack Obama qui rendra le pays ingouvernable et donc encore plus vulnérable face à ses créanciers, pour la plupart des « émergents ».

    Les banques centrales des pays développés maintiennent sous la respiration artificielle du QE2 (« quantitative easing ») des économies fragiles. Les banques centrales des pays émergents ressortent de leurs vieux cartons l'arme du contrôle des changes qu'elles utilisaient naguère pour empêcher les fuites de capitaux. Ironie de l'histoire certes. Mais, surtout, une fois de plus, instinct grégaire des investisseurs. Ils brûlent ce qu'ils ont adoré et ils adorent ce qu'ils ont brûlé. Et la roue tournera. À nouveau. Dans un mois, un an ou trois ans.

    Les pays émergents ont de nombreux atouts. Inutile de le nier. Des atouts avouables et admirables pour lesquels nous avons le droit d'utiliser le terme de miracle. Mais d'autres qui le sont moins. À l'heure où l'arrière-garde française s'arc-boute sur la retraite à 60 ans, les seniors des pays émergents éjectés du monde du travail se retrouvent sans ressource, sans couverture sociale, sans un yuan, un real ou une roupie de retraite. Avec le vieillissement de la population, le fossé va se creuser entre les pays qui prennent en charge leurs retraités et ceux qui les laissent mourir sans ressource.

    Après l'avantage compétitif lié au dumping du coût du travail et à l'absence de couverture sociale, voici venue l'ère de l'avantage compétitif lié à la différence de traitement des retraités selon les pays et les zones économiques. Retraite à 60 ans (bientôt 62 ?) en France, 67 ans en Allemagne, 70 ans aux États-Unis. Pas de retraite en Inde, en Chine ou au Brésil. Voilà peut-être ce que saluent de façon cynique les marchés financiers...

    À contre-courant, par Marc Fiorentino Allofinance.com

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  • Les nécessaires réformes institutionnelles

    Jurgen Stark

     

    FRANKFORT – Malgré les nombreuses discussions à ce sujet en Europe aujourd’hui, il n’y a pas de crise de l’euro. Il y a par contre une crise de la dette souveraine dans quelques pays qui doivent aujourd’hui faire face aux conséquences de réformes économiques insuffisantes. Mais ces difficultés ne sont pas propres à la zone euro. La plupart des économies avancées sont confrontées aux mêmes problèmes.

    Tous ces pays doivent tirer des conclusions sans équivoque de la crise actuelle. Les pays de la zone euro doivent accepter la réalité économique et adopter des règles budgétaires plus strictes au lieu de continuer à nier le fait que l’union monétaire limite la souveraineté fiscale nationale.

    Lors de l’émergence de la crise financière, l’euro a protégé des pays qui dans d’autres circonstances auraient été plongés dans une profonde crise monétaire. Ce bouclier pourrait avoir en fait trop bien fonctionné parce que les pays les moins performants n’ont pas eu à subir de sanctions de la part des marchés financiers.

    En fait, malgré des déséquilibres importants et des disparités énormes entre les niveaux de dettes privées et publiques sur l’ensemble de la zone euro, les écarts de taux d’intérêt sur les obligations d’État disparurent dans la période précédant la crise. Les acteurs des marchés – dont les agences de notation – ont soit, de manière flagrante, mal évalué les risques, soit n’ont jamais pris au sérieux la clause de « non renflouement » du traité de Maastricht.

    Dans le même temps, les mécanismes institutionnels adoptés pour la coordination des politiques économiques et fiscales ne furent pas utilisés. Dans le domaine fiscal, les règles du Pacte de stabilité et de croissance furent même assouplies et les décisions concernant les mesures d’ajustement et les sanctions éventuelles furent assujetties à des considérations politiques à court terme.

