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Par emile11111 le 21 Octobre 2010 à 09:48
La retraite, agonie d'un mythe français
Comment saisir le sens de la mobilisation de grande ampleur autour de la réforme des retraites voulue par l'actuel gouvernement ? Pourquoi cette réforme, probablement nécessaire, soulève-t-elle une opposition aussi nombreuse, confirmée par les sondages ? Notre pays n'avait rien vu de tel depuis novembre-décembre 1995. Pourquoi les lycéens eux-mêmes, qui, lorsqu'ils auront atteint l'âge de se retirer de la vie active, vivront dans un monde radicalement différent du nôtre, sont-ils entrés dans la danse ?
La France est un pays qui vit la retraite sur le mode de l'attente et de l'espoir. Tous, nous connaissons des personnes qui, encore en pleine activité, avouent " attendre la retraite ". Nos concitoyens oublient facilement qu'elle est le vestibule de la mort, qu'une fois passé son âge, l'on s'efface peu à peu de l'univers des vivants, à petit feu, jusqu'à l'extinction dernière.
Ils oublient qu'elle est le temps du déclin, des maladies, des hospitalisations. Le temps d'Alzheimer. Le temps de Parkinson. Pour exalter la retraite, ils la rêvent comme un paradis et la tiennent pour l'âge d'or de l'existence.
La retraite est la grande promesse sociale qui maintient la cohérence du tissu collectif. Sous la forme de promesse, en effet, elle tisse une série d'acceptations qui empêchent une grande partie du corps social de chavirer dans la révolte ou la violence. En ce sens, elle est ce qu'était le travail pour Nietzsche, " la meilleure des polices ". Quelles acceptations ? Les maux de toujours : la précarité, l'inégalité, la soumission, l'exploitation, autrement dit le travail comme malédiction. Et aussi un mal nouveau : l'érosion des progrès sociaux, qui rendaient plus agréable, plus douce, l'existence des gens ordinaires, la crise de l'Etat-providence.
Des lycéens aux retraités, un mythe traverse la société française : la retraite. Ce fil coud ensemble une grande partie de la population, n'excluant que les plus riches et les plus pauvres, et toutes les générations. Le lycéen sait bien que la société n'a plus aucune perspective enthousiasmante à lui offrir. Mais il pense qu'existe un au-delà à cette vie déchiquetée entre emplois précaires et chômage : la retraite.
Un paradis qui devrait concentrer le meilleur de la vie : le bonheur sans les soucis. Ils veulent bien alterner travail et chômage, appartements et squats, souffrir et galérer, ramer de RMI en RSA, mais que ce soit dans l'attente de ce paradis. La réforme le rend, à leurs yeux, à la fois plus éloigné et plus incertain.
Toute la vie, la retraite offre l'espoir d'une vie meilleure. Elle est le Graal dont le salariat est la quête. Elle dessine la figure d'un paradis aussi heureux qu'assuré, tout le monde étant destiné à y accéder. Elle est la période de la vie pour laquelle on forme mille projets. L'existence est fantasmée en parcours de Dante : connaître l'enfer, passer le purgatoire, puis parvenir enfin au paradis des jours heureux. La retraite est alors perçue sous l'aspect de la récompense pour avoir accepté sans flancher toute une vie " de galères ".
Mythe survivant
Les citoyens perçoivent plus que ce que cette réforme dit explicitement. Elle tente courageusement de sauver la retraite par répartition, ils y voient la fin d'un monde. C'est que cette réforme joue, dans la psychologie collective, le même rôle que l'invention de la psychanalyse selon Freud, venant après Galilée et Darwin : révélant la réalité, interrompant le rêve, elle est la dernière des désillusions. Elle réduit à néant l'ultime croyance sociale issue du XXe siècle.
Chacun le comprend : la retraite, si elle réussit à être préservée, arrivera de plus en plus tard dans l'existence, sera difficile, se révélera paupérisante ; bref, elle sera à l'image de la vie laborieuse, dans la continuité avec elle. Ni la vie active ni la retraite ne seront plus jamais un long fleuve tranquille.
