• Portée disparue : une direction chinoise des devises

    George Soros
     


     

    WASHINGTON – Je partage l’inquiétude qui grandit partout dans le monde à propos du décalage entre les devises. Le Ministre brésilien des finances parle même d’une guerre latente des monnaies ; et il n’est pas si loin de la vérité, car c’est sur les marchés des devises que les différentes politiques économiques et les différents systèmes politiques et économiques interagissent et s’opposent.

    Le système de taux de change dominant est bancal. La Chine a essentiellement fixé le cours de sa monnaie sur le dollar, alors que la plupart des autres devises fluctuent plus ou moins librement. La Chine a un système à deux vitesses dans lequel le compte capital est strictement contrôlé ; la plupart des autres devises ne font pas la distinction entre compte courant et compte capital. Cela entraine une sous-évaluation chronique du renminbi et assure à la Chine un important et persistant excédent de son commerce extérieur.

    Mais surtout, cette situation permet au gouvernement chinois d’écrémer une part significative de la valeur des exportations chinoises sans interférer avec les incitations qui font que les gens travaillent si dur et qui rendent leur travail si productif. Cela a le même effet que la taxation, mais fonctionne bien mieux.

    Ce secret du succès chinois confère au pays un avantage par rapport aux autres pays, parce que le gouvernement peut en toute discrétion utiliser les surplus comme il l’entend. Et cela a protégé la Chine de la crise financière qui a profondément secoué le monde développé. Pour la Chine, la crise fut une manifestation étrange qui ne s’est traduite que par un déclin temporaire de ses exportations.

    Il n’est pas abusif de dire que depuis la crise financière, la Chine s’est retrouvée aux commandes de l’économie mondiale. Les mouvements de sa monnaie ont eu une influence décisive sur les taux de change.

    Lorsque l’euro s’est retrouvé en difficulté plus tôt cette année, la Chine a opté pour une politique attentiste. Le retrait de la Chine en tant qu’acheteur a contribué au déclin de l’euro. Lorsque l’euro est tombé à 1,20 dollar, la Chine a enfin réagi pour préserver le statut international de l’euro. Les achats chinois ont inversé le déclin de l’euro.

    Plus récemment, lorsque le Congrès américain a menacé de prendre des mesures législatives contre les manipulations de la monnaie chinoise, la Chine a autorisé une réévaluation du renminbi de deux points par rapport au dollar. Mais comme la remontée de l’euro, du yen et d’autres monnaies a compensé la chute du dollar, la Chine a préservé son avantage.  

    La position dominante de la Chine est menacée aujourd’hui à la fois par des facteurs internes et externes. L’imminence du ralentissement global a exacerbé les pressions protectionnistes. Des pays comme le Japon, la Corée du Sud et le Brésil interviennent unilatéralement sur le marché des devises. S’ils se mettent à imiter la Chine en imposant des restrictions sur les transferts de capitaux, la Chine perdra certains de ses avantages. Les marchés des devises globaux seraient en outre perturbés et l’économie globale en souffrira.

    Michael Pettis, expert dans le domaine de la Chine, a montré que la consommation, en pourcentage du PIB chinois, a chuté d’un niveau déjà faible de 46% en 2000 à 35,6% en 2009. Les investissements supplémentaires en biens d’équipements n’offrent que des retours très faibles. A partir de maintenant, la consommation devra augmenter beaucoup plus rapidement que le PIB.

    Les considérations externes aussi exigent une réévaluation du renminbi. Mais les ajustements de devises doivent faire partie d’un plan de coordination internationale pour réduire les déséquilibres globaux.

    Les déséquilibres américains sont le miroir de ceux de la Chine. Alors que la Chine est menacée d’inflation, les Etats-Unis sont menacés de déflation. A près de 70% du PIB, la consommation américaine est trop élevée. Les Etats-Unis doivent prendre des mesures de relance budgétaire pour améliorer leur compétitivité plutôt que d’opter pour la soi-disant « détente quantitative » dans leur politique monétaire, laquelle fait pression sur toutes les autres monnaies sauf sur le renminbi.

