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Par emile11111 le 16 Octobre 2010 à 10:10
L’avenir du pouvoir
Joseph S. Nye
CAMBRIDGE – Il est peu probable qu’un gouvernement global voit le jour au XXIème siècle, même s’il existe déjà un certain degré de gouvernance globale. Le monde compte des centaines de traités, d’institutions et de régimes qui gèrent les relations inter-état dans les domaines des télécommunications, de l’aviation civile, des rejets dans les océans, du commerce et même de la prolifération des armes nucléaires.
Mais ces institutions sont rarement auto-suffisantes. Elles requièrent encore l’intervention des grandes puissances. Et il reste à démontrer que les grandes puissances de ce siècle seront à la hauteur de ce rôle.
Comment évoluera le comportement de la Chine et de l’Inde au fur et à mesure de leur montée en puissance ? Ironiquement, pour ceux qui prédisent un monde tripolaire centré sur les Etats-Unis, la Chine et l’Inde d’ici au milieu du siècle, ces trois états – les plus peuplés du monde – sont parmi les plus protecteurs de leur propre souveraineté.
Certains prétendent que nos actuelles institutions globales sont suffisamment ouvertes et adaptables pour que la Chine y trouve un intérêt à y devenir, dans les mots de Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale, un « partenaire responsable ». D’autres estiment que la Chine va vouloir imposer sa propre marque et créer son propre système institutionnel international à mesure que son pouvoir s’étoffera.
Les pays de l’Union Européenne ont plus facilement accepté d’expérimenter la restriction de leur souveraineté et pourraient encourager plus d’innovation institutionnelle. Mais il est peu probable que, à moins d’un désastre comme la deuxième guerre mondiale, le monde connaisse un « moment constitutionnel » comme celui vécu lors de la création du système d’institutions des Nations Unies après 1945.
Aujourd’hui, en tant qu’institution universelle, l’ONU joue un rôle crucial en matière de légitimité, de diplomatie de crise, de maintien de la paix et pour les missions humanitaires, mais sa taille même est un désavantage pour nombre d’autres fonctions. Comme l’a démontré le Sommet de Copenhague sur le changement climatique de 2009, les réunions de 192 états sont souvent stériles et sujettes aux actions de blocs et aux manigances tactiques par des acteurs improbables qui manquent par ailleurs de ressources pour résoudre des problèmes fonctionnels. Dans les mots de la Secrétaire d’état américaine Hillary Clinton, « L’ONU reste la seule institution globale importante … mais elle nous rappelle constamment ses limites… L’ONU n’a jamais été conçue pour relever tous les défis… et ce n’est pas non plus son rôle. »
En effet, le principal dilemme auquel la communauté internationale est confrontée est de savoir comment inclure tout le monde tout en gardant la capacité d’agir. La réponse repose certainement dans ce que les Européens ont appelé la « géométrie variable. » Il y aura de nombreux multilatéralismes et « mini-latéralismes », qui varieront en fonction des dossiers avec la redistribution des ressources de pouvoir.
Sur les questions monétaires, par exemple, la conférence de Bretton Woods avait créé un Fonds Monétaire International en 1944, qui regroupe aujourd’hui 186 pays. Mais la suprématie globale du dollar était la caractéristique essentielle de la coopération monétaire jusque dans les années 70. Après l’affaiblissement du dollar et la décision du président Richard Nixon de mettre fin à sa convertibilité à l’or, la France réunissait en 1975 les dirigeants de cinq pays dans la bibliothèque du Château de Rambouillet pour discuter des questions monétaires. Rapidement, le groupe a compté sept membres puis s’est élargi en nombre et en envergure – incluant la Russie et un vaste appareil médiatique et bureaucratique – pour devenir le G8.
Puis le G8 prit l’habitude de convier cinq économies émergeantes à sa table. Lors de la crise financière de 2008, ce cadre a évolué en G20 avec une participation plus inclusive.
Dans le même temps, le G7 a continué de se réunir avec un ordre du jour monétaire plus spécifique ; de nouvelles institutions, comme le Bureau pour la Stabilité Financière, ont été créé tandis que les discussions bilatérales entre les Etats-Unis et la Chine ont joué un rôle de plus en plus important. Comme le dit un diplomate averti, « Si vous essayez de négocier entre 20 pays un accord sur le taux de change ou un sauvetage du Mexique, comme aux premiers jours de l’ère Clinton, ce n’est pas facile. Si il y a plus de 10 acteurs en présence, cela devient beaucoup trop difficile d’obtenir des résultats. »
Il a raison, bien sûr. Car trois pays en présence impliquent trois relations bilatérales ; avec 10, nous en avons 45 ; et avec 100 acteurs, il y a presque 5 000 relations bilatérales. C’est pourquoi sur des sujets comme le changement climatique, l’ONU continuera de jouer son rôle mais des négociations plus poussées auront plutôt lieu en groupes plus petits comme dans le cadre du Major Economies Forum (Forum des économies les plus importantes, ndt), dans lequel moins d’une douzaine de pays représentent 80% des émissions de gaz à effet de serre.