La croyance en la retraite est le mythe survivant aux deux désenchantements majeurs des derniers siècles. Les représentations collectives viennent, en cent cinquante ans, de connaître deux grandes pertes : le paradis transcendant, post mortem, promis par les religions en échange de la vertu, et le paradis immanent qui s'est, l'espace d'une centaine d'années, substitué à lui, promis par le marxisme.
L'agonie d'une croyance est toujours convulsive, nécessitant des rites. La réalité contraint le peuple français, sur certaines de ses croyances, à un travail de démythologisation. Paradoxalement, et à son insu, le mouvement social de cet automne accomplit ce travail.
Ainsi, les imposantes manifestations de ces derniers temps sont-elles, malgré les couleurs vives des banderoles, la gaieté des chants et des rythmes musicaux, des cortèges funèbres : ils portent à sa dernière demeure, le grenier de l'histoire, un mythe social bien français, la retraite.
Robert Redeker
Philosophe
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Par emile11111 le 20 Octobre 2010 à 09:37
Un nouveau contrat social pour le secteur financier ?
Howard Davies
LONDRES – Il y eut une époque où seules les pages de sport des journaux recelaient des classements. Mais maintenant on en trouve partout, c'est devenu presque obsessionnel. On classe désormais les écoles et les universités, les entreprises en fonction de leur rentabilité ou de leur engagement en matière de responsabilité sociale, les pays en fonction d'un indice de bonheur national et les marques selon leur valeur. Il existe même un classement mondial des meilleures blagues (qui ne m'a guère fait rire).
Les classements envahissent aussi le monde de la finance. C'est en retenant leur souffle que les banques d'investissement attendent la publication de la liste des fusions et des acquisitions, même s'il n'y a pratiquement pas de lien entre bon classement et rentabilité. On classe les banques depuis longtemps. Actuellement la tendance est à les classer en fonction de leurs réserves en capitaux plutôt que du volume de leurs actifs, ce qui est d'une certaine manière un progrès. Malgré tout, ces classements n'ont pas grande signification.
Un classement génère beaucoup d'anxiété, c'est celui des centres financiers. On l'établit essentiellement en fonction d'une enquête sur les firmes financières et il en existe tout un éventail. Dans quelle mesure la crise financière a-t-elle portée atteinte à la réputation et aux résultats des principaux centres financiers occidentaux ? Telle est la question que l'on se pose à Londres et à un moindre degré à New-York - car certains Américains pensent que le monde entier va continuer à se bousculer à leur porte, aussi désagréable puisse être l'accueil.
Jusqu'à présent les classements ne sont pas trop alarmants. Dans celui réalisé à la demande de la City Corporation de Londres, New-York et Londres sont toujours en tête, pratiquement à égalité. Celui du magazine The Banker place New-York en premier, talonné par Londres – tandis que l'écart entre eux et les suivants se réduit. La notation de Londres et de New-York en terme de qualité et d'étendue de la réglementation ainsi qu'en terme de fiscalité, a chuté - ce qui déclenche la nervosité des firmes financières.
Le changement le plus frappant est la montée en puissance des principaux centres financiers asiatiques – Hong Kong et Singapour, mais aussi Shanghai, Pékin et Shenzen. Les Chinois encouragent ouvertement le développement de leurs centres financiers et l'on commence à en voir le résultat. Dans un autre classement, le World Economic Forum’s Financial Development Index, Hong Kong et Singapour ne sont pas loin derrière Londres, et la Chine devance maintenant l'Italie en terme de sophistication financière. Les nouilles ont dépassé les spaghettis !
Certains aspects de cette nouvelle situation n'ont rien de surprenants. Se déplaçant vers l'Asie, le centre de gravité de l'économie mondiale entraîne avec lui le secteur financier. Conformément au principe selon lequel il vaut mieux accompagner une évolution inévitable plutôt que de s'y opposer, la bonne réaction pour Londres et New-York consiste à collaborer avec les nouveaux centres financiers.