    Les Etats-Unis ont aussi besoin d’une hausse du renminbi pour réduire leur déficit commercial et alléger le fardeau de la dette accumulée. La Chine, en retour, pouvait accepter un renminbi plus fort et un léger ralentissement du taux de croissance aussi longtemps que la part de la consommation dans son économie était en augmentation et que l’amélioration des niveaux de vie se maintenait. La population chinoise en serait satisfaite ; seuls les exportateurs en souffriraient et les surplus à échoir au gouvernement chinois diminueraient. Une forte réévaluation de la monnaie serait désastreuse, comme l’a déclaré le Premier ministre chinois Wen Jiabao, mais une réévaluation de 10% par an devrait être tolérable.  

    Dans la mesure où le gouvernement chinois est le bénéficiaire direct des excédents de devises, il lui faudrait une extraordinaire préscience pour accepter cette diminution de son pouvoir et pour admettre les avantages d’une coordination de sa politique économique avec celles du reste du monde. Les dirigeants chinois doivent admettre que leur pays ne peut continuer à croître sans prêter plus d’attention aux intérêts de ses partenaires commerciaux.

    La Chine est la seule à pouvoir initier un processus de coopération internationale parce qu’elle peut initier la réévaluation du renminbi. La Chine a déjà développé un mécanisme élaboré de consensus à domicile. Elle doit aller un peu plus loin et engager un processus similaire à l’international. En récompense, elle recevra l’acceptation de son ascension par la communauté internationale.

    Qu’elle l’admette ou non, la Chine est devenue leader mondial. Si elle ne parvient pas à assumer les responsabilités qui découlent de cette position, le système de devises international pourrait s’écrouler en emportant avec lui l’économie mondiale. Quoiqu’il en soit, les excédents commerciaux chinois sont voués à diminuer mais ce serait beaucoup mieux pour la Chine si cela provenait d’une amélioration des niveaux de vie que du déclin de l’économie globale.  

    Les chances d’une issue positive ne sont pas bonnes, mais nous devons tout faire pour parce qu’en l’absence de coopération internationale, le monde devra faire face à une période de fortes turbulences et de perturbations.

    George Soros est à la tête du Fond de Gestion Soros.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
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    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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  • Clochardiser l’économie mondiale

    Raghuram Rajan


     

    CHICAGO – Le capital global circule. Compte tenu de taux d’intérêt extrêmement faibles dans les pays industrialisés, le capital se déplace un peu partout dans le monde en quête de meilleurs rendements ; en conséquence, un certain nombre de banques centrales de pays émergeants interviennent lourdement, rachetant les afflux de capitaux étrangers et les réexportant de façon à éviter une érosion de leur monnaie. D’autres ont imposé des contrôles de capitaux sous différentes formes. Le Japon a même été la première grande économie industrielle ces dernières semaines à intervenir directement sur les marchés des devises.

    Pourquoi personne ne veut de l’affluence des capitaux ? Quelles sont les politiques d’intervention légitimes et celles qui ne le sont pas ? Et où nous mènerons toutes ses interventions si elles sont maintenues sans relâche ?

    La part des afflux de capitaux qui n’est pas réexportée représente des afflux nets de capitaux. Cela permet de financer l’achat national de produits étrangers. Donc, l’une des raisons pour lesquelles les pays n’aiment pas les affluences de capitaux est qu’ils impliquent plus de ‘fuites’ de la demande intérieure vers l’extérieur. Dans la mesure où les afflux de capitaux provoquent souvent une dévalorisation du taux de change national, ils encouragent les dépenses sur les biens étrangers puisque les producteurs nationaux deviennent moins compétitifs.

    Une autre raison pour laquelle les pays n’aiment pas les afflux de capitaux est qu’une part de cet argent peut être « chaud » (ou muet), se pressant pour profiter des faibles taux d’intérêts et des actions à la hausse, et s’éclipsant dès que les problèmes apparaissent où aux premiers signes d’opportunités à la maison. Les flux de capitaux volatiles entrainent une volatilité dans l’économie qui les accueille, accentuant les hausses brusques et les effondrements de façon plus prononcée que cela n’aurait été le cas normalement.