La plus grande part du travail de gouvernance globale reposera sur des réseaux formels et informels. Des organisations en réseaux (comme le G20) sont utilisées pour établir des ordres du jour, parvenir à un consensus, coordonner les politiques, partager les connaissances et établir les normes. Selon Anne-Marie Slaughter, Directrice de la planification politique au Département d’état américain, « Le pouvoir qui découle de ce genre de connectivité n’est pas un pouvoir pour imposer des résultats. Les réseaux ne sont pas dirigés ni contrôlés autant qu’ils sont gérés et orchestrés. De multiples acteurs sont intégrés dans un tout qui est supérieur à la somme de leurs parties. »
En d’autres termes, le réseau confère le pouvoir de parvenir aux résultats escomptés avec d’autres acteurs plutôt que malgré eux.
Pour faire face aux défis transnationaux qui caractérisent l’ère de l’information globale, la communauté internationale devra continuer à développer une série de réseaux complémentaires et d’institutions qui supplémentent le cadre global des Nations Unies. Mais si les pays les plus importants sont divisés, il est peu probable que même les organisations en réseaux comme le G20 parviennent à établir des ordres du jour à partir desquels pourront travailler et agir les Nations Unies et les institutions financières de Bretton Woods.
Au lendemain de la crise financière de 2008, le G20 avait donné l’impression d’aider les gouvernements à coordonner leurs actions et à éviter un protectionnisme rampant. Le monde est impatient de voir l’attitude qu’il adoptera lorsqu’il se retrouvera à Séoul en novembre prochain.
Joseph S. Nye, Jr., ancien vice-secrétaire d’état américain à la défense, est professeur d’université à Harvard et auteur du livre à paraître The Future of Power (L’avenir du pouvoir, ndt).
Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
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Par emile11111 le 16 Octobre 2010 à 09:52
Ce qu'il faut exiger de Pékin
Transformer la Chine en importateur net serait bénéfique aussi bien pour sa propre population que pour le reste du monde
Il apparaît de plus en plus nécessaire de mener une guerre monétaire contre la Chine. Les avantages politiques et économiques à attendre d'une offensive contre la politique de taux de change de Pékin sont de plus en plus convaincants. L'idée est naturellement profondément dérangeante, mais j'ai cessé de penser qu'il puisse y avoir une alternative.
Nous devons nous poser quatre questions. La Chine manipule-t-elle sa monnaie ? Si oui, est-ce important ? Que peut-on raisonnablement demander à la Chine ? Enfin, les autres pays peuvent-ils, sans subir de trop gros dommages collatéraux, infléchir la politique de Pékin ?
La première question est la plus facile. Si la décision d'investir la moitié du PIB d'un pays dans des réserves de devises n'est pas une manipulation monétaire, alors qu'est-ce qui l'est ? De surcroît, en supprimant les effets monétaires d'une telle politique, le gouvernement chinois entrave également le mécanisme d'ajustement habituel dans un régime à taux fixe, comme l'expliquait déjà le philosophe écossais David Hume au XVIIIe siècle.
Deuxième question : cela est-il important ? En vérité, il s'agit d'une politique protectionniste. En maintenant son taux de change à un niveau faible, la Chine subventionne la production de ses exportations et de ses substituts d'importation. Du fait que la Chine est à présent le plus gros exportateur de la planète, cela se traduit par une distorsion significative du commerce mondial.
L'excédent des comptes courants chinois est loin d'être l'unique explication du déficit américain des comptes courants. Mais il est également vrai que la politique monétaire chinoise influence fortement celle d'autres pays ; que les pays à hauts revenus importateurs de capitaux sont incapables de faire un usage productif de l'excédent d'épargne des pays émergents ; et que le flux net de fonds des pays pauvres vers les pays riches est parfaitement pervers.
De plus, si les pays à hauts revenus tels que les Etats-Unis veulent parvenir à une plus grande prudence des ménages et renforcer leur discipline budgétaire, ils doivent soit bénéficier d'un vigoureux boom de l'investissement, soit aller vers un excédent des comptes courants. Mais ils ont probablement besoin des deux.
Or la Chine pourrait, à raison de 300 milliards de dollars par an, faire évoluer son excédent des comptes courants vers le déficit.
Ce qui nous amène à la troisième question : que peut-on raisonnablement demander à la Chine ? Un ajustement du taux de change nominal n'est une condition ni nécessaire ni suffisante pour rééquilibrer l'économie mondiale : pas nécessaire, car une hausse de l'inflation pourrait provoquer des changements dans les prix relatifs ; insuffisante, parce qu'elle nécessiterait quand même une augmentation de la dépense intérieure chinoise par rapport à la production. Dans le meilleur des cas, un ajustement du taux nominal de change ne peut être qu'un élément facilitant la mise en place d'une palette plus large d'ajustements souhaitables.
Ainsi, parmi les options possibles, les autorités chinoises pourraient freiner leur intervention, mettre un terme à la suppression de ses effets monétaires et fixer des objectifs à la demande intérieure réelle, à la consommation des ménages et au compte courant. Simultanément, la Chine devrait exiger des initiatives complémentaires ailleurs, notamment aux Etats-Unis.