    Tant que les pécheurs potentiels de l’Europe continuent à juger ses pécheurs de fait, la pression des pairs ne produira aucun résultat. En fait, les plans de réduction des déficits furent trop souvent basés sur des prévisions de croissance trop optimistes et dans les périodes de forte croissance, la réduction de la dette fut négligée. Des statistiques fiables n’étaient pas nécessairement disponibles pour chaque pays et pendant des années, il n’y eut aucune volonté politique d’ajuster les budgets nationaux aux conséquences d’un vieillissement rapide de la population sur les retraites et la sécurité sociale.

    Toutes ces négligences devinrent manifestes en 2005, lorsque les gouvernements européens revirent à la baisse les règles du Pacte de stabilité et de croissance, à tel point que ses clauses devinrent de fait facultatives. La Banque centrale européenne critiqua vivement cette décision, dont les conséquences dramatiques ont dépassé nos pires craintes.

    La crise financière a frappé les fragiles budgets nationaux de plein fouet. L’effet des mesures de stabilisation automatique qui entrent en jeu lors d’un ralentissement économique, le soutien apporté aux banques en difficulté et les paquets fiscaux adoptés par les gouvernements ont été autant de facteurs à saper la viabilité fiscale.

    La réévaluation soudaine du risque souverain par les marchés financiers a exercé des pressions considérables sur les gouvernements de la zone euro pour qu’ils réduisent les déficits publics. Mais le risque existe que la consolidation fiscale soit oubliée pour peu qu’un semblant de réduction des déficits calme les marchés. Pour minimiser ce risque, il est nécessaire que les pays de la zone euro revoient et renforcent le système institutionnel permettant de sauvegarder les finances publiques et de coordonner des réformes structurelles qui auraient dû être mises en ouvre il y a longtemps.

    Ces efforts devront s’accompagner de réformes en profondeur, avec notamment une surveillance fiscale et macroéconomique exempte de considérations politiques, des règles budgétaires plus strictes et plus contraignantes accompagnées de sanctions progressives en cas de non respect de ces règles, et une étroite coordination des politiques économiques. La création d’un organisme indépendant, formel ou informel, est la meilleure manière d’éviter les pressions politiques, tandis que des règles budgétaires plus strictes et plus contraignantes doivent intégrer un lien plus étroit entre les critères de déficit et de dette publics.

    En fait, la réduction du niveau élevé actuel des dettes publiques de la zone euro nécessite une consolidation substantielle. Les gouvernements devront tout d’abord ramener le déficit public à moins de 3 pour cent du PIB, conformément à la décision du Conseil européen. Ensuite, pour réduire par paliers un ratio élevé de la dette, les gouvernements devront chercher à réduire le déficit public de manière plus conforme à leurs objectifs budgétaires à moyen terme.

    Pour être crédibles, les sanctions devront intervenir bien avant qu’un pays connaisse des difficultés économiques ; elles ne doivent donc pas être uniquement de nature financière, mais comprendre également d’autres mesures. Ces sanctions doivent être imposées dès qu’un gouvernement ne respecte pas les exigences minimales permettant d’atteindre les objectifs budgétaires à moyen terme. Elles doivent ensuite devenir progressivement plus sévères, plus un pays contrevient longtemps et sérieusement aux règles établies.

    En ce qui concerne la politique structurelle, un meilleur système de surveillance et de sauvegarde de la compétitivité de chaque pays, et pour éliminer les déséquilibres, est nécessaire. Il faut pour cela prévoir un suivi et une surveillance de la compétitivité.

    Les pays devraient être assignés à un groupe de risque selon leur vulnérabilité économique. Plus le risque est élevé, plus contraignantes seront les recommandations en vue d’une réduction des déséquilibres, plus stricte la surveillance de la manière dont les mesures appropriées sont appliquées, et plus dures les éventuelles sanctions liées au non respect des règles.

    Des propositions concernant la création d’une nouvelle institution de gestion de crises ont été avancées, qui nécessiteraient sans doute une modification du traité (de Maastricht ?). Mais si les réformes de la politique fiscale et de la coordination des politiques économiques aboutissent, une telle institution n’aurait pas besoin d’intervenir et serait donc superflue.

