• Réfugiés de la guerre des monnaies, Unissez-vous !

    Mario I. Blejer and Eduardo Levy Yeyati


     

    BUENOS AIRES – La guerre des monnaies ressemble aujourd’hui à une véritable guerre, et ce, par deux aspects importants : une confrontation sur les déséquilibres structurels entre deux importants adversaires – la Chine et les Etats-Unis – a obligé les plus petits alliés inconfortables à prendre partie, et les tierces parties qui n’étaient pas nécessairement concernées subissent des dommages collatéraux de part et d’autres de la dispute.

    Les économies à la croissance rapide de l’Amérique Latine sont particulièrement vulnérables dans la mesure où elles sont confrontées à la fois à l’inflexibilité du taux de change de la Chine et à l’impact de la dépréciation du dollar résultant de la politique monétaire expansive de la Réserve Fédérale américaine.  

    Les mécanismes sont familiers : les dollars s’échappent vers les pays émergents à la recherche de meilleurs rendements, entrainant une pression haussière sur leurs monnaies. Le  Brésil, le Chili et la Colombie, entre autres, sont confrontés à ces forces puissantes de la hausse des monnaies. Cette pression est appuyée dans les pays d’Amérique Latine riches en ressources par l’augmentation des prix des matières premières causées par ces mêmes recherches de rendements et par la chute du dollar.

    Mais pourquoi les pays de l’Amérique Latine devraient-ils se soucier des afflux de capitaux et de la réévaluation de leurs monnaies ? Les afflux de capitaux ont traditionnellement toujours été considérés comme des transferts positifs d’épargne depuis les riches pays industriels vers les marchés émergents où les capitaux sont plus rares.

    Le scénario d’après crise révèle une région avec de biens meilleurs fondamentaux macroéconomiques que ceux du monde industriel. Les positions budgétaires sont solides et la dette publique ne représente que 32% du PIB de la région. En outre, le désendettement global est asymétrique, avec les économies latino-américaines profitant d’une croissance rapide tandis que celles des marchés émergents est à la traine – ce qui pourrait nécessiter une véritable correction des taux de change et donc justifier une réévaluation des principales monnaies de la région.

    Mais cette vision sanguine masque la perte de compétitivité qu’une réelle revalorisation pourrait provoquer. En effet, le « Mal Hollandais » - d’après la chute catastrophique de la compétitivité manufacturière des Pays-Bas après que la découverte de gaz naturel en mer du Nord aie provoqué une forte hausse de sa monnaie – constitue une réelle inquiétude. En lieu et place des ressources naturelles entravant la compétitivité de l’Amérique Latine (et d’autres pays en développement), ce sont les flux financiers qui provoquent cette maladie. 

    L’augmentation des afflux de capitaux pèse lourdement sur les secteurs de substitution d’importation et les secteurs exportateurs, et pourrait même les balayer si la hausse devait être conséquente et prolongée. Certaines économies devront supporter des dommages collatéraux émanant de part et d’autre de cette guerre, parce que, en plus des pressions procédant les excès de liquidités en dollars, ils pourraient devoir faire face à une plus forte concurrence (intérieure comme des marchés tiers) de la Chine, aussi longtemps que le renminbi demeurera en quasi-parité avec le dollar.

    Un cas exemplaire est celui du Mexique. Dans les dix-huit derniers mois, le peso a prix 6% de plus que le renminbi, érodant la compétitivité du Mexique face aux exportations chinoises aux Etats-Unis, de loin le plus important marché d’exportation du Mexique.

    Mais ceci n’est pas la seule conséquence du Mal financier Hollandais. La politique de facilité quantitative de la Fed exacerbe les excès de liquidités, ce qui pourrait entrainer de dangereuses bulles sur les marchés émergents. En gonflant artificiellement les actifs et la richesse dans les pays bénéficiaires, les afflux de capitaux obligent les économies émergentes à surconsommer, créant le même genre de conditions qui ont entrainé la crise récente – cette fois-ci dans des économies qui sont bien moins équipées que les Etats-Unis pour gérer les risques.