Dans d'éventuelles discussions en ce sens, il faudra veiller à apaiser les inquiétudes de Pékin, qui redoute qu'une appréciation significative du taux de change non seulement porte tort à l'industrie des exportations, mais risque aussi d'entraîner la Chine dans une " décennie perdue ", similaire à celle qu'a connue le Japon dans les années 1990.
Mais, comme le souligne Gabriel Stein, de Lombard Street Research, dans un article publié en juin, les situations des deux pays sont très différentes : la Chine possède un potentiel de croissance beaucoup plus important que le Japon de la fin des années 1980, car le PIB nippon par tête était d'ores et déjà (à parité de pouvoir d'achat) proche de celui des Etats-Unis, tandis que celui de la Chine actuelle n'en représente que moins d'un cinquième. Surtout, le potentiel de hausse de la consommation chinoise est énorme. Cela nécessitera des changements structurels dans l'économie. Mais ceux-ci seraient largement dans l'intérêt du peuple chinois.
Dernière question : comment faire pour convaincre ou contraindre Pékin à changer de politique ? La négociation reste un espoir. Les autres membres du G 20 devraient s'unir pour appeler à ce changement. Mais si les négociations continuent à ne rien donner, il faudra envisager d'autres solutions.
Une des possibilités serait de surtaxer les importations. Fred Bergsten, du Peterson Institute, à Washington, a tout récemment appelé à une intervention monétaire équivalente, et Daniel Gros, du Centre for European Policy Studies, à Bruxelles, recommande la réciprocité des mouvements de capitaux : les pays concernés pourraient empêcher l'achat de leurs instruments financiers par d'autres pays, à moins que ces derniers reménagent un accès réciproque à leurs propres marchés financiers. Cette idée rendrait d'ailleurs plus efficace le projet Bergsten.
Je trouve les propositions d'intervention sur les marchés financiers beaucoup plus séduisantes que celles prévoyant des mesures contre les échanges, comme l'a proposé récemment la Chambre des représentants à Washington.
En premier lieu, des mesures contre les échanges seraient forcément discriminatoires : il n'y a aucune raison de s'en prendre à la totalité des importations dans le seul but d'infléchir le comportement de la Chine. En outre, elles constitueraient presque à coup sûr une violation des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Une guerre commerciale pourrait être très dangereuse. Insister en revanche pour que la Chine cesse d'acquérir les dettes d'autres pays tant qu'elle exerce un contrôle étroit sur les apports de capitaux serait une réponse plus directe et plus proportionnée. Elle contribuerait surtout à faire progresser le monde vers l'ouverture des marchés.
Certains redoutent qu'une cessation des achats par la Chine des obligations gouvernementales américaines reconduise à un effondrement. Rien n'est moins probable, étant donné les gigantesques excédents financiers des secteurs privés mondiaux et le rôle que continue à jouer le dollar. Et si cela affaiblissait le dollar, ce serait d'ailleurs un avantage, et non un inconvénient.
L'économie mondiale post-crise ne fonctionnera pas tant que l'économie nationale la plus dynamique restera le plus gros exportateur mondial de capitaux. De plus, la Chine s'est considérablement surprotégée. Adopter une série de mesures qui transformeraient la Chine en un importateur net serait bénéfique aussi bien pour sa propre population que pour le reste du monde. Il est grand temps de dépasser le stade de la seule rhétorique. Il est urgent d'agir.
Par Martin Wolf
Cette chronique de Martin Wolf,
éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le " Financial Times ". © FT.
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Par emile11111 le 16 Octobre 2010 à 09:44
Crise et démocratie, le paradoxe européen
L'Europe s'abîme décidément dans la doctrine et ne peut plus, pour cette raison, tenir son rang. Elle creuse en sa défaveur l'écart avec le reste du monde, sans percevoir que, ce faisant, elle perd sa raison d'être pour ses populations tandis qu'elle devient pour les autres pays celle qui retarde la sortie de crise. L'Europe accuse ici une double défaite, interne et externe, qui marque un double manquement à son projet fondateur.
A la question " 8peut-on faire confiance au marché ? ", l'Europe " politique " répond " 8peut-on faire confiance aux gouvernements ? " et s'évertue à inventer des règles pour limiter l'emprise des seconds. Il n'est question dans les cercles européens que de surveillance, de contrôle et de sanctions. Et de nouvelles surveillances assorties de nouvelles sanctions. La crise semble venue à point nommé pour sauver un pacte de stabilité décrié, convainquant les plus rétifs de son utilité. Pourtant les dysfonctionnements de marchés ont plus souvent qu'à leur tour conduit les sociétés au bord de l'abîme, alors que les errements des gouvernements (démocratiques) n'ont qu'exceptionnellement interrompu le progrès des sociétés.