    Mais il faut deux mains pour applaudir, dit-on. Si les pays pouvaient être disciplinés et limiter les dépenses des foyers, des entreprises ou de leur gouvernement, les capitaux étrangers n’auraient pas d’utilité et pourraient être réexportés facilement, sans trop d’incidences sur l’économie bénéficiaire. Les problèmes apparaissent lorsque les pays ne peuvent pas – ou ne veulent pas – dépenser de manière raisonnable.  

    Diverses raisons peuvent expliquer l’excès de dépenses des pays et les problèmes qui en découlent. Pour les économies latino-américaines stéréotypées d’antan, ce furent les dépenses populistes de leur gouvernement, tandis que pour les économies de l’Asie de l’est, les problèmes provenaient des excès d’investissements à long terme. Aux Etats-Unis, à la veille de la crise actuelle, ce sont les facilités de crédit, surtout dans l’immobilier, qui ont encouragé les personnes à trop dépenser, tandis qu’en Grèce, c’est le gouvernement qui s’est lui-même mis en difficulté pour avoir trop emprunté.

    Malheureusement, cependant, aussi longtemps que des pays comme la Chine, l’Allemagne, le Japon et les pays exportateurs de pétrole injecteront leurs excédents de produits dans l’économie mondiale, certains pays auront du mal à limiter leurs dépenses pour respecter leur budget. Puisque le monde n’exporte pas encore sur Mars, il faudra bien que certains pays absorbent ces produits et acceptent l’affluence de capitaux qui financent leur consommation.

    A moyen terme, les dépensiers devraient limiter leurs dépenses et les exportateurs habituels augmenter les leurs. A court terme, cependant, le monde s’est engagé dans un jeu géant de « passe le colis », et aucun pays ne veut accepter les produits et les excédents de capitaux des exportateurs habituels. C’est ce qui rend les politiques du « chacun pour soi » d’aujourd’hui si destructrices : même si certains pays devront effectivement absorber les excédents et les capitaux, chacun tente de l’éviter.

    Quelles sont donc les politiques d’intervention légitimes ? Toutes les mesures visant à intervenir sur le taux de change, ou à imposer des barrières douanières ou des contrôles de capitaux, obligent les autres pays à faire des ajustements plus importants. L’intervention de la Chine sur son taux de change nuit probablement à un certain nombre d’autres marchés émergeants exportateurs qui n’interviennent pas autant et qui s’en trouvent par conséquent moins compétitifs.

    Mais les pays industriels aussi interviennent de façon significative dans les marchés. Par exemple, alors que l’interventionnisme de la politique monétaire américaine (oui, la politique monétaire est aussi une forme d’interventionnisme) n’a pas vraiment contribué à relancer la demande intérieure, elle a poussé les capitaux nationaux à rechercher des rendements à l’étranger. Le dollar américain chuterait lourdement – encourageant plus d’exportations – si les banques centrales étrangères ne réinjectaient pas ces capitaux immédiatement en achetant les titres du gouvernement américain.

    Tout cela crée des distorsions qui retardent les ajustements – les taux de change sont trop bas dans les marchés émergeants, ce qui les empêche de ralentir les exportations, alors que la facilité avec laquelle le gouvernement américain obtient ses financements n’encourage pas vraiment les dirigeants américains à réduire leurs dépenses à moyen terme.

    Plutôt que d’intervenir pour parvenir à une augmentation à court terme de leur part de la demande globale ralentie, les pays devraient plutôt rééquilibrer leur économie pour la rendre plus efficace sur le moyen terme. Cela leur permettrait de contribuer de manière durable à la croissance de la demande globale.

    La Chine par exemple, doit faire le nécessaire pour déplacer les revenus des entreprises au profit des ménages chinois afin de relancer la consommation privée. L’Amérique doit améliorer la formation et les compétences d’une grande partie de sa force de travail de manière à ce qu’elle produise plus de savoir-faire de haute qualité et de services exportables dans lesquelles elle s’est spécialisée. Des revenus plus élevés relanceraient l’épargne américaine et allègeraient la dette des ménages, même si les niveaux de consommation étaient constants.  