    Mais que se passera-t-il lorsque les Etats-Unis se rétabliront, inverseront la facilité quantitative, et remonteront leurs taux d’intérêt ?  Constaterons-nous une inversion des flux de capitaux, entrainant ainsi de sévères girations des taux de change ? Dans la mesure où cette éventualité est réelle, le Mal financier Hollandais représente une sérieuse menace pour les marchés émergents à la croissance rapide.

    Si le G20 doit jouer un rôle sérieux, il doit négocier une solution à cette situation. Malheureusement, le blocage de la coordination des politiques globales lors des récentes réunions entre le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale pourrait être une démonstration des limites de la surveillance multilatérale et de la coordination internationale.

    Dans un ultime effort désespéré, Le FMI invente maintenant des « rapports de débordements » pour quelques unes des économies systémiquement importantes qui seront conduits en marge de ses consultations par pays (Article IV). Cette initiative est vouée à l’échec – tout comme l’exercice de surveillance multilatérale du FMI ou les examens par les pairs du G20 ces dernières années. Même si de massifs débordements sont clairement avérés, il est difficile de comprendre comment cet exercice pourrait résoudre le problème fondamental derrière la guerre des monnaies : l’apparente réticence des principaux acteurs à réconcilier des intérêts nationaux foncièrement différents.

    Que devraient alors faire les économies latino-américaines ? Elles ont bien sur le droit de se défendre, que ce soit par une intervention sur le taux de change et l’accumulation de réserves qui en résulte (une option potentiellement profitable si les flux de capitaux sont effectivement temporaires), l’imposition de contrôles de capitaux, ou d’autres mesures monétaires macro-prudentielles visant à lisser les taux de change contrecycliques.

    Tout cela pourrait être fait (et l’est effectivement) de manière unilatérale. Le Chili n’est pas encore intervenu sur le marché des taux de change, mais la Colombie et le Pérou ont augmenté massivement leurs réserves étrangères. Le Brésil a montré une certaine agressivité avec des restrictions de capitaux, augmentant à deux reprises sa taxe sur les afflux de capitaux. Mais un manque de coordination pourrait entrainer un cercle vicieux de représailles, faisant de la guerre des monnaies un réel conflit commercial, avec des incidences compliquées pour toutes les parties concernées.

    Sinon, les économies de l’Amérique Latine pourraient tenter de mettre en place une coordination des politiques au niveau régional, dont les réalités économiques sont plus ou moins similaires, l’interdépendance plus directement ressentie, et le coût des débordements peut être internalisé plus facilement. Ce type de coordination régionale pourrait aussi améliorer la marche de manouvre des pays concernés, renforçant le poids de leur voix au niveau international. Dans ce cas, l’Amérique Latine pourrait passer de l’état de victime de guerre à un rôle important dans le processus de paix.

    Mario I. Blejer est ancien Gouverneur de la Banque Centrale de l’Argentine.

    Eduardo Levy Yeyati est professeur en économie à l’université Torcuato Di Tella de Buenos Aires, et ancien chef économiste à de la Banque Centrale argentine.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

    votre commentaire
  • Menaces sur le redressement économique américain

    Martin Feldstein

     

    CAMBRIDGE –La facture des importations américaines s'élève à 2400 milliards de dollars par an, soit plus de deux fois celles de la Chine plus celles des 27 pays de l'UE. Et comme les importations des USA varient en fonction de l'état de leur économie, il en est de même des exportations des autres pays.

    La reprise de l'économie américaine intervenue au cours de l'été l'année dernière a donc été accueillie avec un soupir de soulagement dans le monde entier, 19 mois après le début de la récession qui a débuté officiellement en décembre 2007. Malheureusement cette reprise est anémique. Aujourd'hui, après un an et trois mois d'expansion, le PIB réel reste inférieur à ce qu'il était au début de la récession.

    Plus inquiétant, son taux de croissance est en baisse quasiment constante depuis le début de la reprise. Du fait de la fin de la baisse des stocks, la croissance du PIB réel a été de 5% au cours du quatrième trimestre 2009, mais elle a ensuite chuté à 3,7% au cours du premier trimestre 2010, pour atteindre 1,7% au cours du deuxième trimestre. Et la situation ne devrait guère évoluer au cours du troisième trimestre.

