• La révolte des Twitter en Chine

    Hu Yong

     

     

    PEKIN – La semaine dernière, Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel de la Paix 2010 pour son combat non-violent de longue date en faveur des droits humains fondamentaux en Chine. Ce prix arrive à un moment crucial dans la vie politique chinoise puisqu’il pourrait devenir une étape essentielle dans la longue marche de la Chine vers plus de liberté.

    Pourtant ce prix Nobel de la Paix a assez peu été commenté dans la presse continentale chinoise. Le département de la propagande du gouvernement a ordonné aux principaux média de ne pas répandre la nouvelle auprès du grand public en leur imposant une censure stricte. D’ailleurs, le très populaire journal national de 19 heures de CCTV n’a fait aucune mention de Liu le jour où le prix lui a été attribué.

    Malgré ce silence médiatique, la blogosphère et la microsphère chinoises ont explosé à l’annonce du nom de Liu. Sur le microblog de Sina, par exemple, les internautes ont utilisé des photographies, des euphémismes et des caractères anglais ou traditionnels chinois pour contourner la censure.

    Le microblogging de style Twitter est extrêmement populaire en Chine. Le site Twitter.com a officiellement été bloqué l’année dernière, à la suite du vingtième anniversaire des manifestations de la place Tiananmen et des manifestations à  Xinjiang l’été dernier. Peu de temps après, son clone chinois le plus célèbre, Fanfou.com, fut aussi fermé, abandonnant un millions d’utilisateurs. Néanmoins, même si l’accès à Twitter ne peut se faire que par le biais de serveurs proxy, il joue encore un rôle vital dans la vie internet chinoise par sa capacité à se connecter à différentes nouvelles sources et activités sociales.

    En effet, Twitter est la seule arène où les internautes peuvent s’exprimer librement au sujet du prix Nobel de la paix décerné à Liu. Une recherche à partir des termes suivants “#Liuxiaobo” donne des centaines de messages pertinents par minute.

    Plus généralement, Twitter est devenu un outil puissant pour les citoyens chinois qui jouent un rôle de plus en plus important dans la diffusion d’actualités locales au sein de leurs communautés. Mais la révolution sociale apportée par le microblogging pourrait même être encore plus importante que la révolution des télécommunications. Ici, en effet, les utilisateurs du Twitter chinois dirigent le monde, l’utilisant dans tous les domaines, résistance sociale, enquêtes civiques, veille de l’opinion publique, jusqu’à la création de satires noires, « organiser sans organisations » dans le mouvement anti-incinération de Guangdong, et l’envoi de cartes postales aux prisonniers d’opinion.

    Depuis que les Iraniens utilisent Twitter pour échanger des informations et informer le monde extérieur sur les protestations grandissantes contre le vol des élections présidentielles de juin 2009, il y a eu beaucoup de discussions sur l’activisme numérique dans les pays totalitaires comme la Chine. La technologie Web 2.0 impliquera-t-elle un rôle similaire pour la “Twivolution” dans une transition démocratique chinoise un jour ?

    L’activisme politique Twitter en Chine défit l’argument simpliste et pourtant répandu qui prétend que les médias sociaux entre les mains d’activistes peuvent rapidement dégénérer en une mobilisation de masse et apporter un réel changement social. Ces outils et ces canaux de partage d’informations encouragent plutôt un progrès social plus subtil.  

    Cette subtilité reflète la distinction entre macropolitique et micropolitique. La macropolitique est structurelle, tandis que la micropolitique est quotidienne. Les changements dans le système micropolitique n’impliquent pas nécessairement un ajustement dans la structure macropolitique, surtout dans les systèmes politiques hyper contrôlés comme celui de la Chine. Mais si de petites unités sont bien organisées, elles peuvent grandement contribuer au bien-être de la société dans son ensemble, petit à petit, par un travail au niveau micropolitique. La micro information et les micro échanges peuvent entrainer de réels changements.