Mais la question clé pour les centres financiers occidentaux est de savoir si l'activité financière susceptible de se déplacer se déplace réellement. C'est difficile à évaluer. On dit que certains gérants de fonds spéculatifs feraient leur valise pour s'installer à Genève. Chaque fois qu'un Etat ou qu'un organisme de régulation financière annonce une nouvelle mesure ou le renforcement des mesures existantes, certains banquiers menacent de partir à l'étranger avec leur Porsche et leur maîtresse.
Ces menaces qui avaient dans le passé un impact politique important, se révèlent bien moins efficaces aujourd'hui. Certains hommes politiques et certains commentateurs sont rapides à dire "bon débarras". Même la Banque d'Angleterre a posé la question de savoir s'il est intéressant pour Londres d'être l'un des principaux centres financiers de la planète, étant donné le montant des plans de secours mis en place à l'occasion de la dernière crise.
C'est une spéculation hasardeuse. Aussi condamnable ait pu être le comportement des banquiers – certains mériteraient de passer une dizaine d'année à l'ombre – les services financiers sont un élément vital de l'économie londonienne. Si le secteur financier s'étiole, qu'est-ce qui le remplacera en terme d'emplois ?
Les discours tels que ceux de l'ancien Premier ministre Gordon Brown sur la science et la production comme moyen pour sortir de la récession sont creux. Il y très peu d'exemples, si ce n'est aucun, de société post-industrielle aux coûts de production élevés qui ait relancé à grande échelle son secteur manufacturier après qu'il ait décliné.
Londres notamment ne dispose pas du droit inaliénable d'être un centre financier mondial. Le marché intérieur du Royaume-Uni est bien plus réduit que celui des USA.
Le centre de l'activité financière s'est déplacé au cours des siècles. Si les situations acquises étaient immuables, le siège social de Goldman Sachs serait à Babylone. Il doit y avoir un moment où la combinaison d'une fiscalité trop lourde, d'une réglementation qui peut paraître abusive et d'un climat politique hostile pousse les firmes financières à se délocaliser.
La Grande-Bretagne pourrait bientôt se retrouver dans cette situation. C'est pourquoi l'Autorité des services financiers de Grande-Bretagne et même la Confédération des industries britanniques (qui s'exprime largement aux noms des entreprises hors secteur financier préoccupés par l'accès au crédit) ont lancé un appel à une trêve entre les autorités et les marchés financiers.
Les deux ou trois mois à venir seront décisifs pour parvenir à une paix durable. Comme s'est toujours le cas dans des négociations de paix, les deux cotés doivent être prêts à faire des concessions.
Cette année les firmes financières ont tout intérêt à afficher beaucoup plus de mesure dans l'attribution des primes. Le gouvernement britannique ne tolérera pas une nouvelle gabegie. Et les pays des deux cotés de l'Atlantique devront décider jusqu'où ils veulent aller pour sanctionner les banques. Si la menace d'une hausse incessante de la fiscalité persiste, elle pourrait produire des effets radicalement opposés à ceux recherchés. Si nous ne parvenons pas à établir prochainement un nouveau contrat social entre l'Etat et les marchés, ces derniers plieront bagage.
Howard Davies est directeur de la London School of Economics. Il a été président de l'Autorité des services financiers britanniques et vice-gouverneur de la Banque d'Angleterre. Son dernier livre s'intitule Banking on the Future: The Fall and Rise of Central Banking.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Par emile11111 le 20 Octobre 2010 à 09:35
Les guerres d’austérité
Robert Skidelsky
LONDRES – Je perds de plus en plus espoir quant aux perspectives d’une reprise rapide de la récession globale. Les plans de relances coordonnés (5 trillions de dollars) lancés par les principaux gouvernements de la planète ont permis d’arrêter la chute mais n’ont pas produit le rebond nécessaire. La frustration actuelle est fort bien résumée par The Economist dans le gros titre d’une de ses récentes premières pages : « Grow, dammit, grow. » (En avant, non d’un chien, en avant, ndt)
Il y a deux raisons d’être pessimiste. La première est le retrait prématuré des mesures « de relance » décidées par le G20 lors de sa réunion de Londres en avril 2009. Les principaux pays sont aujourd’hui concentrés sur les moyens de réduire radicalement leurs déficits budgétaires.
