• Editorial : Pour le vrai débat, rendez-vous en 2013 ?

     

    Etrange situation. Pour ne pas dire absurde. Voilà un gouvernement qui, depuis six mois, présente sa réforme comme une ardente et urgente obligation pour garantir durablement le financement du système français de retraites par répartition. Et qui, en conséquence, pousse les feux pour faire adopter son projet au plus vite.

    Au terme de deux mois de débat parlementaire, le même gouvernement vient, pourtant, de donner son feu vert à l'adoption par le Sénat d'un amendement qui prévoit l'organisation, " à compter du premier trimestre 2013 ", d'un débat national sur une réforme " systémique " des régimes de retraite. Cette réflexion, est-il précisé, devrait porter sur la mise en place d'un " régime universel par points ou en comptes notionnels " (comme il en existe dans d'autres pays européens), afin de " faciliter le libre choix des assurés ".

    Cette initiative se veut, à l'évidence, une manoeuvre habile pour amadouer les centristes, mais aussi la CFDT, favorable à un tel système " à la suédoise ". Elle est, en réalité, un aveu. Un triple aveu, même. D'une part, c'est reconnaître qu'à peine l'actuelle réforme mise en oeuvre il faudra rouvrir le chantier des retraites. Autrement dit, selon la formule du président de la commission des finances du Sénat, le centriste Jean Arthuis, qu'elle n'est qu'un " colmatage " provisoire.

    D'autre part, c'est admettre implicitement que la réforme en discussion n'a pas posé globalement le problème des retraites, ni exploré toutes les pistes de réforme. Enfin, c'est avouer sans le dire que, sur un sujet aussi déterminant, un débat national eût été indispensable et que l'on en a imprudemment fait l'économie.

    Or il s'agit là, précisément, des trois critiques formulées depuis des mois - et au fil de huit journées de mobilisation syndicale, politique et sociale, un record - à l'encontre du projet défendu par le gouvernement.

    Absurde situation, donc. Sauf à considérer que l'objectif du président de la République n'était pas celui d'une réforme en profondeur. Mais, au contraire, de donner des gages immédiats de rigueur budgétaire aux agences de notation internationales et de faire la démonstration - musclée si nécessaire - de son autorité et de sa détermination aux yeux de sa majorité. Il l'a confirmé, jeudi 21 octobre, en dénonçant la " prise en otage " du pays par ceux qui bloquent les dépôts de carburant, en imposant au sénateurs la procédure du vote bloqué et en ordonnant la réquisition d'une première raffinerie de pétrole, en Seine-et-Marne.

    Compte tenu de la façon dont il a engagé cette réforme, l'oeil rivé sur l'échéance présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy n'a guère d'autre choix. Mais, en passant en force comme il le fait, il prend un triple risque : susciter une amertume redoutable chez tous ceux qui ont le sentiment de n'avoir pas été écoutés ; rejeter les syndicats dans une opposition sans états d'âme ; apparaître comme trop préoccupé par sa réélection pour engager sereinement une réforme de long terme, nécessaire au pays. Audacieux pari !


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  • La guerre des monnaies menace le commerce mondial

    Le G20 tente d'éviter les réactions unilatérales et désordonnées de ses membres

     

     

    Le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mervyn King, brandit la menace d'un " effondrement catastrophique de l'activité mondiale, comme dans les années 1930 ". Le premier ministre indien, Manmohan Singh, se dit " inquiet de la situation " et appelle, dans le Financial Times, à un esprit de consensus entre grandes puissances.

    Les tensions croissantes sur le marché des changes peuvent-elles dégénérer au point de compromettre la reprise mondiale ? Le sujet dominera les débats des ministres des finances du G20, réunis vendredi 22 et samedi 23 octobre en Corée du Sud pour préparer le sommet de Séoul des 11 et 12 novembre. Partout dans le monde, les dirigeants s'inquiètent du risque de voir éclater une " guerre des monnaies " susceptible de se muer en guerre commerciale.

    Une monnaie faible : un enjeu crucial Les pays industrialisés connaissent une reprise poussive et un chômage élevé. Aux prises avec des déficits colossaux, ils manquent de marges de manoeuvre budgétaires pour soutenir l'activité. L'arme des taux de changes est alors tentante : une monnaie faible permet de doper les exportations en baissant le prix des produits vendus à l'étranger.

    A l'inverse, " l'importation est l'ennemie absolue, car elle se substitue au travail du salarié local ", souligne Jean-Hervé Lorenzi, professeur à Paris-Dauphine. Le Japon s'est inquiété, mercredi 20 octobre, de la vigueur du yen qui " détériore le climat des affaires ", selon le vice-gouverneur de la Banque du Japon, Kiyohiko Nishimura.

    Mais les pays émergents refusent de supporter une trop large part de l'ajustement monétaire. Même si la crise n'est plus, pour la plupart d'entre eux, qu'un lointain souvenir, tous restent soucieux de préserver les exportations, moteur de leur croissance.

    Quelles armes pour dévaluer sa devise ? Les banques centrales peuvent tenter d'agir sur les cours en accumulant des réserves de change grâce à la vente de leur monnaie contre du dollar ou d'autres devises. C'est ainsi que procède la Chine, avec succès puisque cette politique est couplée à un contrôle des capitaux. C'est ce qu'a fait le Japon mi-septembre, avec un résultat très mitigé : difficile d'influencer un marché où s'échangent chaque jour 4 000 milliards de dollars.

    Les Etats-Unis ont connu un succès plus net en annonçant la perspective d'un nouvel assouplissement monétaire. Depuis que la Réserve fédérale américaine (Fed) a averti qu'elle pourrait refaire tourner la planche à billets, le billet vert est en chute. " Son objectif n'est pas tant une baisse du dollar qu'une stimulation de la demande ", fait remarquer Anton Brender, chez Dexia AM. Dans une moindre mesure, des pays émergents comme le Brésil ou la Thaïlande essaient de limiter l'afflux de capitaux spéculatifs - et donc l'appréciation de leur monnaie - en taxant les achats de titres par des investisseurs étrangers.

    Des points de crispation multiples La Chine et sa politique de taux de change sont au coeur des tensions. Le bras de fer sino-américain se durcit : Washington, relayé par Bruxelles, accuse Pékin de maintenir le yuan artificiellement bas. D'autres conflits ont émergé. Le Japon s'en est pris à la Corée du Sud, mi-octobre, l'accusant d'interventions pour faire baisser le won. Les pays industrialisés reprochent aux émergents de freiner l'appréciation naturelle de leurs devises. Au sein des économies avancées, l'Europe s'agace tout bas de voir les Etats-Unis laisser filer le dollar.

    Le risque d'un retour au protectionnisme ? Une " guerre des monnaies "peut dégénérer en guerre commerciale. Pour protéger leurs produits et leurs emplois, les Etats puisent dans l'arsenal composé de droits de douane, contingents d'importation, réglementations techniques et subventions à l'export ou à la production.

    En vain, comme l'a prouvé la loi américaine Hawley-Smoot du 17 juin 1930 qui augmenta, au début de la Grande Dépression, les droits de douane à l'import sur plus de 20 000 produits. Certes, les importations en provenance d'Europe en furent amputées de quelque 70 %, mais les exportations américaines vers l'Europe chutèrent en proportion, celle-ci ayant riposté.

    Aujourd'hui, les argumentaires sont plus sophistiqués, en raison de l'existence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui interdit l'unilatéralisme. C'est ainsi que la Chambre américaine des représentants vient d'adopter un projet de loi prévoyant des taxes à l'importation sur les produits chinois, la sous-évaluation du yuan constituant, selon elle, une subvention déguisée.

    La réplique n'a pas tardé : la surtaxe à l'importation de 105 % infligée depuis le mois de janvier aux poulets américains jugés subventionnés par Pékin a été prorogée.

    Pour l'instant, les rapports de l'OMC concluent à une quasi-innocuité des restrictions aux échanges et des distorsions de concurrence mises en place par ses membres, car elles n'affectent que 1 % des échanges mondiaux.

    Mais Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, commence à s'alarmer, et rappelle que ses membres ne peuvent espérer régler leurs déséquilibres macroéconomiques unilatéralement et par le biais du commerce. C'est ainsi qu'il a déclaré, mardi, à Genève : " L'Histoire nous jugera sévèrement si nos efforts collectifs pour juguler la crise économique sont contrariés par la recherche solitaire d'un gain à courte vue. "

    Alain Faujas et Marie de Vergès


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  • La Grande-Bretagne ou l'austérité juste ?

     

    L es Britanniques sont sous le coup d'un " blitz budgétaire " comme ils n'en n'avaient pas connu depuis des générations.

    Au printemps, ils ont chassé le New Labour du pouvoir pour donner un coup de barre à droite, pas pour aller plus à gauche. La coalition de conservateurs et de libéraux-démocrates que dirige David Cameron tient ses promesses. Elle avait annoncé un cocktail d'une amertume à faire fuir tous les piliers de pub du pays : un mélange de coupes dans les dépenses publiques et de hausses d'impôts destiné non seulement à s'attaquer à la dette et au déficit public du royaume - le plus élevé parmi les grands pays d'Europe -, mais aussi à recalculer, à la baisse bien sûr, l'importance de l'Etat dans la vie des Britanniques.

    Le chancelier de l'Echiquier (ministre des finances), le bouillant George Osborne, a traduit tout cela en chiffres mercredi 20 octobre en présentant le budget 2011 à la Chambre des communes.

    L'objectif est d'étaler jusqu'en 2014-2015 une cure d'austérité qui doit ramener le déficit public de 11 % du produit industriel brut aujourd'hui à 1,1 % (celui de la France est de 8,5 %). Les prestations sociales fournies aux plus défavorisés - l'Etat-providence au sens strict - vont baisser de plus de 10 %. Deux secteurs sont épargnés : l'éducation et la santé. Mais, pour le reste, les familles touchées par le chômage, voire une maladie de longue durée, vont voir leurs ressources affectées. Les grands départements ministériels, du Foreign Office au ministère de l'intérieur, devront apprendre à vivre avec des budgets diminués de 20 à 30 %. Au total, la fonction publique va perdre plus de 500 000 personnes d'ici à 2015. L'âge de la retraite, enfin : 66 ans en 2020.

    Ces coupes sont accompagnées d'une hausse des impôts. Et c'est là que M. Cameron impose sa marque : il se veut juste. L'augmentation de la fiscalité cible les hauts revenus, comme la droite française n'ose pas le faire. Les coupes dans le budget social introduisent une progressivité dans la fourniture des prestations qui malmène les classes moyennes, comme la gauche française n'oserait pas le faire, et ce afin de protéger les plus démunis. Experts de l'UMP et du PS, prenez d'urgence le TGV pour Londres - s'il n'y a pas grève... Nombre d'économistes ne sont pas convaincus. Certes, le budget Osborne va plaire aux marchés et permettre à Londres de financer sa dette à bon prix. Mais ils craignent qu'il ne pèse sur la conjoncture et rende la reprise encore un peu plus anémique. Pourquoi cette obsession à réduire les déficits en si peu de temps ?

    A cela, M. Cameron a une réponse : " Je suis un conservateur budgétaire, dit-il, mais un activiste monétaire. " Autrement dit, la Banque d'Angleterre va faire marcher la planche à billets pour soutenir la croissance, au risque de l'inflation. C'est la nouvelle politique économique conjoncturelle : discipline budgétaire, libéralité monétaire. Le remède est plus facile hors zone euro, bien sûr. Il a le mérite de la détermination et d'être administré avec le souci d'une certaine justice sociale.


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  • La suspicion monte autour du succès des pays émergents

     


     

    Le débat fait rage entre les investisseurs qui croient à la capacité d'absorption des liquidités par ces marchés et les institutions internationales qui pointent les risques de surchauffe.

    Le Mexique, l'Argentine, le Chili, l'Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie... La liste des pays dont les indices boursiers ont aujourd'hui renoué avec leurs niveaux record de 2007 s'allonge. C'est un signe parmi d'autres ; la transhumance des capitaux vers les marchés émergents s'accélère. Et elle s'accélère d'autant plus que la politique de taux bas à laquelle les économies matures sont contraintes, accentue le siphonnage des liquidités vers ces pays.

    Faut-il le rappeler ? Les marchés émergents captent désormais la moitié des capitaux internationaux. Selon l'organisme EPFR, les actions de ces marchés ont drainé cette année 60 milliards de dollars. Les obligations 41 milliards. Les montants sont vertigineux. Et devraient, si l'on en croit les sondages réalisés auprès des gérants, aller en s'accroissant. Les prévisions de l'Institute of International Finance sont en tout cas de cet avis. Selon l'IIF, les flux nets privés - qui correspondent à la somme des investissements réalisés dans les actions et la dette par les non-résidents - à destination de ces économies devraient atteindre 825 milliards de dollars cette année, contre 581 milliards en 2009. Précision importante : ce montant a été augmenté de 116 milliards de dollars par rapport aux prévisions faites par cet institut en avril dernier.

    Cette accélération du mouvement est-elle pour autant souhaitable ? Elle alimente le débat. Entre, d'une part, une majorité des investisseurs institutionnels qui, aimantés par les fondamentaux de ces pays et les valorisations de leurs marchés, commencent tout juste à réallouer leur portefeuille vers ces marchés et, d'autre part, des institutions internationales de plus en plus soucieuses des risques de surchauffe. S'agissant de l'Asie, « ces flux sont une opportunité, reconnaît le dernier rapport du FMI, mais ils sont également source de destabilistation ». Et d'énumérer : le risque de « taux de change trop élevé », « l'explosion du crédit », « la constitution de bulles sur certains actifs » et « une instabilité financière ». La Banque mondiale ne dit pas autre chose. L'institut va même plus loin, en agitant le chiffon rouge d'un possible retour à la crise de 1997 si rien n'est fait. « Si cette abondance de liquidités reste à un tel niveau durablement, ces pays vont devoir prendre de nouvelles mesures », avertit son économiste en chef pour l'Asie-Pacifique.

    Réactions de fermeté

    Entre ces deux postures, les gouvernements des pays émergents ont leur mot à dire. Conscients des risques que leur font aujourd'hui courir ces tombereaux de liquidités, en termes inflationnistes et de pertes de compétitivité, certains ont d'ores et déjà fermement réagi. Par le bais de l'intervention de leur banque centrale sur leur marché des changes. Mais aussi par l'imposition de taxes comme au Brésil sur l'entrée des capitaux étrangers.

    D'autres comme la Corée du sud et l'Inde s'apprêtent à le faire. Ils pourront cependant difficilement continuer à le faire de manière isolée. Leur dépendance aux flux de capitaux étrangers reste très encore élevée. Et un retrait brutal de ces derniers pourrait leur occasionner bien des soucis. De ce point de vue, le G20 de Séoul dédié à la finance qui doit se pencher sur la mise en oeuvre d'un mécanisme de défense commun est attendu au tournant.

    Par Marjorie Bertouille


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  • La BCE affiche son désaccord sur le Pacte révisé de Paris et Berlin

     


     

    Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), prend ses distances avec l'initiative de Sarkozy et Merkel sur les sanctions aux États trop endettés.

    Jadis les initiatives franco-allemandes pour relancer l'intégration européenne étaient saluées par leurs partenaires. L'accord de lundi dernier entre le Président français et la chancelière allemande sur le Pacte de stabilité européen déroge à cette ancienne règle : tant en Allemagne qu'en Europe « la déclaration franco-allemande » sur la « surveillance budgétaire » suscite de vives réactions hostiles.

    Surpris par cette annonce, Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a laissé déclarer qu'il « ne soutient pas tous les points » avancés par Paris et Berlin. Une formule qui, dans le langage policé d'un banquier central, est synonyme de désaccord profond. Une position largement partagée au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE qui s'est réuni jeudi. Au lendemain de l'accord entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, des membres de ce Conseil ne manquaient pas d'ironiser sur le fait « qu'il ne soit pas sûr que ce qui s'est passé lundi soit un jour à marquer d'une pierre blanche ».

    Concession allemande

    Lundi à Deauville, Angela Merkel a accepté de renoncer à des sanctions quasi-automatiques, c'est-à-dire sans interférence des États-membres de la zone euro, dans le cas d'un déficit excessif d'un pays (soit un déficit public supérieur à 3 % du PIB et une dette publique dépassant 6 % du PIB). En échange de cette concession allemande, Nicolas Sarkozy a lui accepté qu'une révision des traités européens pour y introduire ces sanctions plus sévères soit lancée. La Commission européenne et la BCE plaident elles pour des sanctions plus directes, sans délai de six mois et sans un vote des États à la majorité qualifiée comme proposé par Paris et Berlin. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso n'est pas plus enthousiaste que son homologue de la BCE :

    « La Commission prend bonne note des vues exprimées par des États-membres qui sont favorables à une modification des Traités, pour laquelle l'unanimité des États est nécessaire », s'est-il borné à dire devant le Parlement européen. La plupart des groupes parlementaires à Strasbourg se montrent eux aussi irrités par l'accord franco-allemand le socialiste Martin Schulz critique « un directoire franco-allemand » ignorant les processus de décisions prévus à cet effet, son homologue libéral Guy Verhofstadt parle de « compromis de casino ». Le vice-chancelier allemand, Guido Westerwelle, a lui aussi cloué au pilori l'accord signé par la chancelière, indiquant que « les sanctions ne doivent pas être soumises à un opportunisme politique». Le Sommet européen du 28 octobre consacré au Pacte de stabilité promet d'être animé.

    Par Frank Paul Weber


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