    Pourquoi la micro puissance est-elle si importante ? Dans le passé, seules des personnes extrêmement motivées s’engageaient dans l’activisme politique ; les masses prenaient rarement des initiatives. Les personnes passionnées ne comprenaient pas pourquoi le public semblait si peu concerné par leurs efforts. Aujourd’hui, les personnes hautement motivées peuvent baisser le seuil de leurs actions pour que les personnes moins passionnées puissent s’associer à leurs efforts.

    Actuellement, la sphère Twitter chinoise possède trois caractéristiques principales : premièrement, les dirigeants chinois resserrant le carcan de la censure, Twitter est devenu extrêmement politisé. De plus, Twitter parvient à réunir des leaders d’opinion autour d’une table virtuelle, attirant de nombreux « nouveaux intellectuels publics » et « défenseurs des droits », aussi bien que des vétérans des mouvements des droits civils et des dissidents exilés. Son influence dans le cyberespace chinois et les médias traditionnels résulte de ces regroupements.

    Enfin, Twitter peut être utilisé comme outil mobilisateur en Chine. Ces dernières années, l’explosion des activités permet de dire que Twitter est devenu une plateforme de coordination pour de nombreuses campagnes autour des droits des citoyens. Avec la prolifération des clones de Twitter en Chine (tous les portails les plus importants proposent aujourd’hui des services de microblog), les mouvements sociaux profitent d’une impulsion à long terme.

    Twitter est donc devenu un outil majeur dans la promotion de sujets controversés en Chine. Il permet de joindre de manière efficace la parole à l’action, de générer des campagnes très larges et de créer un terrain commun entre les différents groupes d’activistes des droits de l’homme, les intellectuels et toutes sortes d’utilisateurs de Twitter. En fait, une série de manifestations et d’évènements survenus au cours de 2009 suggèrent un lien très étroit entre Twitter et la réalité politique controversée, et invite donc à de nouvelles possibilités pour donner une autre forme à l’autoritarisme du régime chinois.

    Hu Yong enseigne l’internet à l’Université de Pékin.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduite de l’anglais par Frédérique Destribats

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  • En Chine, plus de croissance

    et toujours moins de libertés

     

    Je veux exprimer ma reconnaissance aux membres du comité Nobel pour avoir décerné le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, rendant ainsi hommage au combat non violent qu'il livre depuis longtemps pour défendre les droits de l'homme en Chine. Par ce geste, le comité interpelle le monde occidental et l'incite à se démarquer d'une idée dangereuse qui a fait son chemin depuis le massacre de Tiananmen, en 1989 : le développement économique conduira tout naturellement la Chine à la démocratie.

    L'argument s'est imposé petit à petit à partir de la fin des années 1990. Il a su convaincre certains Occidentaux, tandis que d'autres ont dû le trouver commode pour les affaires. Beaucoup se sont fiés au discours des dirigeants chinois, qui ont tout fait pour persuader les autres pays que s'ils continuaient à investir en Chine en s'abstenant d'établir tout " lien " embarrassant entre leurs investissements et les progrès sur le plan des droits de l'homme, les choses iraient en s'améliorant, sans heurts.

    Plus de vingt ans se sont écoulés depuis les événements de la place Tiananmen. La Chine est officiellement devenue la deuxième puissance économique mondiale. Cela n'empêche pas que le très pacifique Liu Xiaobo et des milliers d'autres croupissent en prison pour avoir revendiqué des droits que l'ONU tient pour sacrés, et que les investisseurs occidentaux considèrent comme acquis dans leurs propres pays. Il est évident qu'en dépit d'un essor économique spectaculaire, les droits de l'homme n'ont pas connu les avancées " naturelles " promises. Ce que Liu Xiaobo a vécu personnellement ces vingt dernières années suffit à prouver que non, l'enrichissement n'entraînera pas automatiquement l'avènement de la démocratie.