    Malheureusement, tout cela prendra du temps et les citoyens, impatients de trouver du travail et de la croissance, font pression sur leurs dirigeants. Beaucoup de pays adoptent des mesures à courte vue qui ne font que répondre aux besoins immédiats de leurs électorats. Il y a des exceptions. L’Inde, par exemple, a évité une intervention sur sa monnaie jusqu’à présent, même si elle s’est créée une dette à long terme en roupie pour tenter de financer des projets d’infrastructures lourdement nécessaires.

    Le fait que l’Inde soit disposée à dépenser alors que tout le monde tente de vendre et d’épargner entraine des risques qui doivent être gérés avec précaution. Mais l’exemple de l’Inde offre aussi une idée de ce que le monde pourrait accomplir de manière collective. Car les mesures protectionnistes ne réussiront qu’à nous clochardiser.

    Raghuram Rajan, ancien chef économiste au FMI, est professeur en finance à la Booth School of Business de l’Université de Chicago, et l’auteur de Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy (Lignes de failles : comment des fractures dissimulées continuent de menacer l’économie mondiale, ndt).

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  • Les promesses non tenues

    Peter Singer


     

    PRINCETON – En l’an 2000, les dirigeants mondiaux se sont réunis au siège des Nations Unies à New York où ils ont solennellement adopté la Déclaration du Millénaire, par laquelle ils s’engageaient d’ici 2015 à réduire de moitié la proportion des personnes dans le monde souffrant de la pauvreté et de la faim. Ils s’engageaient également à réduire de moitié la proportion de personnes n’ayant ni eau potable, ni sanitaires, à assurer une éducation primaire pour tous les enfants – filles et garçons, à réduire des deux tiers la mortalité infantile et à améliorer la santé maternelle, et à combattre le VIH/SIDA, le paludisme et autres maladies courantes. Ces engagements, reformulés sous forme d’objectifs spécifiques et mesurables, sont devenus les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

    Le mois dernier, dix ans après cette réunion, les dirigeants mondiaux se sont retrouvés pour un sommet des Nations unies à New York où ils ont adopté un document intitulé Tenir les engagements pris, réaffirmant la volonté d’atteindre les objectifs définis pour 2015. Le communiqué de presse des Nations unies a qualifié le document de « plan d’action mondial » pour les OMD, bien qu’il soit plus l’expression d’un espoir qu’un véritable plan d’action. Quelles chances avons-nous réellement de concrétiser les promesses faites en 2000 ?

    Comme l’a souligné le philosophe Thomas Pogge de Yale, la tâche a été facilitée en déplaçant les jalons. Avant l’an 2000, le Sommet mondial de l’alimentation, tenu à Rome 1996, s’était donné pour objectif de réduire de moitié les personnes sous-alimentées dans le monde d’ici 2015. Il faut comparer cet objectif à l’OMD qui est de réduire de moitié la proportion de la population mondiale souffrant de la faim (et de l’extrême pauvreté). En raison de l’accroissement de la population mondiale, réduire cette proportion de moitié signifie que l’objectif de Rome ne sera pas atteint.

    Mais il y a pire. Lorsque la Déclaration du Millénaire a été reformulée sous forme d’objectifs spécifiques, la base de calcul de la proportion devant être réduite de moitié n’a pas été établie par rapport à la population mondiale de 2000, mais celle de 1990. Cela signifie que les progrès déjà accomplis pouvaient être intégrés aux objectifs à atteindre. Et ensuite l’objectif est devenu réduire de moitié « la proportion de personnes du monde en développement », une autre différence de taille vu que la population des pays en développement croît plus rapidement que l’ensemble de la population mondiale.

    D’après les calculs de Pogge, le résultat net de ces changements signifie que les dirigeants mondiaux, qui s’étaient engagés en 1996 à réduire d’ici 2015 à 828 millions au maximum le nombre de personnes sous-alimentées, s’engagent aujourd’hui à réduire à 1,324 milliard le nombre de personnes souffrant d’une extrême pauvreté. Étant donné que l’extrême pauvreté est responsable d’un tiers environ des décès dans le monde, cette différence veut dire qu’en fait – et dans le cas où la promesse initiale est tenue – que près de six millions de personnes de plus mourront chaque année de causes dues à la pauvreté par rapport au nombre de personnes qui seraient décédées si la promesse originale faite à Rome avait été tenue.