    Les réformes structurelles et les mesures de consolidation fiscale ne sont, soit dit en passant, pas réservées aux pays accusant un déficit du compte courant. Les pressions sont naturellement plus fortes sur ces pays-là, mais aucun pays de la zone euro ne peut prétendre avoir une situation budgétaire saine dans la durée. Les pays excédentaires doivent, eux aussi, agir pour renforcer leur économie en adoptant des mesures créatrices d’emploi et qui encouragent les investissements.

    Ces ajustements sont douloureux mais nécessaires. Sans réformes structurelles pour relancer l’emploi et la croissance, même les efforts les plus sérieux pour encourager la reprise n’auront aucun effet, que ce soit au plan économique ou politique.

    Jürgen Stark est membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne.


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  • Grandes idées en provenance des petits pays

    Jeffrey Frankel

    CAMBRIDGE – Il y a vingt ans, ils étaient nombreux à penser que la leçon à retenir des années 80 était que la variante japonaise du capitalisme était le meilleur modèle et que d’autres pays à travers le monde devraient l’adopter et le feraient. Le modèle japonais a rapidement perdu de son lustre dans les années 90.

    Il y a dix ans, beaucoup pensaient que la leçon à retenir des années 90 était que la variante américaine du capitalisme était le meilleur modèle et que d’autres pays devraient l’adopter et le feraient. Le modèle américain a perdu de son attrait dans les années 2000.

    Donc, de quel côté devraient se tourner les pays en 2010 pour trouver des modèles de succès économique à imiter ?

    Peut-être devraient-ils se tourner vers la périphérie de l’économie mondiale. De nombreux petits pays y ont expérimenté des politiques et des institutions qui pourraient aisément être adoptées par les autres. 

    Le Costa Rica en Amérique Centrale et Maurice en Afrique se sont chacun démarqués de leurs pairs régionaux depuis déjà un certain temps. Parmi les nombreuses décisions qui ont bien fonctionné, ces deux pays ont abandonné l’idée d’une armée. Et dans chacun de ces deux cas, cela leur a permis de vivre une histoire politique apaisée et de récupérer ainsi une épargne financière qui peut être employée dans l’éducation, les investissements et d’autres bonnes choses.

    Une panoplie d’innovations a permis au Chili de surpasser ses voisins sud américains. Les institutions budgétaires chiliennes lui assurent un budget contre cyclique. De nombreux gouvernements augmentent immodérément leurs dépenses en période de boum économique et sont alors obligés de réduire la voilure en période de rechute, ce qui exacerbe les fluctuations cycliques.

    Il y a deux éléments clé dans les institutions budgétaires chiliennes :

    ●  Une règle d’équilibre du budget structurel autorise les déficits uniquement dans la mesure où le prix courant du cuivre est en dessous de la moyenne de son prix des dix dernières années ou si la production est en deçà de sa tendance moyenne à long terme.

    ●  Deux groupes d’experts techniques sont responsables d’évaluer respectivement les tendances du prix du cuivre et des niveaux de production, en toute indépendance par rapport aux processus politiques qui sont susceptibles de prendre leurs désirs pour des réalités.

    Les pays exportateurs feraient bien de copier ces institutions afin de démentir la soi-disant « malédiction des matières premières ». Les pays avancés comme les Etats-Unis et la Grande Bretagne auraient eux aussi des leçons à retenir de l’expérience chilienne compte tenu du fait que lors de la dernière expansion, ils ont à l’évidence oublié de prendre des mesures de politique budgétaire contre-cycliques.

    Singapour est parvenu au statut de pays riche avec une unique stratégie de développement. Parmi les nombreuses innovations mises en ouvre, une approche paternaliste par rapport à l’épargne et l’instauration de péages pour résoudre les problèmes d’embouteillages de la circulation (une approche adoptée ultérieurement par Londres.)