    Cette reprise est moins forte que les précédentes en raison de différences fondamentales dans la cause de la crise et des mesures adoptées pour la combattre. Les crises antérieures étaient dues à la hausse des taux d'intérêt à court terme décidée par la Banque centrale pour prévenir ou lutter contre l'inflation. L'objectif atteint, elle diminuait ces taux et l'économie redémarrait.

    Mais cette fois-ci la crise n'est pas due à des taux d'intérêt élevés, c'est pourquoi leur diminution n'a pas entraîné une reprise vigoureuse. Cette récession est due à une mauvaise évaluation du coût du risque, ce qui a conduit à un endettement excessif et à une surévaluation de tout un éventail d'actifs. Lorsque cette bulle des prix a éclaté, le patrimoine des ménages a perdu substantiellement de sa valeur et les marchés financiers sont devenus dysfonctionnels.

    La crise n'étant pas due à des taux d'intérêt élevés, les baisser ne pouvait permettre de sortir de la récession. Aussi l'administration Obama a-t-elle eu recours à des mesures de stimulation budgétaire (des baisses d'impôt et des programmes d'investissement) qui malheureusement n'ont pas été très bien conçues. De ce fait elles n'ont pu suffi à remettre l'économie sur la voie d'une croissance forte et durable. Maintenant que ces mesures touchent à leur fin, l'économie court le risque de ralentir ou même de retomber dans la récession.

    La demande des ménages est l'une des clés du redémarrage de l'économie américaine. Même si leur consommation a augmenté durant les 12 derniers mois, soutenue en cela par des subventions gouvernementales, la croissance de leurs dépenses est restée inférieure à celle du PIB car les Américains ont épargné davantage – leur taux d'épargne passant de 2% de leur revenu net en 2007 à 6% au cours des derniers mois.

    Si ce taux continue à monter au même rythme que durant les trois dernières années, le PIB pourrait diminuer. On ne peut prévoir avec certitude l'évolution du taux d'épargne, mais rappelons-nous qu'il était en moyenne de 9% entre 1960 et 1985. S'il atteignait prochainement ce niveau, il n'est pas sûr que le PIB continuerait à croître. A long terme, un taux d'épargne élevé serait favorable à l'économie américaine, mais constituerait un obstacle à la croissance au cours des prochaines années.

    L'état actuel du marché immobilier résidentiel constitue un obstacle à la croissance de la consommation des ménages. La hausse rapide des prix de l'immobilier depuis 2006 a poussé les ménages à augmenter leur consommation, financée en partie par des prêts sur leur capital immobilier. Mais le prix de l'immobilier a chuté en moyenne de 40%, laissant le tiers des propriétaires aux prises avec des hypothèques d'un montant supérieur à la valeur de leur logement.

    La baisse de la valeur de leur patrimoine a contraint les ménages à réduire leurs dépenses, la baisse de la valeur nette de leur logement les empêchant d'emprunter pour consommer davantage. Et la fin récente d'un crédit d'impôt en faveur des primo-accédants à la propriété a entraîné une nouvelle baisse des prix de l'immobilier. Si elle devait se prolonger, la consommation des ménages diminuera encore.

    Il y a seulement quelques mois, les économistes prévoyaient un taux de croissance du PIB d'au moins 3% au cours du deuxième semestre de cette année. Mais ils ont maintenant réduit leur prévision à moins de 2%, ce qui est insuffisant pour lutter contre le chômage élevé que nous connaissons. Ils annoncent maintenant que le taux de croissance de 3% sera atteint en 2011. Espérons que cette fois-ci ils ne se trompent pas.

    Martin Feldstein est professeur d’économie à Harvard. Il a dirigé le comité des conseillers économiques du président Reagan et a présidé le Bureau national de la recherche en économie (NBER).