    J'ai connu M. Liu dans les années 1980. C'était un jeune homme au verbe franc et généreux. Il a pris part aux mouvements pacifiques de protestation sur la place Tiananmen, en 1989, implication qui lui a valu deux ans d'emprisonnement, puis a passé les dix années suivantes entre les camps de travail, les prisons, les centres de détention et les maisons d'arrêt.

    En 2008, il lance la Charte 08, une pétition qui demande à la Chine de respecter dans les faits les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies. Il est immédiatement arrêté et condamné à une peine sévère de onze ans de prison, pour " incitation à la subversion "... alors que la Chine a bel et bien signé la Déclaration.

    D'après les associations de défense des droits de l'homme qui suivent ce qui se passe en Chine, les prisons et les camps de travail chinois retiennent quelque 1 400 personnes pour des raisons politiques, religieuses ou " de conscience ". Elles peuvent aussi avoir été arrêtées pour avoir participé à des grèves ou à des manifestations et exprimé publiquement des opinions politiques dissidentes. Ces faits indiscutables devraient sortir de l'indolence quiconque croirait encore que les autocrates chinois changeront un jour d'avis sur les droits de l'homme, juste parce que le pays se sera enrichi.

    En réalité, pour les dictateurs chinois, la notion de droits de l'homme universels est une quantité de plus en plus négligeable. Soumis à de fortes pressions au cours des dix années qui ont suivi Tiananmen, le pouvoir communiste a remis en liberté 100 prisonniers politiques pour redorer son blason. Depuis l'an 2000, au fur et à mesure que l'économie s'est développée et que l'insistance de la communauté internationale a faibli, il est revenu à sa politique initiale de sévère répression.

    La communauté internationale devrait tout particulièrement s'alarmer de ce que la Chine persiste à ne pas respecter des textes auxquels elle a officiellement adhéré. Elle a signé la Convention des Nations unies contre la torture, en 1988. Pourtant, elle la pratique massivement ainsi que les mauvais traitements et la manipulation psychologique dans ses centres de détention et ses camps de travail. Concrètement, les prisonniers se voient infliger des coups, le port prolongé de chaînes aux pieds et/ou aux mains, de longues périodes de mise en isolement, une alimentation indigne de ce nom, l'exposition tant au grand froid qu'à la forte chaleur et la privation de soins médicaux.

    La prospérité croissante renforçant d'autant son pouvoir, le Parti communiste ignore en toute impunité les principes de sa propre Constitution. L'article 35 de la Constitution chinoise assure, par exemple, que " les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté d'expression, de réunion, d'association, de défilé et de manifestation ". Mais le gouvernement réprime l'exercice de ces droits par la force, ou encore par la censure qui frappe Internet. Il est aisé pour les services de la censure de repérer les courriers électroniques - et leurs auteurs - faisant mention de mots-clés sensibles comme " Liu Xiaobo " et de les neutraliser.

    La dramatique histoire du Japon de la première moitié du XXe siècle le montre : un pouvoir qui jouit de la puissance économique tout en s'autorisant à violer les droits de l'homme est une véritable menace pour la paix.

    Heureusement, le comité Nobel a eu le courage de rappeler le danger qu'une telle conjonction représente avec une Chine en pleine expansion. Il souligne avec raison le rapport qui existe entre le respect des droits de l'homme et la paix dans le monde. Alfred Nobel l'avait très bien compris : le respect des droits de l'homme est une condition nécessaire à l'existence d'une " fraternité entre les nations ".

    Fang Li-Zhi

    Physicien et dissident chinois, exilé aux Etats-Unis professeur à l'université d'Arizona

    Traduit de l'anglais par Christine Roelens

    © Global Viewpoint 2010


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  • La guerre des monnaies : la grande confrontation des politiques économiques

     


     

    Employé d'abord par le ministre des Finances brésilien, le terme « guerre des monnaies » a vite fait le tour de la planète. Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, l'ont utilisé à leur tour, pour s'alarmer de ce nouveau risque qui plane sur la reprise. Et si, derrière ce danger, se révélait surtout une divergence sur les politiques économiques nécessaires pour retrouver la croissance ?