    D’autres petits pays avancés ont aussi des idées à proposer. La Nouvelle Zélande a été la première, avant de se faire emboiter le pas par la plupart des banques centrales du monde, à fixer des objectifs d’inflation et a adopté de nombreuses réformes libérales dès la fin des années 80. Son Parti Travailliste devrait se voir accorder le mérite d’avoir été le pionnier du principe selon lequel les gouvernements de centre gauche peuvent parvenir à la libéralisation économique mieux que leurs opposants de centre droit.

    L’Irlande a fait la preuve de l’importance des investissements étrangers directs. L’Estonie a été la première à simplifier son système fiscal pour instaurer une taxe unique en 1994, suivie par la Slovaquie et d’autres pays d’Europe centrale et orientale (et même plus loin encore comme Maurice).

    Le Mexique a été le premier à appliquer l’idée du Transfert Conditionnel d’Espèces (le programme OPORTUNIDADES, anciennement PROGRESA, fut lancé en 1998). Les TCE ont ensuite été adoptés par de nombreux pays en Amérique Latine, en Asie et en Afrique. 

    L’innovation mexicaine était en fait deux révolutions en une. D’abord, il a été décidé que les subventions contre la pauvreté seraient fonction de l’assiduité scolaire des enfants de la famille (une idée reprise ultérieurement par la ville de New York). Ensuite, et c’est peut-être le plus important, les Mexicains ont institué une méthodologie consistant à mener des expériences contrôlées pour déterminer les politiques qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas dans les pays en développement (un principe intégré au très intéressant mouvement des essais cliniques contrôlés randomisés dans le domaine de l’économie du développement.)  

    De même dans les années 90, et principalement grâce au président de l’époque, Ernesto Zedillo, le Mexique a instauré des institutions électorales fédérales non partisanes qui en 2006 ont été capables de résoudre avec succès une élection disputée (par contre, il se trouve qu’en novembre 2000, les Etats-Unis n’avaient pas de tel mécanisme, autre que les préférences des candidats politiques.) Plus récemment, l’actuel président Felipe Calderon a fermé l’inébranlable entreprise de service public d’électricité et entrepris un certain nombre de réformes très nécessaires y compris autour de la fiscalité et des pensions.

    En mettant en lumière certaines instituions spécifiques qui pourraient utilement être adoptées ailleurs, je ne veux pas suggérer qu’il est facile de les transposer d’un contexte national à un autre. Je ne veux pas non plus suggérer que ces exemples sont seuls responsables du succès économique des pays concernés (d’ailleurs, certains de ces pays ont récemment dû faire face à de sévères problèmes.) Mais un pays n’a pas besoin d’être grand pour servir de modèle aux autres.

    Les petits pays sont ouverts aux échanges. Ils sont aussi souvent ouverts aux idées nouvelles – et du fait de leur taille, il leur est plus facile de les expérimenter. Les résultats de telles expérimentations – mêmes celles qui s’avèrent être des échecs – portent toujours en elles des leçons qui peuvent nous être utiles.

    Jeffrey Frankel est professeur d’administration publique à la John F. Kennedy School of Government.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org

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  • Perçons enfin l’abcès immobilier américain

    Paul Krugman | The New York Times

    Les responsables américains ont toujours aimé sermonner les autres pays sur leurs échecs économiques et les inviter à suivre l’exemple des Etats-Unis. La crise financière asiatique de la fin des années 1990, en particulier, a donné lieu à une avalanche de leçons de morale pleines d’autosatisfaction. Ainsi, en 2000, Lawrence Summers, alors ministre des Finances, déclarait que la clé de la prévention des crises financières reposait sur “des banques bien capitalisées et sous bonne surveillance, une bonne gouvernance d’entreprise et un bon code des faillites, ainsi que des moyens crédibles de garantir l’application des contrats”. Sous-entendu : les Asiatiques n’ont rien de tout ça, contrairement à nous. Mais ce n’était pas le cas.

    Les scandales comptables chez Enron (en 2001) et WorldCom (en 2002) ont dissipé le mythe de la bonne gouvernance des entreprises. L’idée que nos banques étaient bien capitalisées et sous surveillance sonne aujourd’hui comme une plaisanterie de mauvais goût. Et le scandale des crédits hypothécaires rend absurdes les affirmations sur l’existence de moyens crédibles pour garantir l’application des contrats. A l’inverse, on se demande aujourd’hui si notre économie est encore soumise au règne de la loi.