La seconde raison est que rien n’a été fait pour répondre au problème des déséquilibres de compte courants. Les discussions actuelles à propos des guerres des monnaies déclenchant des guerres commerciales rappellent en effet la désastreuse expérience des années 30.
Le problème du déséquilibre de compte courant est étroitement lié à l’existence d’une surabondance d'épargne mondiale. Une partie du monde, menée par la Chine, gagne plus qu’elle ne dépense tandis qu’une autre partie du monde, notamment les Etats-Unis, dépense plus qu’elle ne gagne. Si l’on considère que les pays excédentaires investissent dans les pays déficitaires, ces déséquilibres ne posent aucun problème macroéconomique.
Cela correspond effectivement au modèle du XIXème siècle. Un système d’investissements étrangers, dont le pivot était Londres, canalisait les économies des pays riches (ou excédentaires) vers les pays pauvres (ou déficitaires). Malgré de nombreuses crises financières et des défauts, cette relation créditeur-débiteur fonctionnait globalement au bénéfice des deux parties. Les investisseurs des pays riches recevaient de meilleurs retours qu’à la maison et les pays pauvres parvenaient à réunir le financement nécessaire à leur développement. Il n’y avait pas de tendance déflationniste persistante.
Le système actuel est superficiellement similaire, mais avec une différence essentielle : le flux de l’épargne circule des pays en développement, comme la Chine, vers les pays riches, comme les Etats-Unis – ou plutôt des pays où le capital est rare vers les pays où il est abondant. La surabondance d’épargne résulte de cette relation perverse.
Contrairement à la Grande Bretagne du XIXème siècle, la Chine ne considère pas ses excédents comme un moteur d’investissement. Elle a accumulé des réserves depuis la fin des années 90 comme une forme d’assurance contre la fuite des capitaux. L’accumulation de réserves était aussi un effet secondaire de la sous évaluation délibérée de la monnaie chinoise pour encourager une stratégie de croissance portée par les exportations.
Le résultat est que la Chine et certains autres pays d’Asie possèdent des réserves importantes et croissantes de bons du Trésor américain. Par le biais d’intermédiations financières, ces obligations d’état ont permis de financer la consommation occidentale et d’alimenter la bulle spéculative qui a éclaté en 2008.
L’argent bon marché en Occident était la réponse Keynésienne « correcte » au flot d’épargne de l’est. Mais, dans la mesure où il y avait peu de débouchés pour de « réels » investissements dans ces pays qui avaient déjà à leur disposition tout le capital dont ils avaient besoin, l’argent bon marché a été un moyen dysfonctionnel de gérer le problème des excédents d’épargne.
La récession a renforcé ce modèle selon lequel les pays pauvres prêtent aux pays riches. Avec la vigueur de la reprise en Asie de l’est, et la stagnation en Occident, les déséquilibres globaux se sont accrus. Et, comme l’a récemment fait remarqué l’ancien Directeur de la Réserve Fédérale américaine Alan Greenspan, « les investissements fixes américains ont chuté bien en deçà des niveaux suggérés par l’histoire compte tenu de l’explosion de la rentabilité des entreprises. » En résumé, nous allons tout droit et tête baissée vers le prochain effondrement.
Il y a deux stratégies pour dénouer l’enchevêtrement des problèmes liés au déséquilibre entre compte courant et épargne-investissement. La première serait de réduire les incitations de la Chine à accumuler des réserves.
En avril 2009, le Gouverneur de la Banque Populaire de Chine, Zhou Xiaochuan, a proposé la création d’une « monnaie de réserve super-souveraine » afin de réduire les « risques inhérents » liés aux monnaies de réserve nationale basées sur le crédit. Cette nouvelle monnaie, qui serait issue à partir des Droits de Tirages Spéciaux (DTS) du Fond Monétaire International, remplacerait à terme l’intégralité des monnaies des réserves nationales.