C'est la crise financière, dont on sait qu'elle doit beaucoup à une cupidité encouragée par un nouvel ordre intellectuel, qui a enfanté la " Grande Récession ". Les problèmes budgétaires de l'Europe doivent peu à l'action discrétionnaire des gouvernements et beaucoup aux conséquences mécaniques sur les finances publiques de l'appauvrissement des sociétés. Certes il y eut l'enfant prodigue et dissimulateur (la Grèce), mais son comportement a radicalement changé, et c'est peu de dire qu'il fut des plus froidement accueilli à son retour au bercail européen. D'autres pays n'ont pas fait tant d'histoires à leur propre enfant prodigue, pourtant beaucoup plus âgé, en termes de PIB s'entend (la Californie). Alors, sont-ce les marchés ou le politique qui ont pu jusqu'ici éviter le naufrage, et qui peuvent nous rassurer sur l'avenir ?
Au nom de quelle vertu, nombre d'économistes et une majorité croissante de nos élites reprochent-ils aux gouvernements d'en avoir trop fait pour éviter aux sociétés dont ils avaient la charge de sombrer dans la dépression ? Est-ce la leçon que l'on peut vraiment tirer de la crise ? Tout se passe comme si chacun voulait vite revenir aux anciens repères - le déficit public, la défiance vis-à-vis de l'action publique - pour oublier l'inconfort de l'effondrement du schéma intellectuel auquel il avait adhéré. Nulle part davantage qu'en Europe ce rappel à l'ordre n'est aussi radical.
Les événements extrêmes nous en apprennent beaucoup sur nous-mêmes si l'on veut bien les déchiffrer. Pour peu que l'on abandonne une vision eurocentrique, on voit bien qu'ailleurs dans le monde industrialisé le ciel budgétaire est encore plus obscur : dettes et déficits sont partout plus élevés que dans l'UE.
Mais surtout, le tintamarre fait en Europe autour des questions budgétaires contraste de façon saisissante avec le silence fait autour d'une révolution dans l'ordre du politique qui désormais détermine notre destin commun. S'il fallait une preuve de l'efficacité du politique, de sa capacité à maîtriser les dysfonctionnements des marchés, la politique monétaire nous la fournit. Cela ne doit rien au hasard.
Une institution fédérale en charge de l'instrument le plus puissant de la politique économique est nécessairement politique, au sens noble du terme. Elle ne peut s'exonérer de ses responsabilités en se réfugiant derrière les manuels de bonne gestion monétaire ou en prétextant des contraintes que les traités lui imposent. Elle a la capacité de décider, d'agir et de réagir en temps réel, précisément parce qu'elle est fédérale. Sa responsabilité en temps de crise est donc lourde et elle ne peut que l'assumer pleinement, surtout lorsque les autres rouages de la " gouvernance européenne " apparaissent paralysés. Aucune contrainte d'unanimité ne s'impose à elle et ses décisions peuvent aller à l'encontre de celles que souhaiterait son membre le plus puissant, le gouverneur de la Bundesbank pour ne pas le nommer.
Voilà pourquoi, la politique monétaire fut, est, et continuera d'être " non conventionnelle ", alors même que la politique budgétaire redouble de stricte obédience doctrinale. Un grand écart, entre des décisions prises au nom de l'intérêt général européen, et des décisions destinées à sanctionner les mauvais élèves de la classe, quoi qu'il en coûte à l'intérêt général, prises au terme d'innombrables palabres.
Les événements imprévus jettent une lumière crue sur l'efficacité des processus de décision, soulignant ici leur efficacité et là leur paralysie. La Banque centrale européenne, assumant pleinement ses responsabilités politiques au nom du fédéralisme européen, a cherché à préserver le bien commun européen, faisant fi de ses divergences doctrinales. Le Conseil européen, où chacun est invité à surenchérir de sa vertu, est en passe de le dilapider. Les programmes d'austérité qu'il impose à contretemps ne donnent pas de l'Europe un visage avenant, et mettent en danger non seulement la croissance - c'est-à-dire l'emploi - mais ce qui reste de la cohésion européenne.
Jean-Paul Fitoussi
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Par emile11111 le 16 Octobre 2010 à 09:22Les économistes éthérés sont aveuglesUne réponse au manifeste «Crise et dette en Europe: 10 fausses évidences, 22 mesures en débat pour sortir de l’impasse».
- Bourse de Sydney. REUTERS/Daniel Munoz -Des économistes qui se situent dans le spectre de la gauche viennent de publier un Manifeste «Crise et dette en Europe: 10 fausses évidences, 22 mesures en débat pour sortir de l’impasse». C’est un document étoffé qui a deux cibles, les marchés financiers et l’Europe, rendus responsables de l’enlisement dans la crise. Les marchés financiers continuent à faire la loi et obligent les autres acteurs économiques, privés ou publics, à passer sous les fourches Caudines des normes de rentabilité financière; la théorie, en fait l’idéologie néolibérale dont la crise a montré son inanité, règne plus que jamais, au moins dans la tête des dirigeants économiques ou politiques; l’Europe, par ses règles libérales, notamment en matière de finances publiques, est au bord de la déflation.