    De toute façon, il semble d’après un rapport du FMI/Banque mondiale que nous soyons très loin d’atteindre même les objectifs revus à la baisse de réduire de moitié la proportion de personnes sous-alimentées dans le monde en développement. L’augmentation du prix des aliments – peut-être liée au changement climatique – a érodé les progrès accomplis, et l’an dernier le nombre de personnes souffrant de la faim a brièvement dépassé la barre du milliard. Que cela se produise alors que les pays avancés gaspillent des centaines de millions de tonnes de blé et de soja pour nourrir le bétail et que l’obésité prend des proportions épidémiques discrédite notre affirmation selon laquelle toutes les vies humaines ont une valeur égale.

    Il semble toutefois que réduire de moitié la proportion de personnes souffrant d’une pauvreté extrême soit à notre portée, surtout grâce au développement économique de l’Inde et de la Chine. En Afrique, après la stagnation économique des années 1990, une décennie encourageante de croissance économique est en train de réduire la proportion de la population qui vit dans une extrême pauvreté, mais pas assez rapidement pour la diviser par deux d’ici 2015.

    Les nouvelles sont meilleures au niveau de l’éducation pour tous, un tremplin pour atteindre d’autres objectifs, en particulier la baisse de la mortalité infantile qui est souvent rendue possible par le fait que les femmes ayant bénéficié d’une éducation tendent à avoir moins d’enfants. Il y a également des chances que l’objectif d’une eau potable pour tous puisse être atteint, contrairement aux sanitaires qui se révèlent être un objectif plus difficilement réalisable.

    Les OMD concernant la santé sont par contre très loin du but. La santé maternelle s’améliore, mais trop lentement. Plus de personnes malades du VIH/SIDA ont accès aux médicaments antirétroviraux bon marché, mais elles ne sont pas encore en majorité et le virus continue, plus lentement, à gagner du terrain. Quelques progrès ont été enregistrés dans la lutte contre le paludisme et la rougeole, réduisant d’autant la mortalité infantile, mais l’objectif des deux tiers ne sera pas atteint.

    Les pays riches ont pendant longtemps promis de réduire la pauvreté, mais n’ont pas su joindre l’acte à la parole. Bien sûr, des progrès importants ont été accomplis et des millions de vies ont été sauvées. Mais des millions de plus auraient pu l’être.

    Pour réaliser des progrès durables dans la réduction de la pauvreté extrême, il faudra améliorer à la fois la quantité et la qualité de l’aide. Une poignée de pays – le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède – se conforment au, ou ont dépassé le, modeste objectif des Nations unies de consacrer 0,7 pour cent du PIB national à l’aide au développement. Mais sans réforme des échanges commerciaux multilatéraux et une action relative au changement climatique, une aide plus abondante et mieux ciblée ne suffira pas.

    Pour l’instant, il semble bien qu’en 2015, les dirigeants mondiaux n’auront pas tenu leurs promesses (édulcorées), et qu’ils porteront donc la responsabilité d’avoir permis que des millions de personnes meurent en vain, chaque année.

    Peter Singer est professeur de bioéthique à l’université de Princeton. Son dernier ouvrage traite des obligations des riches envers les pauvres : « Sauver une vie : agir maintenant pour éradiquer la pauvreté ».


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  • Puisque la crise est structurelle,un autre modèle de croissance s’impose
    Rénover l’expertise publique et privée afin de redresser l’économie du pays

    Nous avons passé les six derniers mois à écouter des débats stériles pour savoir si nous étions confrontés à une reprise franche, à une reprise molle ou à une rechute. En début d'année, les analystes regardaient avec optimisme la forte croissance aux Etats-Unis et les signes d'accélération de l'Allemagne, et évoquaient le risque d'inflation ; aujourd'hui ils se concentrent sur le freinage de la croissance américaine et le risque de déflation. Ceci illustre la confusion qui est faite entre un cycle économique normal et la crise que nous vivons, c'est-à-dire un certain nombre de dérèglements fondamentaux de l'économie mondiale.