Un « compte de substitution » domicilié au FMI permettrait aux pays de convertir leurs réserves existantes en DTS. Le principe étant qu’une assurance collective serait moins chère, et donc moins déflationniste, qu’une assurance individuelle. Une diminution de l’appétit de réserves de la Chine entrainerait une revalorisation de sa monnaie et donc une diminution de son excédent commercial.
La proposition de la Chine est restée dans les cartons. Et les Etats-Unis ont fortement augmenté les pressions sur la Chine pour qu’elle revalorise le renminbi. Le résultat est une guerre des mots qui pourrait facilement prendre une toute autre ampleur.
Les Etats-Unis accusent la Chine de sous évaluer sa monnaie tandis que la Chine reproche à l’Amérique la mollesse de sa politique monétaire qui entraine une inondation de dollars américains sur les marchés émergents. La Chambre des Représentants américaine a voté un projet de loi qui permettrait d’imposer des droits de douane sur les importations en provenance de pays qui, comme la Chine, manipulent leur monnaie à leur avantage commercial.
Dans le même temps, la dépréciation du dollar, par anticipation de facilités quantitatives supplémentaires, a convaincu les banques centrales des pays est-asiatiques d’intensifier leurs achats de dollars et d’imposer des contrôles sur les afflux de capitaux de manière à éviter une appréciation de leurs monnaies. Alors que les pays asiatiques s’efforcent de barrer la route aux capitaux, l’Occident adopte une tendance protectionniste.
Nous pouvons apprendre de l’expérience des années 30. Une marée montante soulève tous les bateaux ; une marée descendante déclenche une guerre Hobbesienne de chacun contre tous.
Cela nous ramène au retrait prématuré des mesures de relance. Compte tenu d’une demande agrégée déprimée en Europe et aux Etats-Unis, les gouvernements se tournent naturellement vers les marchés d’exportation pour soulager le chômage intérieur. Mais tous les pays ne peuvent pas entretenir simultanément des excédents commerciaux. Tenter d’y parvenir ne peut qu’entrainer une dépréciation concurrentielle de la monnaie et du protectionnisme.
Ainsi que le faisait remarquer Keynes avec sagesse : « Si les nations peuvent apprendre à s’assurer le plein emploi par leurs mesures de politique intérieure… il n’y aurait plus de motivation pressante pour qu’un pays impose ses marchandises à un autre ou qu’il refuse les offres de ses voisins. » Les échanges commerciaux entre pays « cesseraient d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire un expédiant désespéré pour maintenir l’emploi intérieur en forçant les ventes aux marchés étrangers et en restreignant les achats. » Cela deviendrait plutôt « un échange de biens et de services volontaire et sans entrave dans des conditions mutuellement avantageuses. »
En d’autres termes, l’agitation actuelle autour des monnaies et du commerce est la conséquence directe de notre échec à résoudre nos problèmes de chômage.
Robert Skidelsky, membre de la Chambre des Lords britannique, est professeur Emeritus en économie politique à l’Université Warwick, auteur d’une biographie primée de l’économiste John Maynard Keynes et membre du bureau de l’Ecole de Sciences Politiques de Moscou.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Par emile11111 le 20 Octobre 2010 à 09:28
La biodiversité doit devenir un des indicateurs de la richesse et du bien-être
Au côté de l'enjeu lié au dérèglement climatique, l'ampleur de la crise environnementale : l'épuisement des ressources et la dégradation du vivant... Les chiffres sont accablants. Au niveau mondial, on estime aujourd'hui que plus d'un tiers des espèces sont menacées d'extinction et que 60 % des services écosystémiques ont été dégradés ces cinquante dernières années. En Europe, plus de 40 % de la faune est aujourd'hui en danger et plus de 800 espèces végétales sont menacées d'extinction totale. 88 % des stocks de poissons commerciaux sont en surpêche - symbole alarmant : les océans, le lieu même où est née la vie sur cette planète, sont en train de mourir.
Mais les grands engagements solennels de la communauté internationale proclamés en 2002 à Johannesburg (Afrique du Sud) sont restés lettre morte. Les stratégies mondiale et européenne de lutte contre la perte de la biodiversité ont échoué. Par manque de coordination, par manque de courage, par manque de cohérence surtout.