    Guerre des monnaies... ou confrontation des politiques économiques ? Si l'on veut comprendre l'enjeu du bras de fer engagé aujourd'hui entre dirigeants des économies développées, la question doit être posée. À l'évidence, une baisse du dollar aide les entreprises américaines à gagner des parts de marché. Il n'est pas sûr pour autant que tel soit aujourd'hui le premier objectif « externe » des autorités américaines. Ces dernières espèrent plutôt, tirant parti de la globalisation financière, pousser le reste du monde développé à mener, comme elles, une politique économique tournée tout entière vers la lutte contre la déflation.

    L'évolution récente du yen face au dollar l'illustre assez bien. Contrairement à ce que l'analyse traditionnelle aurait pu laisser attendre, l'appréciation du yen ne s'explique pas par l'évolution des soldes courants des deux pays. Certes depuis des années maintenant les États-Unis accumulent des déficits et le Japon des excédents, mais les montants en jeu sont de plus en plus faibles par rapport aux mouvements de capitaux liés à la globalisation financière. Le cours du yen face au dollar répond ainsi de plus en plus à l'évolution des écarts de taux d'intérêt entre les deux monnaies : la hausse presque continue du yen depuis 2007 est principalement le reflet de la réduction, continue elle aussi, de l'écart entre taux américains et japonais. Depuis le début de la crise financière, la Réserve fédérale a mené en effet une politique monétaire de plus en plus accommodante. Elle a porté ses taux directeurs au même niveau que ceux de la Banque du Japon puis est intervenue tant par ses déclarations que par des achats massifs de titres à long terme pour « aplatir » toute la courbe des taux d'intérêt. L'écart entre la courbe des taux américains et celle des taux japonais n'a ainsi jamais été aussi réduit... et le cours du yen aussi élevé !

    Cette hausse du yen va bien sûr déformer quelque peu les parts du marché mondial dans un sens favorable aux États-Unis. Mais elle va surtout, en renforçant la pression déflationniste qui s'exerce sur leur économie, pousser les autorités japonaises à mener des politiques plus énergiques de soutien de leur demande intérieure. Quelques jours seulement après être intervenues sur leur marché des changes pour tenter d'enrayer la hausse de leur monnaie, ces autorités viennent d'ailleurs d'annoncer un programme d'achats d'actifs directement inspiré de ceux mis en oeuvre par la banque centrale américaine. À un détail près toutefois qui laisse penser que la partie entre les deux pays est loin d'être achevée : la taille du programme envisagé - quelques dizaines de milliards de dollars - est très inférieure à ce qui se pratique aux États-Unis.

    La remontée récente de l'euro doit se lire selon la même logique. Depuis plusieurs années maintenant, l'évolution de la monnaie européenne face au dollar suit assez fidèlement les écarts entre les courbes de taux d'intérêt des deux monnaies. Elle s'en est écartée une première fois, au plus fort de la crise financière globale, lorsque, l'aversion au risque devenant extrême, l'effet des écarts de rendements anticipés a été atténué et, plus récemment, lorsque la crise de la dette souveraine a été source d'une soudaine défiance à l'égard de l'euro. La disparition progressive de cette défiance explique que l'euro remonte progressivement vers des cours plus conformes aux écarts entre les taux d'intérêt des deux monnaies. Et sa remontée pourrait être d'autant plus importante que ces écarts ont tendance actuellement à se creuser à nouveau en faveur de l'euro : la Banque centrale européenne n'a-t-elle pas esquissé le début de sa « stratégie de sortie » au moment même où la Réserve fédérale laissait entendre au contraire qu'elle allait intensifier son effort de lutte contre le risque de déflation ?