    Résumé des épisodes précédents : une crise immobilière spectaculaire et un chômage durablement élevé ont entraîné une véritable épidémie de défauts de paiement, avec des millions de propriétaires prenant du retard dans le remboursement de leur prêt immobilier. Par conséquent, les collecteurs de crédit (ces sous-traitants chargés de collecter les traites pour le compte des détenteurs d’hypothèques) ont saisi de nombreux logements.

    Mais en ont-ils vraiment le droit ? Les histoires terrifiantes se multiplient, comme celle de cet homme, en Floride, qui a vu son domicile saisi alors même qu’il n’avait pas de dette. Mais il y a pire. Certains acteurs ont tout bonnement ignoré la loi. Des tribunaux ont approuvé des saisies sans exiger des collecteurs qu’ils produisent les documents appropriés. Au lieu de cela, ils se sont contentés de déclarations écrites sous serment attestant que ces documents étaient en règle. Or ces déclarations étaient souvent signées par des robo-signers, autrement dit des employés subalternes qui ne savaient absolument pas si leurs affirmations étaient vraies.

    Or, dans bien des cas, les documents n’existent même pas. Dans la frénésie de la bulle immobilière, de nombreux prêts ont été accordés par des sociétés véreuses qui voulaient “faire du chiffre”. Ces créances ont ensuite été revendues à des “fonds” ad hoc qui, à leur tour, les ont démembrées pour en faire des produits financiers adossés à des emprunts hypothécaires. La loi exigeait de ces fonds qu’ils demandent et obtiennent les titres de créance détaillant les obligations des emprunteurs – formalités jugées inutiles et souvent négligées. Autrement dit, nombre des saisies effectuées actuellement sont illégales. Tout cela est très grave. Pour commencer, il est quasi certain qu’un nombre important d’emprunteurs se font escroquer : on leur demande des frais qu’ils ne doivent pas, on les déclare en faillite alors que, selon les termes de leur contrat de prêt, ils ne le sont pas.

    Au-delà de ces escroqueries, si les fonds ne peuvent pas faire la preuve qu’ils possèdent bien les emprunts qu’ils ont titrisés, leurs mandataires risquent d’être poursuivis par les investisseurs qui ont acheté ces titres – des titres qui, dans bien des cas, ne valent plus qu’une fraction de leur valeur nominale. Et qui sont ces mandataires ? D’importants établissements financiers. Ceux-là mêmes qui ont été soit disant “sauvés” par l’Etat l’année dernière. Le scandale des crédits hypothécaires menace donc d’entraîner une nouvelle crise financière. Fidèle à lui-même, le gouvernement Obama a réagi en s’opposant à toute action susceptible de déranger les banques, notamment à l’instauration d’un moratoire sur les saisies le temps de résoudre certains problèmes. A la place, il préfère inviter poliment les banques à mieux se tenir et à se racheter une conduite. A droite, la réaction est pire encore. Si les parlementaires républicains font profil bas, les commentateurs conservateurs n’ont pas hésité à qualifier l’absence de documents en ordre de détail sans importance. Dès lors qu’une banque dit posséder votre maison, assurent-ils, vous devez la croire sur parole.

    Les excès de l’époque de la bulle ont créé un bourbier juridique dans lequel les droits de propriété sont mal définis, puisque personne ne possède les documents adéquats. Or quand il n’existe pas de droits de propriété clairement définis, c’est au gouvernement de les créer. Une chose est sûre : ce que nous sommes en train de faire ne fonctionne pas. Et prétendre que tout va bien ne convaincra personne.

    L’auteur

    Paul Krugman, 57 ans, est professeur d’économie et de relations internationales à l’université de Princeton. Lauréat, en 2008, du prix Nobel d’économie, il tient une chronique, deux fois par semaine, dans The New York Times depuis 1999.


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