C'est cette situation délicate dont héritent les représentants de 193 gouvernements qui se retrouveront à Nagoya (Japon), du 18 au 29 octobre prochain, pour la 10e conférence des parties à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, qui doit redéfinir les engagements propres à enrayer la perte de la biodiversité. Trois axes sont au programme : la mise en oeuvre d'un plan stratégique pour la biodiversité dès 2011 (avec deux échéances, 2020 et 2050), un protocole sur l'accès et le partage des bénéfices liés à la biodiversité et les ressources financières qui y seront consacrées.
Mais le premier défi pour la communauté internationale consistera à reconnaître que l'échec de ses précédentes stratégies est lié au double mythe fondateur de nos modèles de développement : celui de la gratuité de ressources naturelles inépuisables ; et cette croyance inébranlable que l'intelligence technologique humaine pourra toujours répondre aux improbables défaillances de la nature. Les effets de l'érosion de la biodiversité sont autant de signes précurseurs de la fin d'un modèle périmé. Agriculture, pêche, industries, transports, urbanisme, etc. : toutes nos politiques sectorielles et économiques doivent être repensées en dehors de ce double mythe.
Aujourd'hui, nous appelons la communauté internationale à s'engager pour assurer la préservation d'au moins 20 % d'aires naturelles au niveau mondial (contre 13 % des surfaces terrestres, 5 % des zones marines côtières et 0,5 % des zones en haute mer), pour interdire toute déforestation nette, pour abandonner les pratiques de pêche destructrices et la surpêche et pour mettre en oeuvre des plans de sauvegarde efficaces et une bioconditionnalité de toutes les aides publiques (mettre fin aux subventions d'activités néfastes à la biodiversité pour les réaffecter vers des activités durables).
Dans ces négociations, l'Union européenne (UE) a une responsabilité particulière. Elle devra notamment veiller à ce que le protocole sur l'accès aux ressources génétiques n'aboutisse pas à une reconnaissance internationale de la possibilité de breveter le vivant, par un système légalisant la " biopiraterie " et ouvrant la porte à la marchandisation de la biodiversité. Ce protocole devra surtout reconnaître l'interdépendance de tous les pays en termes de ressources génétiques. Il devra prendre en compte aussi l'importance des connaissances traditionnelles des populations indigènes et locales, et la nécessité de préserver la diversité des espèces végétales et animales pour l'alimentation, l'agriculture, la sécurité alimentaire mondiale et la santé.
L'écologie n'est pas un luxe pour nantis. Les inégalités environnementales accompagnent les inégalités sociales, en Europe comme dans le reste du monde. 70 % des populations pauvres de la planète vivent dans des zones rurales et dépendent directement d'un large éventail de ressources naturelles et de services éco-systémiques pour leur survie et leur bien-être. Longtemps associées à des taux relativement élevés de perte des habitats naturels et des espèces, les stratégies de développement et de réduction de la pauvreté doivent accorder une place centrale à la biodiversité dont sont tributaires les populations les plus pauvres du globe. La mise en oeuvre efficace de la Convention sur la biodiversité n'est pas seulement vitale pour le salut des espèces, elle l'est aussi pour la justice mondiale et la réduction de la pauvreté.
La biodiversité doit devenir un des indicateurs de la richesse réelle et du bien-être de nos sociétés. Il faut refuser d'appliquer au vivant les règles du marché, de la brevetabilité et de la monétarisation. De nouvelles règles et de nouvelles pratiques sont nécessaires si l'on veut garantir un avenir à court et moyen termes aux habitants de cette planète.
Enfin, pour marquer la volonté d'engager la transformation écologique nécessaire de l'économie et se donner les moyens d'agir, on attend notamment des Etats de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qu'ils s'engagent financièrement à affecter un minimum de 0,3 % de leur PIB à la préservation et restauration de notre patrimoine naturel mondial. La question du financement pour répondre aux enjeux de la perte de la biodiversité ne peut pas être abandonnée aux seuls investisseurs privés et aux banquiers. Certes, nous avons besoin de parler le langage des comptables pour que les financiers qui nous gouvernent comprennent la valeur du vivant - mais il n'y a pas de prix aux dimensions sociales, morales, culturelles et scientifiques de la variété du vivant.