    Là encore le choix auquel les autorités européennes sont confrontées est clair. Elles peuvent poursuivre comme elles l'entendent leurs politiques tant monétaire que budgétaire au risque de voir l'euro s'apprécier et, le moteur des exportations calant, la reprise européenne tourner court. Elles peuvent, au contraire, décider d'infléchir leurs politiques dans un sens plus conforme à celles menées par les États-Unis, avec les risques que cela comporte... La guerre des monnaies en cache en réalité une autre, plus profonde, qui porte sur la manière de remettre les économies développées sur le chemin de la croissance. Sans réduction rapide des divergences qui existent en ce domaine, c'est bien ce retour à la croissance qui finalement pourrait être menacé ! n

    Point de vue de Anton Brender et Florence Pisani Dexia Asset Management


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  • Peut-on inculper les politiques américains responsables de la crise?
    Non, les responsables politiques «ont le droit» de semer la pagaille sans être ennuyés par la justice.

     

     

    Fin septembre, le Parlement islandais a décidé de renvoyer l’ex-Premier ministre Geir Haarde devant un tribunal spécial où il pourrait être poursuivi pour «négligence criminelle» dans le cadre de l’effondrement du secteur financier du pays – un krach qui accable les contribuables d’une dette se montant à plusieurs milliards de dollars. Selon une enquête de l’Etat islandais, en 2008, le gouvernement de Geir Haarde a laissé passer un certain nombre d’occasions de limiter les dégâts de l’effondrement bancaire imminent, qui s’est répercuté sur l’ensemble de l’économie islandaise. S’il est reconnu coupable, cet homme politique encourt une peine maximum de deux ans d’emprisonnement. Aux Etats-Unis, des responsables politiques pourraient-ils être condamnés pour avoir provoqué le krach des marchés financiers, qui a débouché sur la crise que l’on connaît?

    Négatif. Quand bien même on réussirait à prouver que des décisions officielles ou un immense laxisme ont entraîné la crise et contribué à l’ensemble de ses conséquences dramatiques, l’ex-président des Etats-Unis, George W. Bush, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, ou d’autres responsables politiques américains peuvent sûrement dormir tranquille. La loi islandaise, vieille d’un siècle, qui a permis de traduire en justice Geir Haarde – qui n’avait jamais été appliquée jusqu’ici – stipule que les ministres peuvent être tenus pour responsables non seulement pour des actions qui mettent en danger le pays, mais pour l’absence d’action en vue de prévenir un danger. Aux Etats-Unis, il n’existe tout bonnement pas de crime équivalent; autrement dit, les politiques n’ont pas à rendre de compte à la justice s’ils ont simplement été incompétents.

    Immunité

    De même, ils sont vraisemblablement à l’abri de poursuites civiles. En vertu du droit américain, les membres du gouvernement jouissent d’une immunité pour les actions menées dans l’exercice de leurs fonctions, sauf s’ils violent sciemment «des droits constitutionnels ou prévus par la loi, clairement établis et dont une personne raisonnable aurait eu connaissance». Alors, à moins que les organismes de contrôle américains aient comploté avec des entreprises pour escroquer des investisseurs, on ne peut rien leur reprocher sur le plan juridique.

    Mais les choses pourraient changer. Le concept d’immunité officielle est actuellement contesté dans le procès intenté par le terroriste condamné José Padilla contre l’ancien avocat du département américain de la Justice John Yoo. José Padilla accuse le magistrat d’avoir violé ses droits constitutionnels en rédigeant une note interne dans laquelle il préconise que José Padilla, citoyen américain, figure sur la liste des «>combattants ennemis» ainsi que d’autres notes où il estime qu’on pouvait soumettre ces combattants à des «modes interrogatoire plus poussés». Outre les objections de l’administration Obama, un juge de Californie a rejeté la requête de John Yoo qui demandait l’abandon des poursuites en raison de son immunité officielle. Cette requête a fait l’objet d’un appel, mais pour que José Padilla puisse percevoir des dommages et intérêts, il faudra qu’il prouve non seulement que John Yoo a donné de mauvais conseils juridiques, mais qu’il a délibérément ignoré des droits constitutionnels absolument incontestables. Pas évident…

    Responsabilité ministérielle

    Les agences de notation privées et les banques d’investissement impliquées dans la crise des subprimes ne jouissent pas des mêmes protections que les responsables du gouvernement. Ils sont au cœur de procès intentés par l’Etat et des organismes de contrôle.