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

    votre commentaire
  • Le commentaire de Laurent Cohen-Tanugi

    Le monde d’après  

    Rien ne sera plus comme avant : aux yeux de nombre de bons esprits, la crise mondiale de 2008-2009 devait marquer une rupture radicale avec les errements et les excès des vingt dernières années et l’après-crise engendrer un monde meilleur. Deux ans après, nous sommes bien loin de cette douce utopie : non seulement la crise se poursuit sous d’autres formes, mais le « monde d’après » s’annonce peu réconfortant.Après la panique systémique de 2008, la crise s’est installée. En Europe, croissance atone, chômage massif, crise des finances publiques et austérité généralisée, tandis que la situation irlandaise et l’aggravation des déséquilibres macro économiques entre l’Allemagne et ses voisins nous rappellent que la crise de la zone euro reste d’actualité. Aux Etats-Unis, où, contrairement à l’Europe, la persistance d’un taux de chômage proche de 10 % représente un mal inédit, la « croissance sans emploi » a de nouveau fait place au spectre de la récession.Seuls les pays émergents tirent leur épingle du jeu, en même temps que la croissance mondiale, mais au prix de la pérennisation des déséquilibres commerciaux et monétaires globaux ayant contribué à la crise et d’un regain des tensions entre la Chine et ses partenaires américain, européens et asiatiques.Au-delà de l’accord bienvenu sur la réforme de la gouvernance du FMI, la dernière réunion des ministres des Finances du G20 ne devrait pas changer grand-chose. Il est probable que la prochaine bulle financière éclatera quelque part dans ce nouveau monde, où l’afflux massif de capitaux étrangers à la recherche de rendements attractifs déstabilise les monnaies nationales et où les banques des pays développés exportent sans complexe le type d’instruments et de montages financiers à l’origine du krach de 2008. Les flux de capitaux américains investis en actifs des pays émergents ont ainsi presque doublé en un an. Mais, au-delà de la sphère économique, les effets politico-stratégiques de la crise sont également préoccupants.A l’échelle internationale, on comptera au rang des premières victimes le projet de loi énergie-climat de l’administration Obama et les répercussions du blocage à Washington sur les  négociations internationales post-  Copenhague. En matière de sécurité, le déficit budgétaire américain, la réduction des dépenses militaires europé ennes ainsi que celle du budget de l’Otan aggraveront l’affaiblissement géopolitique de l’Occident au profit des puissances montantes, au premier des rangs desquelles la Chine. Dans ce pays, la poursuite du miracle économique ne s’accompagne d’aucune libéralisation politique ou d’un quelconque progrès des droits de l’homme et des libertés publiques, comme en a témoigné la réaction du pouvoir à l’attribution du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo.Outre-Atlantique, malgré la vacuité de l’agenda républicain, les électeurs s’apprêtent à faire payer au Parti démocrate et à une administration Obama en pleine recomposition son incapacité à juguler la crise. Le programme TARP de sauvetage des banques américaines, qui vient de se terminer, demeure des plus impopulaires dans l’opinion, à l’heure où celles-ci affichent des profits record.Mais c’est en Europe, y compris dans cette Europe du Nord traditionnellement associée à la réussite économique et à la tolérance, que la dégradation du climat politique est la plus sensible : entrée des populistes au Parlement suédois, emprise du parti d’extrême droite de Geert Wilders sur la coalition néerlandaise au pouvoir, montée de l’extrémisme et de l’islamophobie en Autriche, Hongrie, Danemark, Norvège, débat sur le multiculturalisme en Allemagne… Au cœur de la zone euro, le couple franco-allemand peine à s’accorder sur un renforcement de la gouvernance économique européenne et se divise sur le projet de bouclier antimissile de l’Otan.Quant à la France, la flambée sociale suscitée par la réforme des retraites  continue à méduser l’opinion internationale, peu encline à s’attarder sur les subtilités de nos régimes sociaux, les maladresses du pouvoir ou les angoisses des lycéens. Une certaine image de la France dans le monde, mal dans sa peau et rétive au changement : voilà une réalité que la crise n’aura pas non plus améliorée. Il faudra sans doute beaucoup plus de temps et d’efforts pour que du maelström actuel émerge, il faut l’espérer, un nouvel ordre international.

    Laurent Cohen-Tanugi est avocat et essayiste.


    votre commentaire
  • Nouvelles alliances

     

    Quand Jeroo Billimoria, chercheuse au Tata Institute of Social Sciences de Bombay, lança en 1993 son programme pour permettre aux enfants des rues d'être mis en relation, à partir d'une cabine téléphonique, avec des associations d'aide, elle n'imaginait pas que, en une dizaine d'années, son projet, Childline, passerait de l'échelle d'une ville à celle d'une centaine de pays dans le monde.