C'est notre ligne rouge pour Nagoya. L'indispensable évaluation économique des services rendus par la nature ne doit pas conduire à une Banque mondiale de la nature et ouvrir à la spéculation sur le vivant dans un nouveau marché de la biodiversité. La destruction de la nature a un coût, mais la nature n'a pas de prix. Ce qui est gratuit n'est pas à vendre.
Face à l'érosion croissante de la biodiversité, de nombreux scientifiques estiment que la Terre se trouve à la veille de la sixième grande vague d'extinction de son histoire. On rappellera à Nagoya que, biodiversité et humanité, nos destins sont liés.
La responsabilité des 193 pays à Nagoya est lourde. Lourde de conséquences en termes de développement économique. Lourde de sens en termes de solidarité. Lourde d'espoir en termes de projet de société. Sous l'impulsion des écologistes, le Parlement européen engage l'UE à porter une position ambitieuse à Nagoya, à charge pour les gouvernements des pays européens de suivre cet exemple ; et à nous, responsables politiques, associatifs, citoyens, de nous mobiliser. Nous ne sommes pas seuls. Juste les premiers.
Sandrine Bélier et Eva Joly
Députées européennes Europe Ecologie,
respectivement membre et présidente de la commission environnement
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Par emile11111 le 20 Octobre 2010 à 09:24
Pascal Lamy Directeur généralde L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
Pascal Lamy : « Oui, les tensions monétaires actuelles m’inquiètent »
Si la querelle sur les taux de change « s’envenime », des comportements protectionnistes sont à craindre, affirme Pascal Lamy. A trois semaines du sommet du G20 de Séoul, « on a commencé à boucher ce trou béant de la gouvernance économique mondiale », observe-t-il, en mettant toutefois en garde contre un risque de réplique de la crise.
Craignez-vous, à l’instardu Brésil ou de l’Allemagne,une guerre commerciale ?
Je réserve le mot « guerre » à d’autres circonstances. Mais oui, les tensions monétaires actuelles comportent un risque de friction commerciale qui m’inquiète. Car on a tenu le front proprement depuis deux ans, alors qu’en 2008 rares étaient ceux qui affirmaient qu’il n’y aurait pas de vague protectionniste. Les pays n’ont pas sorti leurs cartes protectionnistes classiques, ce qui a protégé le front monétaire. En revanche, si l’attaque vient du front monétaire, cela fragilisera inévitablement le front commercial. Si la querelle sur les taux de change s’envenime, les pays qui n’ont pas d’outils monétaires ou de change à leur disposition risquent d’aller piocher dans les outils protectionnistes classiques de la politique commerciale. Les décisions de politique de change ou de politique monétaire qui ont une influence sur les taux de change doivent être prises en concertation avec le Fonds monétaire international (FMI) et le G20 compte tenu de leurs conséquences macroéconomiques.
Pourquoi l’OMC n’intervient-elle pas pour surveiller les tauxde change ?
L’OMC n’est que le gardien de but ultime, sur cette question. C’est d’abord, selon les textes, la responsabilité du FMI.
Le FMI a justement été mandaté pour analyser l’impact, surles économies, des tensions actuelles sur les changes !
Le FMI a dit que le yuan était sous-évalué, mais pas de combien. L’autre question, de savoir si le taux de change chinois a un impact durable sur les échanges, est extrêmement complexe. Chaque fois qu’un iPod est importé aux Etats-Unis, l’intégralité de la valeur déclarée en douane – soit 150 dollars – est imputée comme importation en provenance de Chine. Ce qui creuse un peu plus le déséquilibre commercial entre les deux pays. Or, à y regarder de près, sur ces 150 dollars, moins de 10 proviennent effectivement de Chine, le reste n’est que réexportation. Dans ces conditions, une réévaluation du yuan n’aura qu’un impact modeste sur le prix de vente du produit final et ne rétablira probablement pas la compétitivité des produits concurrents qui seraient fabriqués ailleurs. Mais elle peut contribuer à un meilleur réglage consommation/exportations en Chine.