Ce diagnostic alarmant, on peut très largement le partager sur beaucoup de points et en même temps il y a quelque chose qui gêne. A trop vouloir démontrer la nocivité de la finance, l’inanité du néolibéralisme, la politique inadéquate des Européens, on en vient à occulter les questions économiques auxquelles nous sommes confrontés. Les déficits publics ne sont pas un problème, la faiblesse de la croissance n’est due qu’au refus de la relance, les mesures proposées s’apparentent plus à un catalogue de «y’a qu’à» plus faciles à dire qu’à faire. Après deux ans de crise financière qui nous a mis au bord du gouffre, on peut être à juste titre inquiet des réformes qui piétinent, des financiers qui, l’orage une fois passé, redressent la tête, des politiques conduites en Europe et notamment en France complètement à côté de la plaque pour relever les défis qui nous attendent ; un appel est plus que justifié, nécessaire, on peut regretter cependant que l’excès, pour ne pas dire le caractère outrancier, en limite la portée et lui fasse perdre de sa crédibilité.
Première cible de la critique rageuse, les marchés financiers. Nos mousquetaires dénoncent l’idée selon laquelle les marchés financiers seraient efficients (fausse évidence 1). Les marchés financiers n’ont pas de principe autorégulateur, la formation périodique de «bulles» spéculatives est intrinsèque aux mécanismes de la spéculation financière. Cette critique des marchés financiers est aujourd’hui largement répandue et soutenue par dés économistes de renom. Mais cela rend-il pour autant secondaire que les marchés déréglementés ont aussi permis le développement de la cupidité (Stieglitz: le triomphe de la cupidité), le recours à des techniques et des produits financiers non seulement dangereux parce qu’incontrôlables, mais aussi parce qu’ouvrant un large champ à l’avidité, la malhonnêteté, à l’irresponsabilité de certains acteurs.
Ce constat n’enlève rien à la pertinence de la critique théorique, contrairement à ce que pensent les auteurs. Il invite à une réforme des marchés financiers et la question est moins de faire preuve de radicalisme (par ex.les auteurs proposent de contrôles sur les mouvements de capitaux et de taxes sur les transactions financières pour réduire la spéculation –mesure n°2 – serpent de mer qui, même si on l’évoque à certaines occasions dans les instances internationales, n’a aucune chance de voir le jour et dont on peut douter de l’efficacité d’une taxe infinitésimale pour enrayer la spéculation lorsque celle-ci s’enclenche) que de mettre en œuvre des éléments de réglementation (cloisonnement des marchés, séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires), d’encadrement des activités (interdiction aux banques de spéculer pour leur propre compte, interdiction de certaines ventes à découvert, par ex.) et de règles prudentielles (capitalisation des banques) et de leur application effective par des autorités des marchés financiers disposant des moyens effectifs de contrôle et de sanctions.
Les économistes et les experts des questions financières devraient aujourd’hui plus éclairer l’opinion pour savoir si les réformes amorcées aux Etats-Unis et en Europe sont pertinentes, suffisantes, mises en œuvre dans des délais raisonnables ou repoussées aux calendres grecques. On a le sentiment qu’elles ont introduites à touts petits pas et à en croire nombre d’observateurs, la finance a relevé la tête, fait un lobbying efficace au près des autorités et nombre d’opérateurs financiers ont retrouvé leur tranquille assurance, pour ne pas dire leur morgue et sont repartis de plus belle. Là, n’y a-t-il pas réellement urgence à tirer la sonnette d’alarme?
Parfois nos auteurs enfoncent les portes ouvertes, ainsi quand ils s’attaquent à la fausse évidence n°2 selon laquelle les marchés financiers favoriseraient la croissance économique. En fait, ils dénoncent la ponction exercée par les actionnaires sur les entreprises. Problème important qui mériterait plus que les deux paragraphes consacrés à cette question et qui ont été l’objet de travaux d’économistes de renom (Michel Aglietta par exemple). Quelques remarques surprenantes comme l’affirmation que «l’idée d’un intérêt commun aux différentes parties prenantes de l’entreprise a disparu».
Où nos auteurs ont-ils vu que cette idée, par ailleurs révolutionnaire parce qu’elle change radicalement la conception de l’entreprise, aurait été constitutive jusqu’à présent du fonctionnement des entreprises? Veulent-ils nous faire croire à un âge d’or de l’entreprise qui aurait disparu avec la place prise par les marchés boursiers dans la marche des entreprises? Cela ne remplace pas une histoire et une analyse des transformations de l’entreprise qui reste à faire.
La question du cheminement d’une réforme de l’entreprise prenant en compte les intérêts des différentes parties prenantes reste d’actualité et me semble liée à tout ce qui conforte les démarches de RSE (responsabilité sociale, sociétale et environnementale des entreprises). Trop rapide aussi, l’idée que ce sont les exigences exorbitantes des actionnaires qui brident l’investissement. La question de l’investissement productif est au cœur du problème de la croissance et mérite un débat et des propositions sérieuses pour rehausser le taux d’investissement, le problème n’étant pas par ailleurs que quantitatif.
L’imposition des très hauts revenus (mesure n°6) des actionnaires répond elle à la question ou bien cela ne relève-t-il pas de la fiscalité des entreprises (taxation différente des profits conservés et des dividendes)? Quels peuvent être aujourd’hui les leviers pour orienter les politiques d’investissement des entreprises (mesure n°7) ?