    Cette loi islandaise fait plutôt figure d’exception. Toutefois, les pays dont le gouvernement repose sur le système de Westminster respectent traditionnellement un principe de «responsabilité ministérielle». Conformément à ce principe, les ministres assument la responsabilité des actes de leurs collaborateurs au sein du ministère. Ils doivent démissionner en cas d’incompétence majeure et peuvent, le cas échéant, être poursuivis au pénal, même s’ils ne sont pas directement à l’origine de la faute. Aujourd’hui,cela n’arrive pratiquement jamais.

    Même si l’Islande, en tant que premier pays où la crise financière a provoqué la chute du  gouvernement, est peut-être à l’origine d’une tendance, il est peu probable que d’autres chefs d’Etat soient envoyés au banc des accusés.

    Joshua E. Keating
    Joshua Keating est rédacteur en chef adjoint de Foreign Policy.

    Traduit par Micha Cziffra

    Photo: George W. Bush, Alan Greenspan et Ben Bernanke en octobre 2005, REUTERS/Larry Downing


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  • L’overdose d’harmonie en Europe

    Mojmír Hampl

     


     

    PRAGUE – L’un des piliers du marché unique de l’Union Européenne est l’harmonisation. A première vue, c’est tout à fait logique. Il est plus facile pour le capital et le travail de trouver leur meilleur usage dans des systèmes harmonisés.

    Hélas ! Le zèle unificateur de certains Europhiles a trop souvent dépassé les limites de la raison économique, et même du bon sens. Plus d’unification et d’harmonisation n’impliquent pas forcément plus de solutions efficaces – ou même raisonnables – aux problèmes de l’Union Européenne.

    Le principal point des nouvelles mesures règlementaires européennes actuellement à l’étude (à l’exception des soi-disant nouvelles règles du Bâle III) est d’apporter plus de stabilité au système financier. L’effet indirect sera de réduire la taille du secteur financier – en termes absolus et relativement à l’économie – et d’entraver sa croissance à l’avenir.  

    Mais ces effets se répercuteront aussi dans les pays de l’UE dont les secteurs financiers sont restés très stables au cours de cette crise. Les services financiers seront moins accessibles et plus chers partout, même si les banques de certains pays sont financées par des dépôts stables à long terme plutôt que par des prêts interbancaires à court terme, avec moins d’actifs toxiques et de prêts locaux qui sont plus que confortablement couverts par les dépôts locaux.

    C’est pourquoi de nombreuses voix s’élèvent contre un levier ou un taxe bancaire européenne harmonisée. Ce levier, très encouragé par les pays dont le secteur financier s’est retrouvé en miette après la crise, est difficile à avaler pour les états de l’UE qui ne sont pas intervenus pour renflouer leurs banques.

    Ce levier est une manière facile de répartir les coûts politiques et financiers de la crise de certains sur l’ensemble des membres de l’UE. S’il devait être appliqué, le capital bancaire se ferait plus rare, le flux de crédit s’en trouverait ralenti et les tarifs des services bancaires plus élevés dans les pays dont les secteurs financiers sont plus stables, simplement parce que les autres ont dépensé une fortune pour soutenir leurs propres systèmes financiers – et parce que la Commission Européenne ne rate jamais une opportunité d’uniformiser les règles dans chacun des pays de l’UE.