Les chiffres du déficit commercial entre Chineet Etats-Unis sont-ils donc faux ?
Ces chiffres sont vrais du point de vue de la balance des paiements, car il faut bien que les Américains paient les iPod qu’ils importent de Chine. Cependant, une série d’estimations fondées sur le contenu domestique véritable conduit à réduire de moitié, voire plus, la taille du déficit commercial entre les deux pays. Quant à l’impact sur l’emploi, le bilan peut être surprenant : la fabrication d’iPod a représenté 41.000 emplois en 2006, dont 14.000 aux Etats-Unis – parmi lesquels 6.000 spécialistes hautement qualifiés, et donc mieux payés. Au total, les Etats-Unis ont perçu à ce titre 750 millions de dollars, alors que seuls 320 millions de dollars ont bénéficié aux travailleurs non-américains. Le déficit commercial américain donne donc une idée fausse sur la question essentielle, l’emploi. Ce qui change le regard sur la mondialisation, sur les conséquences politiques qu’on en tire et sur l’impression, dans l’opinion, que le monde entier est en train de nous envahir. Autre exemple, qui va dans le même sens : le déficit commercial entre les Etats-Unis et l’Asie (Chine, Japon, Corée) est remarquablement stable depuis 25 ans – de l’ordre de 2 à 3 % du PIB par an.
La coopération entre le FMIet l’OMC va-t-elle s’accroître ?
Entre les deux organisations, la coopération est bonne. Le problème, c’est de savoir s’il y a une cohérence entre ce que disent nos pays membres au FMI d’un côté et à l’OMC de l’autre.
A quoi bon s’évertuer à tenterde conclure un cycle de Doha moribond quand on voit ce que certains pays peuvent gagneren jouant sur les monnaies ?
D’abord, le cycle de Doha n’est pas moribond. Les négociations sur ledésarmement durent depuis trente- cinq ans, celles sur la pêche à la baleine, depuis vingt ans. C’est normal que celles du cycle de Doha prennent du temps, car les sujets sont lourds. Les négociations avancent trop lentement, mais elles avancent. Ensuite, les pays auxquels vous faites allusion ne gagneront ou ne perdront sur les monnaies qu’à court terme. Une monnaie, ça monte et ça descend, alors que les règles du commerce international sont conçues pour durer.
Redoutez-vous que ne sortede la crise une contestation forte de la mondialisation ?
Elle ne s’est pas manifestée davantage durant la crise qu’avant car, derrière la mondialisation, il y a avant tout le moteur technologique, sur lequel on ne reviendra pas. Les progrès de la technologie, notamment dans les communications et les transports, ont été très rapides ces dernières années, ce qui a rapetissé le monde. Il est improbable que le rythme du progrès technologique fléchisse. S’il y a un impact, ce sera sur l’industrie financière.
Quelles leçons tirez-vous du fonctionnement de l’économie mondiale depuis deux ans ?
On a commencé à boucher ce trou béant de la gouvernance économique mondiale – l’absence de règles internationales sérieuses pour discipliner l’industrie financière. Ce cap n’avait jamais été franchi précédemment. Les membres du G20 ont eu très envie de coopérer depuis 2008, sur un instrument qui n’était pas impopulaire – dépenser de l’argent public, comme l’a dit Dominique Strauss-Kahn (directeur général du FMI, NDLR) lundi à Shanghai. Les tensions sur les monnaies prouvent qu’ils ont moins envie de coopérer. Or, le coût de la non-coopération serait une rechute. Après le traumatisme qu’a provoqué la crise, on ne pourrait pas faire face de la même manière à une réplique parce qu’il n’y a plus d’argent dans les budgets et parce qu’il y aurait un problème de crédibilité. Or, le risque, en cas de réplique de la crise, serait moins de croissance et moins d’emploi partout.
Propos recueillis parMarie-Christine COrbier, Richard Hiaultet Dominique Seux
Pascal Lamy redoute une réplique de la crise alors qu’il n’y a plus d’argent dans les budgets.AFPafp
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