Que les agences de notation (fausse évidence n°3) soient dans le collimateur de la dénonciation, rien de plus normal. Elles s’exonèrent de leur défaillance qui a précédé la crise et maintenant elles notent avec la plus extrême sévérité les Etats. Il y a de quoi être en colère! Là encore on peut regretter que les mesures de réforme se fassent attendre et que les notateurs ne soient pas eux-mêmes surveillés et contrôlés par les autorités de marchés. Mais quelques soient les critiques sérieuses que l’on peut faire aux agences, cela répond-il à la question de savoir si les Etats qui ont recours aux marchés financiers pour financer leurs dettes peuvent échapper, à un moment ou à un autre, à une appréciation par les opérateurs et les investisseurs ? (J’ai même le sentiment que jusqu’à présent d’ailleurs les investisseurs n’ont pas été trop regardants sur la qualité de la dette de tel ou tel Etat, tout simplement parce que l’idée qu’un Etat puisse être défaillant ne les effleuraient pas).
Peut-on reprocher aux investisseurs dont on recherche à ce qu’ils achètent des titres de la dette publique de vouloir s’assurer de la qualité de leur débiteur et de réclamer éventuellement une prime de risque? Peut-on évacuer le problème en garantissant le rachat des titres publics par la BCE (mesure n°8bis) ou en autorisant la BCE à financer directement les Etats à bas taux d’intérêts (mesure n°14)? Dans quelles limites? Décidées par qui? Il suffit de poser déjà ces deux questions pour voir tous les problèmes institutionnels que ces propositions soulèvent. De plus cela s’appelle monétiser la dette publique, autrement la financer par la planche à billets, c'est-à-dire l’inflation. Est-ce aujourd’hui possible? Souhaitable? Questions redoutables et que l’on ne peut écarter d’un revers de main.
Fausse évidence n°4 : l’envolée des dettes publiques résulte d’un excès de dépenses. Les auteurs affirment que les dettes se sont envolées avec la récession provoquée par la crise financière et que c’est dû à la baisse des impôts et non pas à la croissance des dépenses. Pour ce qui est de la France, si effectivement la récession a accru les déficits de façon considérable, on ne peut tirer un trait sur la montée continue sur des décennies du ratio de la dette publique (par rapport au PIB) dû au fait que les gouvernements successifs n’ont pas su (ou pu) faire que la dette augmente moins vite que le PIB et évidemment encore retrouver un équilibre des comptes publics (et sociaux).
Que la crise exacerbe la question, c’est évident, mais elle était là de façon latente. Y a-t-il, oui ou non, un problème d’endettement, faux problème ou vraie question? Peut-on le laisser filer? Jusqu’où? Faut-il le réduire et si oui, comment? La contrainte des marchés a pour l’instant très peu joué et on ne peut pas dire qu’ils ont été bien exigeants jusqu’à présent, mais ils pourraient le devenir, la crainte du risque pouvant jouer un rôle accélérateur et amplificateur. Les marchés ne doivent pas cacher la question. Les déficits sont-ils dus à la baisse de prélèvements? À l’augmentation des dépenses? Aux deux ! a-t-on envie de répondre.
Au-delà d’une appréciation conjoncturelle et de court terme (qui peut avoir son importance), quelles sont les marges de manœuvre? Pour les dépenses comme pour les recettes quand les dépenses avoisinent 52% du PIB et les recettes 43%. On ne peu guère diminuer les premières ni augmenter les secondes, la marge se situant entre 1 ou 2 points de PIB, ce qui, sans être négligeable, ne répond pas à l’ampleur du problème. On est renvoyé à deux débats de fond (plus un troisième sur lequel on va revenir) : quelle réforme de la fiscalité (qui concilie justice sociale, rendement et efficacité économique)? Faut-il redéployer les dépenses publiques, faut-il faire des économies et où? Quelles dépenses prioritaires? Ces remarques ne réduisent en rien la critique de la tournure inégalitaire qu’a prise la fiscalité, mais une réforme qui réduirait les inégalités et redonnerait plus de progressivité à la fiscalité, pour aussi indispensable soit elle politiquement et socialement, ne constituerait qu’une réponse à la marge à la question macroéconomique.
Reste la troisième possibilité, aujourd’hui controversée (voir les signataires du manifeste qui ont indiqué leurs réserves sur ce point), le retour de la croissance. Retrouver une croissance soutenue (3, 4, 5%?) serait la solution miracle. Mais suffit-il de faire de la relance, certainement pas et le débat sur la nature de la croissance et comment y parvenir commence à peine. La dénonciation d’une politique européenne qui plonge l’Europe dans la dépression, pour nécessaire qu’elle soit, ne saurait escamoter le débat.
J’en arrive ainsi aux derniers aspects, mais pas les moins importants, du manifeste. La critique en ligne de l’Union Européenne et de la politique qui y est menée Fausse évidence n°8, l’UE défend le modèle social européen. Fausse évidence n°9, l’Euro est un bouclier contre la crise. Fausse évidence n°10, la crise grecque a permis d’avancer vers un gouvernement économique. C’est moins la critique de ces «fausses évidences» qui pose problème que le fait de pousser au point de déformer à l’excès une réalité plus complexe. Modèle social européen ou modèles nationaux qui résistent ou s’adaptent plus ou moins bien à la mutation des temps, en fonction d’abord des politiques nationales qui se mènent en Europe et qui ont plus d’autonomie que ce que les auteurs prétendent.
Que, par ailleurs, l’UE soit le siège de contradictions entre politique de la concurrence et les politiques sociales, c’est sûr; le bilan est-il aussi unilatéral que l’affirment les auteurs, on peut en discuter. Le tableau me semble plus contrasté, fait d’avancées et de reculs. Peut-on ainsi soutenir que l’Union est-elle le cheval de Troie du néolibéralisme? A quoi cela sert-il? Deux mesures sont proposées: remplacer la politique de la concurrence par «l’harmonisation dans le progrès» au sein de l’Union. Remettre en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises entre l’Union et le reste du monde. Qui pourrait être contre la première?
Reste à savoir comment on fait dans l’état actuel de la gouvernance de l’Union. Quant à la seconde, véritable serpent de mer d’un protectionnisme européen, là encore, plus facile à dire qu’à faire et il serait intéressant, à supposer que les pays de l’Union se mettent d’accord, de faire une simulation de ce que donnerait cette stratégie en termes d’avantages et de coûts, en tenant compte des réactions possibles (et certaines) des autres pays du monde.
Fausse évidence n°9, l’euro a été un bouclier contre la crise. Les auteurs pensent même que cela a été le contraire et que l’Europe du fait même des modalités de sa construction a été plus sévèrement touchée. Parce la politique de relance y a été plus timorée qu’ailleurs, à cause aussi de l’absence de coordination et d’un vrai budget européen. Ces remarques pour ne pas être fausses épuisent-elles la question de la faiblesse de la croissance en Europe ou celle des divergences entre pays européens ? Si on peut reprocher à l’Allemagne une stratégie peu coopérative, peut-on pour autant l’accuser de dumping social?
Peut-on passer sous silence les conséquences plus que probables si l’euro n’avait pas existé ou si, à plus forte raison il avait été emporté par la tourmente? Pas besoin d’être grand clerc pour imaginer les crises de change, les spéculations déchaînées, les dévaluations compétitives, les crises de confiance dans les dettes publiques. C’est une catastrophe d’une tout autre ampleur que nous aurions connue. Pour compléter le tableau, nos auteurs pronostiquent un scénario noir dû à la «"stratégie du choc" qui tente les élites financières et les technocraties européennes qui veulent de la crise pour radicaliser l’agenda néolibéral».
Mais cette politique a peu de chances de succès du fait de son inadéquation économique et de la résistance prévisible des pays européens. Pour terminer deux mesures: la mise en place d’une fiscalité européenne et d’un vrai budget européen (rappelons qu’aujourd’hui, c’est 1% du PIB européen, on peut effectivement faire beaucoup mieux, mais pourquoi n’y arrive-t-on pas?) et lancer un vaste plan européen financé par un emprunt auprès du public pour engager la conversion écologique de l’économie européenne. Qui peut être en désaccord? Reste plus qu’à faire.
Dernière remarque: dans ce long texte d’une vingtaine de pages, pas une sur l’analyse de la mondialisation, sur la montée des pays émergents, les conséquences pour l’Europe et comment cela peut peser sur la situation européenne et comment on peut y répondre. C’est pour le moins étonnant et difficilement compréhensible. La seule question qui préoccupe les auteurs, c’est le néolibéralisme. Voilà la source de tous nos maux.
En conclusion, les économistes atterrés proposent de «refonder» l’Union européenne. Puisqu’il n’est pas réaliste d’imaginer que les 27 pays se mettent d’accord pour opérer une rupture dans les objectifs et la méthode de l’Union Européenne, démarrons avec les quelques pays qui sont désireux d’explorer des voies alternatives. Puis, au fur et à mesure des conflits politiques et des luttes sociales, d’autres pays rejoindront ceux qui auront déjà commencé. Que voilà une belle histoire! Comme on peut y croire! Au fond, puisque l’Union européenne n’a pas donné les résultats attendus, défaisons la construction et recommençons le mécano. Reste plus qu’à s’y mettre !
Comment des économistes patentés, ayant pignon sur rue, peuvent-ils tenir des propos pareils? Pensent-ils ainsi faire sérieusement avancer le schmilblick? Pensent-ils faire progresser le débat pas seulement pour un monde meilleur, pas seulement pour des transformations souhaitables, mais aussi pour des réformes et des changements possibles? On peut en douter. Le débat (que tout le monde réclame) est pipé car on préfère y substituer la recherche des responsables, des coupables et des boucs émissaires plutôt que de se coltiner des questions complexes, difficiles parce que les réponses ne sont pas évidentes et qu’elles mettent aussi à nu les intérêts, les avantages, les corporatismes, les comportements de tout le corps social et que les compromis à construire comme les arbitrages à rendre supposent beaucoup de détermination.