    En réalité, certaines évolutions sont du domaine du prévisible. La crise est loin d'être finie, comme le montrent l'insolvabilité des ménages aux Etats-Unis, en Espagne, la poursuite du désendettement, la taille des déficits publics, le niveau du chômage, et cela implique que le scénario le plus probable est celui d'une croissance molle durable dans les pays de l'OCDE.

    Mais sortir de cette croissance molle imposerait d'être capables de résoudre un certain nombre de problèmes structurels graves - le surendettement des ménages et des Etats, la recherche de rendements anormalement élevés du capital, les transferts massifs d'activités et des capacités de production des pays de l'OCDE vers les pays émergents - et d'éviter les dangers liés aux faux remèdes qui ont été mis en place - l'expansion non maîtrisée des liquidités à l'échelle mondiale, conduisant à la volatilité dramatique des prix des matières premières, et à des flux de capitaux déraisonnables vers les pays émergents.

    Il va donc falloir passer de ces faux remèdes (déficits publics, expansion monétaire), adaptés à un problème cyclique et non à une situation de crise structurelle, à de vrais remèdes qui traitent les causes de la crise structurelle : comment recréer des emplois dans les pays de l'OCDE malgré les délocalisations, comment reconstituer l'épargne dans les pays où elle est insuffisante, en premier lieu les Etats-Unis, comment permettre au système bancaire et financier de se reconcentrer sur son activité essentielle de financement de l'économie, comment sortir de politiques économiques qui pour l'instant sont essentiellement dirigées par la très forte aversion pour le risque, comment stabiliser davantage les flux de capitaux, les taux de change... ?

    Il ne faut pas non plus nier que ces questions se posent dans un environnement économique où, si les grandes tendances tracées ci-dessus sont assez probables, beaucoup d'incertitudes subsistent : quel effet sur la croissance de la réduction des déficits publics ? Combien de temps encore durera le désendettement ? Jusqu'où ira la déformation du partage des revenus au détriment des salariés ?

    Mais cette incertitude n'empêche pas d'identifier ce que sont les défis et ce que sont les pistes de réforme. Concentrons-nous sur le cas de la France.

    La situation de la France est emblématique des difficultés rencontrées par les pays de l'OCDE, car la France est, parmi les grands pays industrialisés, celui qui a le plus régressé sur le plan industriel : de la fin des années 1990 à aujourd'hui, la production industrielle a reculé de 10 %, l'emploi industriel de 20 % ; la part de marché de la France dans le commerce mondial est passée de 6,5 % à 3,7 %, le nombre d'entreprises exportatrices de 110 000 à 91 000 (contre 245 000 en Allemagne et 200 000 en Italie) ; la balance commerciale de la France, sur cette période, passe d'un excédent de 1 % du produit intérieur brut à un déficit de 3 % du PIB.

    On connaît la multiplicité des causes probables de cette situation, qui n'ont pas été traitées par les politiques économiques successives depuis trente ans : faiblesse de l'investissement, de l'appareil d'enseignement supérieur, non-intégration des jeunes, ensemble de contraintes (fiscales, financières, réglementaires) empêchant les petites et moyennes entreprises de grandir, de prendre des risques, de développer les innovations.

    A-t-on maintenant la capacité de rebondir, et quels sont les leviers que l'on peut mettre en oeuvre de manière à recréer un environnement de croissance ? Peut-on mobiliser des montants très importants d'épargne (peut-être 150 ou 200 milliards d'euros sur les cinq prochaines années) de manière à reconstituer un socle d'investissements et d'activités porteur de croissance, de création d'emplois raisonnablement qualifiés ? Quelles sont les autres réformes profondes nécessaires ? La difficulté est d'abord l'urgence, et aussi l'insuffisance de l'expertise publique ou privée qui nous permettrait de définir précisément un programme de redressement, d'où la faiblesse de nos débats. Donnons quelques exemples des points sur lesquels il faudrait avoir une expertise convaincante pour diriger les décisions et bâtir des politiques économiques efficaces.

    Connaît-on les impacts de tous les éléments de réforme et de remise à plat du système fiscal : quels sont les vrais degrés de mobilité internationale du capital, de la main-d'oeuvre qualifiée, ce qui conditionne la possibilité de modifier la fiscalité des revenus du capital, des revenus des ménages ? Quelle est la véritable efficacité des incitations au travail (fiscalité des heures supplémentaires, taux marginal d'impôt sur le revenu), à l'épargne de long terme, à l'épargne dans les entreprises innovantes ? Connaît-on tous les impacts du vieillissement démographique, non seulement sur les systèmes de retraite et de santé, mais aussi sur les nouvelles demandes, l'urbanisme, la localisation de l'habitat ? Sait-on vraiment ce que pèsent les différentes explications possibles, citées plus haut, de la trop faible taille des PME françaises ?

    Si on fait semblant de savoir, et que le débat est simpliste, si on ne sait pas où il faut mener les analyses et la réflexion pour éclairer les décisions importantes, alors les politiques économiques de redressement échoueront.

    Patrick Artus

    Directeur de recherche de Natixis

    Jean-Hervé Lorenzi

    Président du Cercle des économistes


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  • Pourquoi cibler les grandes banques ?

    Avinash Persaud


     

    LONDRES  – Il semblait qu’un nouveau modèle de gouvernance globale avait été forgé dans l’incandescence de la crise financière. Mais maintenant que les choses se sont calmées, différentes perspectives sur la régulation bancaire se font jour de part et d’autre de l’Atlantique.

    L’Europe se concentre sur la régulation des marchés financiers avec l’objectif de modérer les crises futures. Les erreurs de crédit, dit-on, se font en période d’effervescence, non lors d’un krach. De meilleurs règlementations et politiques monétaires pendant les années d’effervescence pourraient donc minimiser l’ampleur de n’importe quel effondrement.

    Aux Etats-Unis, par contre, il s’agit de trouver des moyens qui, tout en restant favorables au marché, permettraient de limiter les débordements générés par les faillites bancaires. Le débat politique aux Etats-Unis se concentre principalement sur comment faire en sorte que les banques ne soient jamais trop grandes pour échouer ; que les investisseurs privés, plutôt que les contribuables, soient ceux qui détiennent un capital libérable et convertissable en actions en cas d’un krach ; et que le fonctionnement des marchés hors cotes soit amélioré par une plus grande dépendance sur un système d’échange, de compensation et d’accords centralisés.

    Le principal point de convergence entre les approches européenne et américaine concerne les grandes banques. Cette convergence a moins à voir avec la régulation sur la taille ou la fonction des banques qu’avec le besoin commun de jouer sur la scène politique et d’augmenter les revenus fiscaux.

    Les bilans des banques sont toujours dangereux lorsqu’ils sont gonflés avec des effets de levier et c’est bien ce problème que les mesures de régulation ou les mesures budgétaires devraient adresser par la mise en place de réserves de liquidités et de ratios d’endettement. Car après tout, le problème n’est pas tant la taille des banques que l’effet de contagion des crises financières. Aucune liste d’institutions considérées trop grandes pour échouer établies en 2006 n’aurait inclue Northern Rock, Bradford & Bingley, IKB, Bear Sterns, ou même Lehman Brothers.

    Les banques prêtent aux banques ; donc, tandis que certaines sont peut-être plus illiquides que d’autres, elles sont toutes intrinsèquement des institutions illiquides. De petites faillites peuvent engendrer de grandes paniques ce qui veut dire que dans le cadre d’une crise, elles sont presque toutes trop grandes pour échouer. La réalité est que nous pourrions effectivement connaître un boum financier suivi d’un effondrement de l’ampleur de celui que nous venons de traverser, provoquant un enfer économique de même envergure, dans un monde uniquement constitué de petites banques.

    Ils sont nombreux à être convaincus que le fait que les banquiers estiment que leurs institutions sont trop grandes pour échouer, et que leurs emplois sont protégés, les encouragent à sous-estimer les risques qu’ils prennent. Mais si la plupart des banquiers raisonnaient ainsi, ils continueraient de s’inquiéter de leur épargne. En d’autres termes, ils ne se s’emmitoufleraient pas dans les actions de leurs entreprises et dans les produits à effet de levier qu’ils ont commercialisé.

    C’est pourtant bien ce qu’ils ont fait. Ce que les banques et les banquiers ont démontré par leur attitude est qu’ils n’ont pas plus prêter non pas parce qu’ils pensaient pouvoir s’en tirer à bon compte, mais parce qu’ils pensaient que c’était sûr. Ils ont été plus stupides que malveillants.

    Ce qui a principalement motivé les excès de crédits et de leviers est une vision erronée du risque très largement répandue. Les institutions les plus risquées n’étaient pas les plus grandes : des sociétés comme J.P. Morgan et HSBC se sont avérées plus sûres que certaines autres, et aucune des deux n’a eu besoin de recourir aux aides gouvernementales. Celles qui sont tombées étaient relativement petites, comme IKB, Bear Sterns, et consorts.

    Les grandes banques sont d’avis que la régulation devrait se focaliser moins sur la taille des banques que sur les risques qu’elles engendrent, et donc préférer une approche de « sensibilité au risque » – et le fait qu’elles gèrent des opérations et des bases de données parmi les plus risquées n’est pas la moindre des raisons, et une régulation basée sur la sensibilité au risque est plus onéreuse pour leurs concurrents plus petits. Mais cette approche se base sur un raisonnement tout à fait erroné : si les boums sont alimentés par une sous-estimation des risques, et si la régulation se concentre sur une approche d’estimation de ces risques, les boums seront plus grands et les chutes plus sévères.

    Un meilleur argument pour limiter la taille des banques est l’influence excessive des grandes banques sur la politique. L’objectif des législateurs devrait donc être de définir un système de régulation qui rendrait le système financier moins, et non plus, sensible aux erreurs d’estimation des risques par les marchés. Il y a deux manières de parvenir à cela.

    La première est de déterminer si cette erreur est corrélée à un cycle boum-effondrement. Les boums ont tous les mêmes caractéristiques – une forte croissance des bilans des banques et du crédit, et donc une augmentation de l’endettement. Ces tendances impliquent une probabilité croissante de sous-estimation des risques par les marchés, donc les régulateurs du risque systémique devraient augmenter les minima de capitaux propres dès qu’ils les perçoivent.

    Les exigences de capitaux contre-cycliques s’accordent avec cette idée et un éventail d’indicateurs pourraient permettre d’étalonner l’augmentation des minima de capitaux, mais avec peut-être une certaine discrétion. De nombreuses raisons permettent d’expliquer pourquoi le marché ne parvient pas à corriger les erreurs systémiques ; l’une d’elle étant que les boums sont toujours fondés sur la conviction des régulateurs comme celle des banques, que « cette fois-ci, c’est différent. » Souvenons-nous des études parues dans les rapports de stabilité des banques centrales sur le fait que le secteur financier a grandement bénéficié des dérivés de crédit.

    La deuxième manière de réduire la sensibilité du système financier aux erreurs d’estimations des risques est de limiter le flux des risques vers les institutions grâce à un moyen structurel plutôt que statistique de contenir ces risques. De cette manière, nous aurons moins de soucis lorsque ceux qui modélisent ces risques se tromperont.

    Le risque de crédit est mieux couvert par une diversification de crédits décorrélés. Le risque de liquidité est mieux couvert par une diversification dans le temps. Le risque du marché est mieux couvert par une combinaison de diversification des actifs et du temps pour décider du bon moment pour vendre. Par le passé, les risques avec volatilité de magnitudes statistiques similaires étaient considérés plus fongibles, et pouvaient circuler vers ceux préparés à les assumer.

    Mais alors que les banques avec un financement à court terme et de nombreuses branches proposant des prêts ont une réelle propension à développer des risques de crédit, elles ne comportent pas réellement de risque sur le marché, et moins encore de risque de liquidité. Les sociétés d’assurances et les fonds de pension, par contre, sont peu sujets aux risques de crédit, mais bien plus aux risques de liquidité et de marché.

    La conclusion pour les régulateurs est simple : la disposition au risque est liée à la maturité du financement, et non au qualificatif dont l’institution est affublée.

     

    Avinash Persaud, président de Intelligence Capital Limited et professeur Emeritus au Gresham College de Londres, a dirigé le sous-comité de la régulation de la Commission sur la réforme financière des Nations Unies.

    Copyright: Project Syndicate/Europe’s World, 2010.
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    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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