    En examinant de plus près le projet de Jeroo Billimoria, on se rend compte que cette réussite tient à deux raisons majeures : la force de son innovation et sa capacité à faire connaître son idée à d'autres organisations, qui l'ont ensuite dupliquée.

    Contrairement à une idée reçue, augmenter l'impact ne passe pas nécessairement par un changement d'échelle de l'organisation initiatrice, mais par une stratégie d'alliances fondée sur la volonté de partager son innovation.

    C'est là une grande différence avec le " monde des affaires " : les entrepreneurs sociaux ne cherchent pas à s'accaparer un marché, mais à rendre leurs idées visibles et lisibles, et à permettre la reprise de leurs concepts le plus largement possible. Plus ils sont imités, plus ils considèrent avoir réussi !

    Au sein d'Ashoka, nous travaillons au renforcement des projets de nos 3 000 " fellows " (entrepreneurs sociaux innovants sélectionnés par Ashoka), comme Jeroo, mais aussi et surtout au partage de savoir-faire, à l'exportation ou à l'importation d'innovations sociales. Pourquoi réinventer la roue lorsque vous pouvez répliquer un modèle qui marche ?

    Les entrepreneurs sociaux ont longtemps recherché leurs alliés dans leur propre secteur, au sein d'organisations à but non lucratif, présentant les mêmes caractéristiques et valeurs qu'eux. Une alliance naturelle et rassurante.

    Mais, en raison de la fragmentation du secteur, du manque critique de moyens, ce type d'alliance s'est révélé insuffisant pour faire face à la complexité et à l'immensité des enjeux planétaires.

    la chronique d'Arnaud Mourot

    Parallèlement, avec l'essor du concept de responsabilité sociale d'entreprise notamment, certaines sociétés ont commencé à s'interroger sur le rôle social qu'elles pouvaient jouer dans leur écosystème, et à engager quelques actions, non sans difficulté car elles manquaient souvent de réflexes et de légitimité dans un domaine nouveau pour elles.

    Il y a donc lieu, à l'intersection de ces deux mondes, d'imaginer des alliances d'un nouveau type. Des coopérations aux formes multiples entre entrepreneurs sociaux et entreprises privées, non plus nécessairement selon une logique verticale de mécénat, mais selon une logique de création de valeur en commun, ou de chaîne de valeur hybride.

    Ashoka travaille depuis des années à favoriser ces nouvelles alliances, initialement dans une logique de " base de la pyramide " (donner accès à des produits de base aux plus démunis) dans les pays du Sud, et désormais de plus en plus dans les pays du Nord, dans les domaines du logement, de l'agriculture, du recyclage ou de la santé.

    Gains de productivité

    Il est encore trop tôt pour connaître l'impact réel de ces nouveaux modes de coopération ; mais on observe déjà que la mise en commun de moyens humains et financiers, de savoir-faire et de technologies du côté des entreprises, et d'innovation sociale, de réseaux locaux et d'un " capital confiance " du côté des entrepreneurs sociaux, permettent des gains de productivité et d'impact très significatifs.

    Bien sûr, cela suppose une volonté de travailler avec des gens qui ne vous ressemblent pas, de créer un climat de confiance, d'accepter les risques (et les reproches !) inhérents à cette approche. Pour autant, les premiers acteurs qui relèveront ce défi auront un avantage à l'avenir, tant en termes de mobilisation de leurs équipes que de découvertes d'opportunités de développement jusque-là inaccessibles en raison de leur mode de fonctionnement et de pensée traditionnels.

    Accélérer le changement social au niveau mondial est donc d'abord une question d'innovation et d'alliances nouvelles, avant d'être un débat technique et de définition des frontières de l'entrepreneuriat social. C'est une histoire de femmes et d'hommes prêts à inventer de nouveaux modèles. Qu'ils travaillent pour une organisation non gouvernementale (ONG), une entreprise, une administration ou le monde académique, qu'ils soient entrepreneurs ou intrapreneurs (promoteurs d'innovation au sein d'une société), l'important est qu'ils aient tous compris qu'ils pouvaient être acteurs de changement.