    Cela est d’ailleurs aussi vrai pour les dérivés du commerce extérieur. La ferveur harmonisatrice post-crise dans ce domaine signifie qu’il sera dorénavant plus coûteux partout dans l’UE de s’assurer contre la volatilité de la monnaie ou contre des changements inattendus des intérêts. Mais une telle harmonisation n’est ni nécessaire ni justifiée pour chacun des pays de l’UE.

    Il est aussi probable que nous aurons bientôt un système de paiements en euros unifié, harmonisé, et renforcé par le haut, que ce soit de manière intra-état ou inter-état. La Commission reconnaît qu’il y a quelque chose de suspect à ce que chaque pays ait son propre système et que ces systèmes nationaux soient utilisés par plus de clients et pour un plus grand nombre de transactions que le système de payement harmonisé de l’espace unique de paiement en euro (SEPA).

    Il y a une certaine ironie dans le fait qu’au début, la participation des banques privées au système SEPA se faisait sur un base volontaire. Mais nombre des systèmes nationaux ont évolué au fil des ans. Des millions de clients ont choisi de les utiliser pour leurs règlements débits et crédits et n’ont donc pas trouvé de raison suffisante pour basculer sur le système SEPA, avec ses codes, ses abréviations et ses symboles différents.

    C’est pourtant le système que la Commission veut imposer à l’ensemble de l’Union tout en bannissant tous les produits incompatibles avec le SEPA. Les clients devront modifier leurs ordres et leurs habitudes de paiements simplement parce que l’harmonisation est devenue une fin en soi pour beaucoup dans l’Union Européenne. Une règle simple devrait s’appliquer avec la même rigueur dans ce domaine très sensible : si ça fonctionne, nul besoin de modifier le système.

    Une unification et une harmonisation douteuses sont aussi dans en cours de réalisation dans un autre domaine : la performance macroéconomique. Au cours des dix dernières années, on a pu constater que le Pacte de Stabilité et de Croissance (par lequel les pays de l’UE se sont engagés à contenir leur dette et leurs déficits) a laissé place à une certaine permissivité. Récemment, il semble même que l’UE a fini par comprendre que, compte tenu du manque de volonté, aucun pacte – aussi louable que soit son propos – ne peut garantir des politiques budgétaires solides.

    Mais les institutions européennes sont désormais non seulement en train d’essayer de réparer ce Pacte, mais cherchent aussi des moyens d’élargir sa portée, afin de pouvoir sanctionner les pays avec des « déséquilibres macroéconomiques ». Il suffit de se pencher sur certaines des propositions de l’équipe du président de l’Union Européenne, Herman Van Rompuy, sur la gouvernance économique. Si un pays plus pauvre traverse une période de réelle convergence avec un déficit de compte courant temporaire – ce qui est généralement le cas dans ce genre de situation – il pourrait être puni pour insuffisance d’harmonisation.

    Il en est de même pour un pays qui traverse une période de forte croissance de sa productivité parce que soit son marché du travail aura été réformé ou qu’il aura maintenu faibles les salaires réels et dont le compte courant est excédentaire. Il se pourrait donc que le fait d’être trop innovant, trop compétitif, trop flexible, de croître trop rapidement pourrait devenir un « problème » dans cette logique perverse de l’harmonisation. Vous les Allemands, et les autres, entendez-vous bien ces voix ? N’avez-vous pas peur ?

    Il y a bien des domaines de la vie économique de l’UE dans lesquels l’harmonisation est un plus. Mais l’ensemble des aspects de la régulation financière et de la performance économique ne rentrent pas forcément tous dans cette catégorie. C’est la concurrence, et non les monopoles, que nous louons dans la vie économique. Une concurrence dans les règles qui la régissent pourrait nous être tout aussi utile.

    Mojmír Hampl est Vice-Gouverneur de la Banque Nationale Tchèque et membre du Comité Economique et Financier de l’UE.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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