On ne peut s’empêcher de penser que ce manifeste est une occasion manquée. C’est dommage car sur toutes ces questions, on a réellement besoin de débats et d’un travail pédagogique de fond face à la montée du populisme de tout bord en Europe et aussi en France.
Jacques Bass
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Par emile11111 le 16 Octobre 2010 à 09:12La jeunesse au centre du rapport AttaliRetrouvez l'intégralité du rapport, commenté par l'un des membres de la commission Attali.
Le 14 octobre 2010 à Paris. REUTERS/Charles Platiau -«Pour nos enfants»: tel est le titre que cet automne nous voulions donner au rapport Attali 2 sur «la libération de la croissance française». Finalement, le titre est plus conventionnel: «Une ambition pour dix ans», né de la volonté de tracer une perspective d’action qui enjambe 2012 et qui s’adresse à tous les partis politiques. Mais avec les manifestations des lycéens et étudiants, le titre d’origine eût été d’actualité: la France souffre principalement d’une angoisse sur son devenir, angoisse qui se cristallise chez les jeunes.
Créée en 2007, comprenant une quarantaine de membres dont l’auteur de ces lignes, la Commission a remis un second rapport au président de la République vendredi 15 octobre. Alors que la première version avait listé 316 propositions pour relever le potentiel de croissance, le deuxième texte trace deux urgences, le désendettement et l’emploi, et ouvre deux chantiers de long terme, l’éducation et l’environnement.
De risques lourds si rien n'est fait
Ces recommandations volontairement limitées en nombre viennent du bilan alarmant que nous tirons de l’état du pays. La crise a dramatisé les problèmes essentiels: des insuffisances en matières de croissance, d’emploi et d’éducation, une compétitivité faible, une montée sans précédent de l’endettement et un manque de confiance de la communauté dans son destin. Le débat sur les retraites en témoigne.
Si rien n’est fait pour corriger la trajectoire, la dette dépassera les 100% du PIB, et le potentiel de croissance descendra à 1,2% (contre 1,9% avant crise), faisant peser des risques lourds sur le pouvoir d’achat, sur la cohésion sociale et sur la souveraineté de la France.
Une France qui a pourtant des atouts nombreux, une démographie croissante, des savoir-faire, des champions mondiaux, des chercheurs de bon niveau. Retrouver une manière de mobiliser positivement le pays dans une ambition partagée: tel est l’impératif.
Comment? Trois «convictions» d’abord: transformer le pays dans la durée (d’où les dix ans), engager des réformes cohérentes entre elles et, toujours, avoir à l’esprit de «se mettre au service des enfants». La ligne politique est ici claire, à l’inverse d’aujourd’hui (commentaire personnel).
Trois «principes d’équité» ensuite. Chacun doit participer au redressement des déficits, les plus fragiles doivent être accompagnés et la France doit mettre en place un système d’évaluation de ses décisions politiques, alors qu’aujourd’hui les nouvelles s’accumulent sur les anciennes dans la méconnaissance totale de leurs effets (commentaire qui n’est pas personnel).
Le «rabotage» ne suffira pas
Revenir à une croissance de 2,5% l’an (contre un espoir de plus de 3% dans le premier rapport) passe par une lutte acharnée contre la dette: il faut ramener le déficit sous les 3% du PIB en 2013 et viser l’équilibre en 2016. Les économies à faire sont de 75 milliards d’euros sur trois ans dont 25 sur les niches fiscales et 50 sur des réductions de dépenses. Cet objectif est tenable si la croissance est en moyenne de 2% l’an sur la période. Sinon, si elle est plus faible, alors trop de rigueur menacerait la reprise, il faudra différer en concertation avec Bruxelles. Mises sous conditions des allocations familiales, TVA sociale, gel de prestations: ces fortes mesures budgétaires, parmi d’autres, vont susciter des polémiques. Mais la Commission répond en soulignant la gravité de la dégradation des finances publiques.
Surtout, le rapport essaie d’aller au-delà avec l’engagement d’une transformation «en profondeur des administrations et des politiques publiques». Le «rabotage» ne suffira pas, il faut réinventer l’Etat social de la fiscalité juste à la santé efficace.
La compétitivité et l’emploi, deux autres déficits français, devront être promus par une surveillance du coût du travail, le basculement des charges sur la consommation et la mise en place d’un «contrat d’évolution» pour chaque salarié, la flexisécurité à la française, couplée avec la mise en place d’incitation pour les entreprises à créer des emplois stables par l’introduction de «droits progressifs» au fil du temps. Cette mesure provoquera aussi sûrement des polémiques.
Le rapport engage ensuite une refonte du système éducatif, dont les performance sont en baisse, avec l’autonomie des écoles et un investissement dans la prime enfance, c’est là que tout se joue.
Comment faire admettre ces changements? Comment faire passer les réformes? C’est la question la plus difficile en France. La réponse est, si l’on peut dire, dans la rue, avec les jeunes: toutes les décisions prises, douloureuses, doivent être faites «pour les enfants». L’économie française ne redémarrera que si la jeunesse redécouvre le goût de l’avenir, de l’innovation et du risque.
Eric Le Boucher
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