• Grande-Bretagne, le laboratoire de l'hyper-rigueur

     

     

    Le gouvernement de David Cameron va appliquer un plan de rigueur sans précédent. Les économistes sont divisés sur le réel impact pour la reprise économique.

    Le gouvernement britannique n'aura pas reculé, présentant mercredi un budget d'hyper-rigueur pour les quatre prochaines années. L'objectif - ramener le déficit de 11 % du PIB en 2010 à 2 % d'ici 2014-2015 (année d'avril à mars)- avait déjà été présenté en juin. Mais les mesures ont été présentées en détail : chaque ministère va subir en moyenne une coupe de 19 % en valeur réelle (c'est-à-dire corrigée de l'inflation) d'ici quatre ans. Ce sont essentiellement les dépenses d'investissement qui vont être réduites (? 29 % en valeur réelle sur quatre ans), mais les dépenses courantes sont aussi réduites de 8,3 %. La Santé et l'Éducation sont relativement épargnées, mais les collectivités locales, le ministère de l'Intérieur et la Justice sont les principaux perdants. Et les allocations sociales, déjà fortement réduites en juin, font encore l'objet d'un tour de vis.

    « La Grande-Bretagne se lance dans une expérience économique grandeur nature, estime Tony Travers, de la London School of Economics. Les économistes sont actuellement divisés sur les effets de ces coupes, entre ceux qui pensent que cela va étouffer la reprise et ceux qui pensent que c'est nécessaire pour redresser les comptes. D'ici un an, nous saurons qui avait raison. »

    Plusieurs scénarios

    Le gouvernement britannique se défend de prendre le risque d'étouffer la croissance (qui devrait tourner autour de 1,5 % en 2011), estimant que le risque de ne pas suffisamment réduire le déficit est bien plus important. « Si des doutes reviennent sur les marchés obligataires, les pays qui seront les plus touchés seront ceux qui auront la plus forte dette », considère Mark Hoban, secrétaire d'Etat à la City. Néanmoins, une telle rigueur aura nécessairement des conséquences sur l'économie. Selon Mervyn King, le gouverneur de la banque d'Angleterre, la prochaine décennie sera « sobre ». De fait, avec son plan de rigueur, le Royaume-Uni remet l'avenir de son économie entre les mains de l'économie mondiale. « Plus celle-ci sera solide, plus le Royaume-Uni aura de chances de survivre intact à la douleur budgétaire, estime Howard Archer, économiste à Global Insight. Sinon, le pays pourrait connaître de graves difficultés. »

    Dans un tel scénario, Londres a-t-il un plan B, pour ralentir les coupes budgétaires ? Officiellement, il n'en est pas question. Mais quelques mémos du gouvernement ont déjà fait l'objet de fuites, parlant de différer certaines mesures. « Nous suspectons que c'est ce qui va se passer », estime le National Institute of Economic and Social Research (NIESR). Réponse dans un ou deux ans, selon que l'expérience britannique fonctionne ou pas.

    Par Eric Albert, à Londres

    Suppression de 490.000 fonctionnaires

    490.000 emplois dans la fonction publique seront supprimés d'ici 2015, estime le gouvernement - le détail par ministère sera connu ultérieurement -, soit un fonctionnaire sur douze. L'opposition travailliste calcule qu'un total d'un million d'emplois seront perdus, intégrant le secteur privé qui dépend directement des contrats passés avec l'État. Si l'essentiel se fera par le non remplacement de départs, « il y aura des licenciements », affirme le chancelier George Osborne. Le gouvernement parie sur la capacité du secteur privé à compenser ces emplois. « Durant les trois derniers mois, 178.000 emplois ont déjà été créés », souligne George Osborne. Nombre d'économistes sont sceptiques. « Je doute que le secteur privé puisse entièrement compenser ces départs », juge Howard Archer, économiste chez Global Insight. En ce cas, le chômage, actuellement à 7,8 %, augmentera d'ici 2015. E. A.

    La retraite à 66 ans dès 2020

    L'une des principales sources d'économies du budget va venir des aides sociales et de la retraite. Classées sous le titre « welfare », elles représentent près du tiers du budget de l'État. Pour les réduire, l'âge de la retraite d'État va passer à 66 ans dès 2020, six années plus tôt que prévu. En outre, les cotisations sociales des retraites du secteur public vont augmenter. La hausse pourrait atteindre 2 % du salaire par an. Parmi les aides sociales, la réduction la plus impressionnante porte sur les aides aux logements, dont le budget est divisé par deux. Pour faire face, les associations ou mairies qui gèrent ces logements sociaux pourront majorer les loyers des HLM qui passeront de 50 % par rapport aux prix du secteur privé à 80 % (la mesure ne sera pas rétro-active). Enfin, l'âge minimum pour toucher certaines aides au logement passe de 25 à 35 ans. E. A.


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  • Pacte de stabilité Le putsch Merkel - Sarkozy

     The Guardian Londres



    Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Deauville, le 18 Octobre 2010.

     

    Une semaine avant le sommet européen destiné à stabiliser la zone euro, le président français et la chancelière allemande ne se sont pas seulement accordés sur de nouvelles règles en matière de budget, ils ont également appelé à une réforme du traité de Lisbonne. Un coup monté, murmure-t-on à la Commission.

    La France et l’Allemagne sont tombées d’accord pour assouplir le nouveau et strict régime de sanctions imposé aux pays ne respectant pas les critères budgétaires de la zone euro. Et ce une semaine avant la tenue d’un important sommet européen où devrait être ratifié un système de pénalisation pour renforcer la monnaie unique.

    Les hauts responsables européens chargés de préparer les nouvelles règles pour protéger l’euro d’un effondrement tel que celui qui l’a menacé après la crise de la dette grecque, ont tenté de faire bonne contenance en apprenant le coup de force franco-allemand. Des responsables de la Commission européenne ont toutefois reconnu l’existence de manœuvres entre Paris et Berlin qui voudraient assouplir le nouveau régime monétaire pour laisser davantage d’espace aux tractations politiques.

    Auteurs d’une autre décision hautement contestable, Angela Merkel, la chancelière allemande, et Nicolas Sarkozy, le président français, ont également décidé de revenir sur le traité de Lisbonne, la quasi Constitution européenne, afin d’obliger les pays en difficulté, comme la Grèce, à se déclarer en faillite et à renoncer à leur droit de vote dans les Conseils européens.

    Sarkozy a cédé pour rouvrir le traité de Lisbonne

    Le 18 octobre au soir, lors d’un sommet à Deauville, Nicolas Sarkozy a cédé aux pressions allemandes pour rouvrir le traité de Lisbonne, en échange de quoi Berlin devrait cesser de plaider pour l’application de sanctions automatiques contre les contrevenants à la discipline budgétaire dans la zone euro.

    Cette demande de réouverture du traité de Lisbonne devrait soulever une forte vague de résistance auprès de dirigeants européens épuisés par neuf pénibles années de finalisation du texte, lequel a été mis en œuvre l’année dernière.

    Cette décision pourrait également mettre David Cameron en difficulté. Opposé au traité, le Premier ministre britannique se verrait demander d’organiser un référendum national en cas de renégociation du texte. "Si les responsables européens veulent un nouveau traité, ils doivent d’abord passer par un référendum populaire. Voilà l’occasion pour David, l’homme de fer, de tenir sa vieille promesse de référendum sur l’Europe . J’y croirai quand je le verrai de mes propres yeux", a déclaré Marta Andreasen, eurodéputée de l’UKIP parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. En cas de modification du traité, Cameron pourra toutefois dire que les changements ne concernent que les pays de la zone euro, dont le Royaume-Uni ne fait pas partie, et qu’un scrutin national n’est donc pas nécessaire.

    Une nouvelle discipline budgétaire attendue depuis des mois

    Cela fait six mois que les responsables européens préparent leurs plans pour une "bonne gouvernance économique européenne" afin de répondre à la crise de la dette grecque qui a failli ruiner la monnaie européenne et a créé une crise de financement sans précédent (il a fallu un plan de 750 milliards d’euros pour sauver l’euro). Soulignant que le désastre grec ne devait plus jamais se reproduire, les dirigeants européens ont insisté sur la création d’une nouvelle discipline budgétaire pour les 16 pays membres de la zone euro, avec d’importantes pénalités en cas de dette ou de déficit excessifs.

    Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, a été chargé de former une équipe de responsables financiers européens pour définir les nouvelles règles budgétaires. Réunis lundi pour la dernière fois, leurs travaux devraient être présentés lors d’un sommet européen la semaine prochaine. Dans le même temps, la Commission a également formulé diverses propositions.

    Le projet de réglementation présenté en septembre par Olli Rehn, commissaire aux Affaires économiques et monétaires, prévoit des amendes de 0,2% du PIB pour tous les contrevenants au pacte de croissance et de stabilité (fixant le déficit budgétaire autorisé à moins de 3% du PIB et la dette publique à moins de 60% du PIB). Les sanctions seraient appliquées de manière quasi automatique, sur ordre de la Commission, et ne pourraient être levées qu’après un vote à la majorité qualifiée des gouvernements européens. Le dispositif vise à éviter les tractations politiques qui deviennent inévitables lorsque les décisions sont prises au niveau des gouvernements européens.

    La France et l'Allemagne affaiblissent une nouvelle fois le pacte

    En tant que bon élève de la discipline budgétaire, l’Allemagne était le premier partisan du système de sanction automatique. Sarkozy a pris la tête de l’opposition en faisant valoir la primauté du politique et des gouvernements élus en matière de budget national.

    L’accord franco-allemand prévoit l’application "automatique" des sanctions mais précise que la décision serait du ressort des ministres européens des Finances et non de la Commission européenne, augmentant ainsi les possibilités de négociations politiques.

    "En 2004, c’est la France et l’Allemagne qui affaiblissaient le pacte de stabilité. Voilà qu’ils recommencent", déclare un haut responsable de la Commission. Les médias allemands déplorent les concessions accordées par Angela Merkel. "Le gouvernement a brillamment échoué à faire du  nouveau pacte de stabilité un véritable instrument de discipline budgétaire", conclut le Financial Times Deutschland

    Reactions
    Une occasion manquée

    "L'Europe a raté l'occasion de sanctionner les économies irresponsables, qui ne respectent pas les accords communs”, regrette Hospodárske noviny, en précisant que la Slovaquie, le dernier Etat à avoir adopté l’euro, et récemment critiquée pour ne pas avoir contribué au plan de sauvetage de la Grèce, s’est prononcée en faveur de l’application de sanctions automatiques à l’encontre des pays excessivement dépensiers. “Tout restera pareil : les sanctions dépendront du pouvoir politique et pas des résultats économiques", s’indigne le journal de Bratislava.

    De son côté, La Vanguardia parle d’une "réforme décaféïnée" et note que "la touche finale à la réforme du Pacte de stabilité n’a pas été posée à Luxembourg", par l’Eurogroupe, "mais à Deauville", entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, qui "se sont accordés sur la création d’un fond de sauvetage permanent" afin de préserver la stabilité de la zone euro. Dans le quotidien néerlandais De Tijd, l’économiste américain Melvyn Krauss note à ce sujet que "les Allemands aiment bien se plaindre, en affirmant qu’ils sont ‘les sauveurs financiers de l’Europe’". Or, leur opération de sauvetage pour les pays de l’Europe du sud n’est qu’un sauvetage indirect des banques allemandes (et françaises). Ils ne sont pas du tout ‘victimes de l’euro’". Au contraire, estime-t-il, "c’est plutôt l’euro qui a sauvé l’Allemagne, et non l’inverse ".


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  • Les pays émergents tentent de lutter contre l'envolée de leurs devises

    Des nations d'Asie et d'Amérique du Sud sont confrontées à un afflux massif de capitaux

    Au rythme actuel, le poids économique de l'Asie pourrait égaler celui des Etats-Unis et de l'Europe réunis d'ici à 2015. Voilà le constat dressé par le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, à l'issue d'une réunion avec des responsables des grandes banques centrales, à Shanghaï, lundi 18 octobre. Mais cette croissance fulgurante a son revers.

    Comme l'a souligné M. Strauss-Kahn, la région est confrontée à un raz-de-marée de capitaux étrangers : " Une superbe opportunité mais aussi un grand défi " aux conséquences potentiellement " déstabilisantes ", notamment en termes de taux de change. Cet afflux, marque de confiance des investisseurs pour des pays qui tirent la reprise mondiale, est démultiplié par le grand désordre qui règne sur le marché des changes.

    Dans la perspective d'un nouvel assouplissement monétaire aux Etats-Unis, le dollar est en chute libre. Les capitaux, en quête de rendements, affluent vers les puissances émergentes en Asie, mais aussi en Amérique latine, particulièrement au Brésil, et poussent les monnaies à la hausse.

    Ces pays s'inquiètent désormais à voix haute pour leur compétitivité. Afin de préserver des exportations vitales à leur croissance, ils tentent d'affaiblir leurs devises. En plus d'interventions directes sur le marché des changes, certains ont commencé à prendre des mesures pour contrôler les entrées de capitaux.

    Le Brésil, par exemple, dont le ministre des finances, Guido Mantega, a évoqué fin septembre une " guerre des monnaies ", a relevé, lundi, pour la seconde fois en quinze jours, l'impôt que doivent acquitter les détenteurs étrangers d'obligations brésiliennes (de 4 % à 6 %).

    Même scénario en Thaïlande : pour endiguer la montée du baht, qui a pris 12 % face au dollar depuis le début de l'année, Bangkok a instauré, mardi 12 octobre, une taxe de 15 % sur les intérêts et les plus-values des investissements étrangers en dette souveraine.

    Achats massifs de dollars

    La Corée du Sud et l'Inde ont aussi indiqué réfléchir au moyen de maîtriser le flux de capitaux spéculatifs. Mais tout ce branle-bas de combat alimente les tensions sur le marché des changes. Le Japon s'en est ainsi pris à la Corée du Sud, accusée d'être intervenue massivement pour affaiblir sa devise, le won.

    En tant que président en exercice du G20, Séoul " devra fournir des réponses claires " sur ce point, a réclamé le ministre des finances japonais, Yoshihiko Noda, mercredi 13 octobre. L'Archipel a pourtant lui-même tenté, mi-septembre, de ralentir l'envolée du yen en procédant à des achats massifs de dollars. Mais Tokyo affirme qu'il s'agissait surtout de corriger une excessive volatilité des changes et exhorte la Corée du Sud à agir " de façon responsable, conformément aux règles communes ". Une injonction qui s'adresse aussi à la Chine : le géant d'Asie souffre moins que ses voisins de la faiblesse du dollar, puisqu'il contrôle étroitement la valeur de sa devise, le yuan.

    La situation peut-elle s'envenimer ? " Nous allons continuer à voir des conflits, particulièrement en Asie de l'Est ", a déclaré He Fan, un économiste de l'Académie chinoise des sciences sociales participant à la conférence de Shanghaï, lundi.

    Début octobre, par la voix de son chef économiste, Olivier Blanchard, le FMI a appelé " de nombreuses économies émergentes " à ne pas freiner l'appréciation de leurs devises. Visés : le yuan, bien sûr, mais aussi le real brésilien et " un certain nombre de monnaies asiatiques ". En clair, compte tenu de la vigueur de sa croissance, le monde émergent doit accepter un ajustement des taux de change vis-à-vis du monde industrialisé qui peine à sortir de la crise.

    Mais une démarche collective est nécessaire pour mener à bien ce " rééquilibrage international ", insiste le FMI. " L'esprit de coopération doit être maintenu. Sans cela, la reprise est en péril ", a déclaré, lundi, M. Strauss-Kahn, regrettant que " des pays - fassent - de plus en plus cavalier seul ".

    Marie de Vergès


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  • Un moratoire européen sur les aliments issus du clonage

    La Commission propose une pause de cinq ans, le temps de se doter d'une législation sur les " nouveaux aliments "
    Bruxelles Bureau européen

     

    La Commission européenne devait proposer, mardi 19 octobre, à Bruxelles, de mettre en place un moratoire d'au moins cinq ans sur la production et l'importation d'aliments directement issus d'animaux clonés. L'interdiction ne vaudrait pas pour le clonage à des fins de recherche, de protection d'espèces animales en danger ou de traitements médicaux.

    John Dalli, le commissaire en charge de la santé, entend mettre sur les rails une réglementation spécifique au clonage, au moment où d'autres pays, dont les Etats-Unis, n'excluent pas de s'engager dans la voie d'une exploitation commerciale de cette technique. Avec cette proposition, le commissaire cherche à faire d'une pierre deux coups : d'une part, prendre position sur le terrain du clonage, quatorze ans après la naissance de Dolly, la première brebis clonée au Royaume-Uni ; de l'autre, débloquer les négociations sur une législation encadrant les " nouveaux aliments " : ce texte concernera toutes les techniques apparues depuis 1997, que ce soit à travers les nanotechnologies ou le clonage.

    Très remonté, le Parlement européen réclame, sur ce dernier point, un moratoire large, concernant aussi bien les animaux clonés que leur progéniture. Il demande d'interdire la commercialisation d'aliments issus des clones, mais aussi l'importation de semences et d'embryons issus de cette technologie.

    A ce jour, parmi les Etats européens, seul le Danemark a interdit toute utilisation du clonage à des fins commerciales. Sans aller aussi loin, la Commission devait annoncer son intention de proposer, d'ici à début 2011, une réglementation spécifique au sujet des animaux clonés. Le moratoire envisagé ne concerne à ce stade que les animaux clonés, mais par leur progéniture. Il pourra être levé ou prolongé, au choix, au bout de cinq ans.

    En choisissant une voie intermédiaire, John Dalli tient compte du positionnement de certains laboratoires européens, dont l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) en France, très en pointe dans ce domaine.

    A ce jour, le commerce, l'usage et l'importation des produits du clonage (alimentation, semences, embryons) ne sont pas interdits par la législation européenne. Une pré-autorisation de mise sur le marché serait juste requise pour ce type de produits alimentaires, mais aucune demande n'a jusqu'à présent été déposée.

    La position européenne, telle qu'elle s'esquisse à Bruxelles, tranche avec celle des Etats-Unis : la Food and Drug Administration (FDA) n'a pas exclu d'y autoriser la fabrication d'aliments à partir de la progéniture de clones de bovins, de porcins et de caprins. Un moratoire y est par ailleurs en place sur les produits directement issus de clones, comme le lait et la viande.

    Pour ne pas braquer les pays tiers, la Commission n'envisage pas d'interdire les importations de semences et d'embryons provenant de clones ou de leurs descendants : un tel moratoire serait susceptible d'être dénoncé devant l'Organisation mondiale du commerce. M. Dalli entend néanmoins renforcer la traçabilité du matériel reproductif ainsi importé.

    L'approche de la Commission se fonde sur une double série d'avis contradictoires. D'une part, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a indiqué à plusieurs reprises depuis 2008 que les produits clonés ou non clonés n'étaient " pas différents " des autres du point de vue de la sécurité alimentaire. Et que rien ne s'opposait donc à la fabrication d'aliments issus du clonage.

    D'autre part, le Groupe européen d'éthique des sciences et les nouvelles technologies (GEE), dont les membres sont nommés par le président de la Commission, s'est prononcé contre une telle perspective, le 16 juillet 2008. " Compte tenu du degré actuel de souffrance et des problèmes de santé que connaissent les femelles de substitution et les animaux clonés, le GEE doute qu'il soit justifié d'un point de vue éthique de cloner des animaux pour la production alimentaire, avait indiqué ce groupe d'experts. La question de savoir si cela s'applique également à la progéniture de ces animaux doit faire l'objet de recherches scientifiques complémentaires. "

    Des considérations davantage liées au bon traitement des animaux qu'à des motifs de sécurité alimentaire, mais qui sont au coeur du raisonnement de la Commission.

    Philippe Ricard

    • La prudence des citoyens

      Technique Le clonage permet d'obtenir un organisme animal vivant génétiquement identique à un organisme d'origine. Veau, cochon, lapin, chat, mulet, cheval, souris, rat : depuis Dolly, la première brebis clonée née en février 1997 à Edimbourg, de nombreuses autres espèces de mammifères ont été clonées.

      Traçabilité Il n'existe pas, en Europe, de traçabilité pour les ovules, le sperme, la viande et le lait issus d'animaux clonés.

      Opinion En 2008, 84 % des Européens estimaient que l'on manquait de recul pour juger des conséquences sanitaires à long terme de la consommation par l'homme des viandes et laits provenant de mammifères clonés.


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  • Une protestation qui va au-delà des retraites

    Frankfurter Rundschau Francfort



    Manifestation à Caen (Normandie), le 19 octobre 2010 AFP

    Les cuves des stations-service sont vides, les manifestants brûlent des voitures et les écoles sont fermées. La France est paralysée par les grévistes qui s’opposent à la réforme des retraites. Il ne s’agit pourtant pas seulement du problème des retraites, c’est le système Sarkozy qui est mis en cause.

    Et voilà que les routiers s’y mettent. Depuis le week-end dernier, les chauffeurs de poids lourds bloquent les routes pour exprimer leur opposition à la réforme des retraites. Les employés des raffineries, eux, sont déjà passés à l’action : les barricades qu’ils ont dressées autour des dépôts de carburant pourraient priver le pays d’essence. Cela fait déjà plusieurs jours que les cheminots sont en grève et les lycéens et les étudiants se préparent à prendre la tête du mouvement. Tous veulent descendre dans la rue pour un septième jour de mobilisation nationale contre la réforme des retraites.

    Les sociologues mettent en garde contre le risque d’incendie généralisé. Les nerfs sont à vif et les esprits bien échauffés, d’autant plus que les manifestants se sont déjà trouvé un martyr : Geoffrey Tidjani, 16 ans. Pris entre les jeunes manifestants et les policiers à Montreuil (Seine-Saint-Denis), il a été blessé par un tir de flash-ball qui pourrait lui faire perdre un œil.

    Ni foi ni vision et une perte totale de perspective d'avenir

    Le sociologue Michel Fize dresse déjà des parallèles avec le légendaire mouvement de mai 68. Il y a pourtant quelque chose de très différent. A l’époque, les millions de jeunes Français qui étaient descendus dans la rue étaient animés par la foi dans le bonheur collectif et par la vision d’une société meilleure. Il n’y a ni foi, ni vision chez les manifestants d’aujourd’hui. Au contraire. Les jeunes déplorent une perte totale de perspective d’avenir.

    Les responsables syndicaux et les leaders de l’opposition assurent que les manifestants n’agissent que pour faire échouer une réforme jugée injuste. Leur interprétation n’est pourtant guère convaincante. C’est en effet un peu court : la réforme des retraites, aussi déséquilibrée soit-elle, ne suffit pas à expliquer ces manifestations de masse.
    Les sondages sont clairs : si une majorité de Français acceptent de travailler plus longtemps à cause de l’allongement de la durée de vie, ils ne veulent pas d’une retraite réduite. Mais si l’immense majorité des Français accepte le principe d’une réforme, pourquoi font-ils tout aujourd’hui pour s’y opposer ?

    "Ceux d'en haut" exigent des sacrifices du peuple

    Environ 72% des Français se disent solidaires des grévistes et approuvent les appels à la grève illimitée pour bloquer la réforme. Bien sûr, il n’est pas juste que le recul de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans se traduise par le fait que des employés ayant commencé à travailler tôt doivent trimer pendant 44 ans alors que les cadres dirigeants peuvent s’arrêter au bout de 41 ans et demi et toucher une retraite pleine. Il est toutefois difficile de croire que deux tiers de la population soient prêts à  paralyser toute la France uniquement pour cela.

    En réalité, ces manifestations sont une question de principe. Ce n’est pas seulement à cause d’une réforme partiellement injuste mais en raison d’un sentiment d’injustice tout court que des millions de personnes défilent dans la rue. La présidence de Nicolas Sarkozy a réveillé les vieux soupçons selon lesquels "ceux d’en haut" exigeraient des sacrifices du peuple tout en vivant eux-mêmes dans le luxe et l’opulence. Les révélations concernant le ministre du Travail chargé de mener la réforme des retraites Eric Woerth, dont on a appris qu’il avait reçu le soutien financier de Liliane Bettencourt, milliardaire et évadée fiscale, pour le compte du parti au pouvoir, n’est que le dernier épisode d’une longue et peu glorieuse série.

    Le peuple fixe lui-même les limites au pouvoir du gouvernement

    Et c’est pourquoi les Français se sentent en droit de lancer ensemble leurs appels à l’égalité et à la fraternité, ainsi qu’ils l’ont déjà fait tant de fois depuis 1789. Qui mieux que le peuple pourrait contribuer à faire triompher l’égalité et la fraternité ?

    Au nom de la stabilité politique, la Constitution de 1958 instaurant la Ve République confère au président des pouvoirs monarchiques et limite au strict minimum les "ingérences" du Parlement et des partis. Quant aux syndicats, avec un taux d'adhésion de 8% des salariés, ils sont en vérité plus faibles que ce que leurs discours tonitruants sur la lutte sociale laissent entendre. Face à une telle absence d’équilibre des pouvoirs, le peuple, traditionnellement méfiant envers les puissants, se voit dans l’obligation de fixer lui-même des limites au pouvoir du gouvernement.

    Les responsables politiques ont très bien entendu le message des citoyens. Le gouvernement, qui ne compte pas renoncer à la réforme des retraites, a annoncé son intention de supprimer le bouclier fiscal accordé aux contribuables les plus riches. Le ministre du Budget, François Baroin, a déclaré que cette mesure introduite par Nicolas Sarkozy en 2007 était devenue le symbole de l’injustice. Reste à savoir si le peuple se contentera de cette annonce. Pour l’heure, rien ne semble l’indiquer.

    Débat
    Irresponsables ou visionnaires ?

    "Il y a quelque chose de légèrement ridicule à voir des écoliers manifester pour protéger leur retraite", écrit Gideon Rachman dans le Financial Times. Mais les grèves en France, explique-t-il "perturbent très sérieusement l'économie, menaçant le pays d'une prochaine pénurie d'essence". Avec en toile de fond la crise économique et le déficit français de 5% supérieur au seuil de 3% du PIB fixé par le pacte européen de stabilité et de croissance, Rachman fustige les Français pour ne pas "réaliser la gravité potentielle de leur situation… La proposition de leur gouvernement de repousser l'âge de la retraite de 60 à 62 ans est une réforme indéniablement très modérée lorsqu'on la compare aux coupes salariales, aux retraites et dans les services publics qui sont imposées dans les autres pays européens frappés par la crise de la dette, comme en Grèce, en Espagne, en Irlande et même en Grande-Bretagne… Il faudrait peut être une vraie crise fiscale pour finalement persuader les Français que, comme l'a dit un jour Margaret Thatcher : 'Il n'y a pas d'alternative'".

    Philippe Marlière, maître de conférences à l'University College de Londresprésente pour sa part dans The Guardian un point de vue très différent : "Le gouvernement a de façon condescendante labellisé les jeunes grévistes comme des 'jeunes manipulés', mais ces commentaires ont permis seulement de galvaniser les jeunes…Les parents s'inquiètent du futur de leurs enfants, ils ne les empêcheront donc pas de manifester". L'universitaire constate "un sentiment d'indignation morale" face à une politique qui consiste à "imposer un remède néolibéral pour soigner une maladie causée par ces mêmes politiques néolibérales. Les Français ne sont pas hostiles aux réformes : ils exigent simplement que ceux qui redistribuent la richesse et qui allouent les ressources le fassent en direction de ceux qui en ont le plus besoin".


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