    Nicolas Arnaud Mourot (Ashoka)

    Arnaud Mourot est directeur général d'Ashoka France, Belgique et Suisse (www.ashoka.fr).


    votre commentaire
  • Le système financier menacé de zombification
    Non seulement la crise n'est pas finie, mais en plus de nouveaux nuages s'accumulent à l'horizon, avec notamment le scandale de la titrisation.

     

    - Un trader à la Bourse de Bombay, octobre 2008. REUTERS/Arko Datta -
     

    Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’un nouveau tsunami s’annonce à l’horizon: une nouvelle dépression mondiale est en train de se mettre en place. D’abord, celle déclenchée en 2007 par la crise des subprimes n’a jamais été réglée. Et toutes les actions lancées depuis l’ont été en vain: la baisse des taux d’intérêt n’a pas fait repartir la croissance et n’a fait que nourrir des turpitudes nouvelles, rendant plus facile à supporter l’endettement public, et permettant de retarder les réformes de structures nécessaires. Au total, les banques ont reconstitué leur fonds propres pendant que les contribuables sont de plus en plus endettés et les chômeurs de plus en plus nombreux, et sur des durées de plus en plus longues.

    Contrairement au discours dominant, la crise actuelle n’est pas terminée.

    Et pendant ce temps-là, la Chine...

    Tout cela était prévisible. Tout cela était prévu. Et on assiste bien, avec l’endettement public et la baisse des taux, à l'ultime beuverie annoncée d'alcooliques jurant pourtant tous les jours de devenir abstinents.  

    De plus, de nouveaux nuages s'accumulent à l’horizon, avec l’énorme scandale de la titrisation, dont on vient de découvrir qu’elle n’était pas seulement risquée mais aussi frauduleuse; ce scandale commence à peine à être perçu et il provoquera de formidables soubresauts nouveaux, remettant en cause les fondements mêmes du système financier américain, dont la responsabilité dans la crise ne se limite pas à l’imprudence, mais va jusqu’au crime; et dont l’influence sur le système politique américain, y compris sur l’administration Obama, s’est révélée désastreuse.

    Face à cela, les principaux pays ont des stratégies divergentes: les Etats-Unis distribuent à l’infini des moyens de paiement, pendant que les Européens empilent les plans d’austérité sans utiliser leurs marges collectives d’emprunts. Les uns laissent filer leur taux de change, pendant que les autres le défendent. Pendant ce temps, la Chine accumule de plus en plus de réserves de change et se prépare à mettre la main sur les plus grands actifs de la planète.

    La crise ne peut alors que prendre une nouvelle ampleur: la zombification des banques japonaises menacera le reste du système financier mondial; la consommation ne repartira pas et le chômage grandira, avec les déficits.

    Chaque pays, n’ayant plus de marges de manœuvre budgétaire, ne pourra employer les moyens qui, en 2008, ont permis de ralentir la crise, et le G20, toujours aussi vain, restera incapable d’enrayer cette spirale dépressive.

    Les pistes de réflexion

    En réaction, on assistera —on assiste déjà— dans bien des pays, du Nord, comme du Sud, à une guerre des monnaies pour défendre une maigre croissance en réduisant celle des autres. Elle sera suivie de mesures protectionnistes sur les marchés des capitaux, puis sur ceux des biens et services. Puis d’une hausse des prix des matières premières, forme moderne de l’inflation provoquée par la création monétaire. 

    On sait pourtant très bien ce qui est à faire: les Etats-Unis devraient mettre de l'ordre dans leurs comptes par des hausses d'impôts. Les Européens, contraints individuellement de se désendetter pour retrouver des marges de manœuvre, devraient relancer leur machine en se dotant d'une capacité continentale d'emprunt. Les Chinois devraient développer au plus vite leur consommation intérieure et réduire leur taux d’épargne. De grands projets mondiaux, industriels et publics, seuls capables de redonner des fondements sains à la croissance, devraient être lancés et financés par de grands emprunts mondiaux.

    Naturellement, rien de tout cela ne sera décidé par le prochain G20 de Séoul. Tout pourrait l’être par celui qui sera ensuite présidé par la France.  

    Peut-on espérer qu’on s’y lance sans attendre la catastrophe? On peut encore l’espérer; même si l’Histoire nous apprend que les hommes ne se dépassent que lorsqu’ils sont acculés.

    Jacques Attali

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique